Julie Depardieu est, avec Stefan Druet Toukaïeff, l’invitée du Festival Pierre Cardin à Lacoste le 14 juillet, dans Bunker, lettres fictives de Magda Goebbels, sextuple infanticide. On connaît les multiples talents de la comédienne au physique d’éternelle adolescente. Une quarantaine de films, dont 3 César, seule actrice à en avoir 2 pour même rôle ! Des séries (dont policières, en Alexandra Ehle médecin légiste pittoresque) ; théâtre. Le même talent sous plusieurs formes, et une spontanéité ébouriffante !
– Julie Depardieu, vous allez interpréter, dans Bunker -un titre évocateur – les lettres fictives de Magda Goebbels, sextuple infanticide. Comment s’est monté ce projet ?
–En fait, le texte s’inspire des lettres de Magda à sa belle-sœur Eléonore, et peut-être aussi de lettres inventées. Ça s’est passé très simplement : un jour on m’appelle, on me dit : « On t’invite à Grignan ! » Super ! Je n’y suis jamais allée, mais quand on aime la lecture, c’est comme Manosque, c’est ton rêve d’y aller. J’ai dit oui. A l’autre bout du fil, on me demande : « Tu ne me demandes pas ce que tu vas lire ? » Eh non, ce sera une surprise ! C’est comme dans la vie, tu ne sais pas ce qui va t’arriver, bien ou mal. On me dit : « C’est les lettres de Magda. » Ah ouais, je savais que c’était écrit par Siméon, qui est un grand auteur. J’ai eu envie de dire oui avant même de lire. Puis je le lis super vite, et j’avais l’impression de connaître cette femme ; elle a une telle humanité ! Elle est intelligente, elle est belle, et elle ne va faire que des conneries. Elle est morte à 44 ans dans une cave avec ses enfants.
-Et en découvrant ce que vous alliez lire, vous n’avez pas hésité ?
-Pour Grignan j’avais très peur, comme un veau qui va à l’abattoir (rire). Je ne me compte pas parmi les actrices avec beaucoup de répertoire. Mais je vais lire comme si c’était moi. En fait ça s’est très bien passé ; à la fin tout le monde s’est levé. Et je me dis que ce sont des gens qui ont l’habitude, alors ça devait être bien. J’ai fait la lecture deux fois par semaine ensuite à Paris. C’était en pleine guerre israélo-palestinienne. C’était d’autant plus important de défendre ce texte. Parce que Magda, ça peut être nous, chacun de nous. Elle a tout, la beauté, l’intelligence, et elle gâche tout. La première fois que j’ai lu, j’étais dans tous mes états, je me disais : « tu apprends ton métier. » Avec le temps, c’est toujours aussi intéressant, mais moins pénible. Ce sont des personnages humains, qui deviennent des monstres.
-Comment vous protégez-vous de la contamination du mal ? Est-ce une démarche cathartique, exorciste ?
-Me protéger ? En le faisant, simplement ! Les premières fois c’était très dur. Mais c’est juste un message d’humanité que tu te dois de transmettre aux autres humains. Je l’ai repris quelques fois à Paris. Il faut le faire connaître, face à des situations abyssales. Pour ne pas être Magda. C’était une femme très ouverte, son beau-père était juif, son premier mec aussi, elle connaissait toute la richesse de la culture hébraïque. Elle savait tout cela, et, quand son beau-père a été arrêté, elle n’a rien fait pour le sauver, elle l’a laissé parti
-Vous avez créé ce spectacle au Festival de la Correspondance de Grignan 2023. Vous l’avez repris au Théâtre Tristan Bernard en novembre 23. Vous allez le reprendre à Lacoste. Le lieu a-t-il une importance ? Comment exprime-t-on un sentiment d’enfermement malgré plein air et douceur d’une nuit étoilée ?
–C’est finalement grâce au public. J’ai même joué dans un festival itinérant, et personne n’est parti ! Parce que c’est violent, et qu’on se demande comme agir dans une merde pareille. Il faut se méfier des discours totalitaires. Pour moi, ç’a été une adhésion à son itinéraire, et de la compassion, même si elle a tout de même tué 6 personnes ! Cela nous reconnecte à quelque chose de nous, à ce qui est humain en nous. Elle, elle avait tout, et pourtant elle a fait des actions horribles. Eh bien nous, nous sommes tous menacés de faire des actions aussi horribles. Elle-même sans doute n’aurait pas pu imaginer cela !
-C’est le Festival Pierre Cardin qui vous a invitée, dans un lieu magique. Connaissez-vous Lacoste ?
–Non, mais je suis très heureuse. Moi je rêvais du Festival de Grignan parce que j’adore les lectures. Et j’y ai fait des rencontres. Il y avait par exemple un jeune homme de 15 ans, qui a halluciné devant ce texte stupéfiant. Et je suis aussi super-heureuse de découvrir Lacoste.
-Dans vos rôles, vous alternez entre l’apprentissage par cœur, qui suppose une vraie assimilation, et la lecture, qui suppose une mise à distance.
–Moi j’adore les lectures, ça m’apprend beaucoup à moi-même. Je suis sensible à l’importance du récit, au texte, aux lectures musicales aussi. J’ai par exemple un spectacle à partir des lettres d’amour de musiciens. Mozart, par exemple, en 1791, écrit 3-4 fois par jour à Constance, pendant que sa femme était en cure : « Constance, tu me manques… » Liszt aussi : « De l’amour ! » Également des lettres de musiciennes.
-Vous avez fait aussi une mise en scène des Contes d’Hoffmann…
-Mais moi je ne suis que spectateur. La mise en écriture, pour moi, c’est : comment tu transcris la scène ? Mais il y a aussi des mises en scène, un autre spectacle musical ; je suis à fond dans tout ça !
-Pour le Théâtre des Champs-Elysées, vous avez mis en scène la Petite flûte, un opéra participatif.
-Les gens ont peur de la musique classique. Monter la Flûte en Petite flûte, en opéra participatif pour enfants, ç’a été une brillante idée du TCE. On leur raconte, on les fait chanter. Ça marche très bien ; une petite fille s’écrie : « Attention derrière toi ! » Une autre petite fille pleurait parce que Pamina était triste. Ça leur fait des émotions de dingue ! Et Mozart, ça marche pour tout le monde. On sait que le corps humain y est sensible ; les plantes vertes aussi sont plus sensibles à Mozart qu’à la musique électronique. Quand j’ai vu la première fois arriver des classes hyperagitées… et puis, si tu les intéresses, si le projet pédagogique marche bien… tout va bien.
-Il y a déjà quelques années que vous vous êtes lancée dans ce type de projet ?
-Huit ans environ. C’était mon rêve.
-L’Opéra Grand Avignon aussi s’est lancé dans les opéras participatifs, avec son directeur, qui en était un spécialiste dans son poste précédent, la direction de l’Opéra de Rouen. On aura justement une Petite flûte à la prochaine saison ; c’est la vôtre ?
-Non, celle d’Avignon est moche. Nous, on a des décors, c’est un véritable conte. Celle d’Avignon, j’ai vu une photo du décor ! On n’a pas d’argent pour ça…
-Votre relation à la musique et à l’opéra remonte loin dans votre souvenir ?
-Non, mon premier souvenir, c’est ma mère au piano, qui jouait et chantait des chansons. J’écoutais… comme George Sand écoutait Liszt, je pense. Et je disais : je m’ennuie. C’est drôle, ma mère me faisait chanter des chansons. Après, j’ai pris des cours de piano, mais j’étais pas bonne. J’ai passé le bac option piano, j’ai eu 11 : nul ! La prof m’a dit : « Vous avez du mauvais goût » ; j’ai été vexée ; j’avais dû massacrer Chopin. Puis je m’en suis détournée. Et en 88-89, je hantais les rayons de la Fnac, j’ai acheté les disques de Callas, les opéras italiens, les disques d’instruments, de chanteurs déjà morts. Et j’écoutais… A chaque époque son interprète. La Callas, par exemple, me fait plus d’effet que n’importe qui. Je n’aime pas toutes les musiques, et je ne comprends pas les gens qui disent qu’ils aiment toutes les musiques. Debussy, par exemple, je l’ai écouté plus de 400 fois ; il m’intéresse toujours autant… Mais Fauré, je ne l’aimais pas ; et puis je suis tombée sur Jankélévitch qui parlait du charme de Fauré ; et oui, c’est tout à fait ça, le charme. Et c’est ça, quelle que soit la lecture, même si c’est Magda, et encore plus si c’est une lecture musicale. J’ai vachement de chance, chaque fois qu’on me propose une nouvelle lecture ; il faut se l’approprier. J’adore, j’articule. J’avais un prof qui disait : « Je n’ai pas compris. Articule ! » (rire). Communiquer un texte c’est primordial.
-Au moment où vous serez à Lacoste, Avignon sera en plein festival. Pensez-vous que vous aurez le temps d’y faire un tour ?
-Je suis tellement bordélique ! Je n’ai pas encore acheté mon agenda. Le 14 juillet, c’est Magda à Lacoste. Le 6 juillet, c’est Ferrières-en-Gâtinais, autour de l’égérie Misia (Misia Sert, 1872-1950), avec violon et piano : des choses reprises de Debussy. Le 9 juillet, ce sera « de l’amour », lettres d’amour des musiciens à leur femme ou à leur maîtresse : Debussy, Mozart, les Schumann, Malher, Chopin : comment dire son amour ? Les Schumann, par exemple, se plaignaient des problèmes de la poste ; une situation particulière, puisqu’ils s’étaient connus quand elle avait 9 ans, lui 18 ans ; et ils ont tenu un an et demi sans se voir ! Et puis en Vendée je serai avec Pauline Viardot, et Clara Schumann. Le 26 juillet, c’est avec Delphine Haidan (sans doute une erreur de date, puisque le 26 juillet, Delphine Haidan sera à Gordes pour les Olympiades de l’opéra, NDLR). Et à Porlevoy avec François Chapelain Puis Limoux. Donc le festival d’Avignon, non, il fait trop chaud pour moi ; je voudrais aller à La Roque d’Anthéron ; j’y ai de grands souvenirs de spectatrice. D’ailleurs hier dans le train j’ai croisé un pianiste, Nathanaël Gouin, qui va jouer à La Roque ; j’adore son jeu.
-Vous êtes toujours d’une légèreté lumineuse. Avez-vous une philosophie de vie ?
-Tu parles ! Des jours je suis super déprimée. Je suis avec mon chien. Et puis je me dis que ce n’est pas si grave. Je suis habituée à de gros coups dans la tête. J’écoute la radio toute la journée. J’adore le baroque, j’adore Rinaldo. J’adore les Haendel, très évanescents, très romantiques…
Propos recueillis par G.ad. Photos : capture d’écran ; Fabienne Rappeneau pour Bunker ; Festival de Cannes 2016
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