« Sans désir, tout est fini »
Chorégraphe et danseuse mythique, Marie-Claude Pietragalla présentera, les 21 et 22 novembre 2024, à Confluence salle d’Avignon, sa dernière création en binôme avec Julien Derouault, Giselle(s).
Nous avions déjà interviewé Marie-Claude Pietragalla pour d’autres projets, en août 2020, en mai 2022 (Dans la solitude des champs de coton), en juillet 2022 (Festival d’Avignon). De même pour Julien Derouault, en mai 2022, en juillet 2022.
-Pourquoi retrouver le ballet Giselle en 2023 ?
-Avec Julien, on voulait plonger dans ce ballet mythique, que j’ai dansé assez souvent, lors de ma première vie à l’Opéra de Paris. Giselle, c’est la trahison par l’amour. J’ai toujours trouvé que c’était une légende très violente envers cette jeune paysanne. On a puisé notre récit à travers les violences faites aux femmes, en étant sur les histoires de plusieurs Giselle et de quatre couples de niveau social, de profils et d’âges différents, qui conduisent toutes au drame. Le premier acte est très contemporain, ancré dans les relations hommes/femmes, de pouvoir, de confrontation… Le deuxième acte, dans un univers surréaliste, montre des Willis très contemporaines, femmes libres, presque seins nus, cheveux lâchés, pieds nus. Elles sont comme des Amazones, des guerrières, avec cette envie de vengeance, cette détermination. Giselle, de témoin, devient la Reine des Willis, le bras armé de sa propre justice. Ces femmes iront-elles au bout de leur vengeance ?
-Au niveau chorégraphique, que reste-t-il du ballet de 1841 ?
-Mon vécu en tant qu’interprète. Mais c’est juste une inspiration. Avec Julien, nous l’avons transposé dans un monde plus contemporain, plus cru, très violent, au niveau physique et psychologique. Nous sommes comme la suite de Giselle. J’incarne la Willis du XIXe siècle, qui a traversé le temps et voit que la condition de la femme a évolué, mais qu’il y a encore du chemin à faire.
-Pièce pour 17 danseurs, dont vous et Julien Derouault, elle est très physique.
-On est au bord de l’épuisement. Le premier est très violent. Le 2e acte, assez impressionnant pour le public, nous a demandé un travail de respiration, de souffle, de voix. Comme un corps à 13 têtes, les Willis sont portées par la même énergie physique, dans un élan de sororité.
-N’est-ce pas difficile d’être à la fois chorégraphes, metteurs en scène, interprètes ?
-Être chorégraphes et metteurs en scène demande d’avoir une vision globale avec tous les questionnements qui accompagnent le processus de création. Être interprète dans sa propre création demande une démultiplication, même si on a la chance d’être deux. Mais c’est un choix : j’ai toujours voulu rester connectée à la réalité du terrain, pour mieux guider les danseurs.
-Vous dansez toujours avec le même plaisir ?
-Oui, surtout des thèmes qui comptent pour moi. En ce moment, j’éprouve un plaisir fou à travailler un solo sur Barbara. J’ai cette chance d’avoir cette longévité. On verra combien de temps ça durera.
-Avec vous, la danse n’est jamais la même !
–Avec Julien on a toujours voulu rester ouverts au monde qui nous entoure, curieux sur la danse et les interprètes de la nouvelle génération. On a créé un CFA pour une trentaine d’apprentis. On se dit que rien n’est figé. C’est le moteur. Et la passion. On se questionne en permanence, pour continuer à creuser notre travail, qui est la théâtralisation du corps, son alliance avec la parole, le texte, la littérature, le théâtre, et une réflexion sur l’être humain, l’artiste que l’on a en face de soi.
-Ambassadrice de la danse en France et dans le monde, comment le vivez-vous ?
-Toujours dans l’action, je ne m’en rends pas compte. Je dis souvent à mes danseurs : la danse est bien plus grande que vous. Il faut la servir le mieux possible. On est des passeurs. On apporte de l’émotion et on aide la jeune génération en lui livrant notre expérience le mieux possible. Pour moi, la danse est une philosophie de vie. C’est peut-être pour ça que j’ai gardé cette joie de danser. Sans désir, tout est fini.
Propos recueillis par M-F.A.
Giselle(s), jeudi 21 et vendredi 22 novembre, à 20 h 30, durée 1h30, à Confluence Spectacles. Réservations sur le site.
Crédit photo : Théâtre du Corps
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