Avignon, la ville aux 3 clefs papales, est aussi la ville aux 3 chefs. Chefs d’orchestre, s’entend, même si la gastronomie y a toute sa place également. Sans oublier un 4e chef, Jean-Claude Malgoire, avignonnais d’origine, disparu en 2018.
Alain Guingal, fut chef permanent de l’Orchestre Avignon-Provence de 1975 à 1981 ; nous l’avons vu diriger notamment Macbeth en 2017 (nous l’avions alors interviewé), à côté d’une brillante carrière internationale.
Debora Waldman, cheffe israélo-argentine, a été nommée en 2019 à la tête de l’Orchestre National Avignon-Provence, et nous suivons régulièrement son actualité ; elle se prépare à diriger l’Orchestre de Dijon lors de la cérémonie des Victoires de la musique classique.
Quant à Didier Benetti, il est installé depuis quelques années dans le cœur de l’Avignon historique, et il en parcourt les calades à enjambées rapides, quand il ne fréquente pas les multiples lieux de culture de la cité papale. Rencontre avec un homme pressé, riche de mille projets, et qui respire l’envie de vivre et de partager. A plein sourire…
-Didier Benetti, vous avez commencé votre formation par les percussions. Pourquoi ce choix ?
– Quand un instrument vous parle, vous ne vous posez pas la question. J’ai été attiré par le rythme, la résonance. Gamin, quand j’entendais une musique, je l’accompagnais rythmiquement avec tout ce qui me tombait sous la main.
-Ensuite vous êtes passé à la direction, après avoir travaillé avec des baguettes célèbres, – Lorin Maazel, Pierre Boulez, Ricardo Muti, Kurt Masur…
–C’est par le contact avec l’instrument que j’y ai été amené. J’ai été musicien d’orchestre pendant 40 ans dans l’Orchestre National, et la direction est une envie qui m’est venue sur le tard, vers 30 ans. L’instrument ne me nourrissait plus assez, et j’avais atteint les limites de son expression. Mais j’ai conservé en même temps mon poste aux timbales, et j’ai vécu des choses intéressantes en ayant deux casquettes.
-Deux, et même trois, puisque vous êtes également compositeur.
–La composition est venue après. J’ai toujours fait les choses en escalier, selon les opportunités, mais j’ai toujours aimé inventer. Je suis compositeur à l’image, et je voudrais développer le répertoire de chanson. Avec France Culture, nous avions mené des concerts-fictions : il fallait composer la musique d’un roman, lu et joué par des comédiens. L’idée est venue des Etats-Unis, où Orson Welles par exemple menait ce genre de projet à la radio : sa Guerre des mondes par exemple avait fait peur aux gens dans les années 50, qui avaient cru qu’une véritable catastrophe s’était abattue sur eux ! La directrice des programmes de France Culture avait eu envie de reprendre cette idée, avec des comédiens qui ne se contentent pas de lire, mais qui jouent le texte radiophoniquement, la fiction reposant sur le support du texte. C’était une belle opportunité pour moi, comme la composition pour films muets, ou les arrangements pour Musiques en Fête. En effet, je n’ai pas eu la chance d’entrer dans le sérail très fermé des compositeurs pour films muets, mais dans tout ce que je fais je m’épanouis artistiquement.
-Vous avez également composé un ballet avec Barry Collins…
–C’était un ballet sur des comédies musicales, Certains l’aiment chaud. C’était à Liège, ma première rencontre avec le monde de la comédie musicale et de Barry Collins ; nous avons sympathisé, et l’Opéra de Metz a eu la gentillesse de prendre cette création : c’est toujours un risque de prendre une création, et les maisons d’opéra sont très frileuses ; certes, c’était un ballet moderne, mais il n’y avait rien qui fasse peur, c’était de la musique tonale. Un genre de Roméo et Juliette, de guerre de clans, de familles qui se déchirent ; un faux West side story à l’irlandaise. C’est super, mais on n’a pas eu la chance de le redonner ailleurs. D’ailleurs, encore fallait-il avoir un ballet, et peu de maisons d’opéra en ont.
-Avignon a cette chance !
–Mais vous savez que, quand on fait des propositions à des directeurs d’opéra, ils ne prennent pas… Nous avons été très heureux qu’Eric Chevalier à l’Opéra de Metz programme notre travail.
-On vous a vu diriger à Avignon un magnifique Chanteur de Mexico à grand spectacle. Mais il est vrai que le public vous connaît surtout par la grande émission de Musiques en fête aux Chorégies d’Orange (notre compte rendu de l’édition 2022, de l’édition 2020, de 2019, de 2018, de 2016) : vous êtes « le chef à la veste blanche », en alternance avec la veste noire de Luciano Acocella. La première fois, vous l’avez sentie comme une prise de risque ?
–La première fois, je n’avais pas grand-chose à faire : c’était surtout pour seconder Luciano. J’étais très en confiance, j’étais bien où j’étais. Le risque, on le prend à chaque concert. Si on n’en a pas envie, mieux vaut changer de métier.
-Le risque du direct, peut-être ?
–On n’y pense pas vraiment. Si on redoute quelque chose, ce sont les impondérables de retours de son, les problèmes techniques, perdre le contact avec le soliste, ne plus s’entendre. Le soliste, il est derrière nous, on ne le voit pas, les écrans de télévision sont minuscules. On ne voit pas sa respiration… Et d’autres risques : le mistral, la température, l’hygrométrie, la forme ou non des chanteurs… Tout peut être différent de la répétition, mais c’est tellement excitant ! Nous, le direct, c’est tout le temps. Mais je touche du bois, tout s’est toujours bien passé pour moi, c’est ce qui donne de la vie.
-L’édition 2023 de Musiques en fête est sans doute en préparation ?
–Pour l’instant je le suppose. Les organisateurs ne vont pas tarder à sortir du chapeau le programme.
-Habituellement vous avez quelques mois pour vous préparer ?
-Nous sommes contactés habituellement à peu près en cette période. Pour Luciano, pas de problème, puisqu’il dirige le répertoire traditionnel. L’orchestre doit juste recevoir les partitions ; le service bibliothèque a du travail pour préparer le matériel… Pour les œuvres du répertoire, on passe commande auprès des éditeurs. Pour moi c’est un peu différent ; je suis chargé des cross-over.
-C’est vous qui assurez tous les arrangements ?
–Oui, tout ce répertoire est issu de la variété, au sens large, et il est conçu pour d’autres types de formation. Je les arrange pour un orchestre symphonique.
-Je présume que vous avez quantité d’autres projets ?
–En décembre nous avons eu à Marseille une Auberge du Cheval-Blanc, une très belle production, superbe, très colorée, façon comédie musicale. Je reviens à Marseille la saison prochaine, à l’Odéon, avec la Chanson gitane de Maurice Yvain ; et Trois de la Canebière. Et je souhaiterais d’autres projets avec tout ce qui attend dans les tiroirs. J’ai composé pour 17 films muets qui sont passés dans des festivals. C’est beaucoup de travail, beaucoup de plaisir aussi, mais c’est frustrant de ne jouer qu’une fois, même avec de petits ensembles. De vrais films intéressants, que la Cinémathèque avait pris la peine de restaurer – un indicateur de leur qualité -, un Carmet, un film sur Casanova, un sur Napoléon. Des films qu’on devrait revoir, de grosses fresques historiques… J’aimerais qu’Avignon les programme, pourquoi pas Utopia ? On aurait dû faire les démarches, mais le Covid est arrivé et je suis passé à autre chose. Mais maintenant j’en ai très envie. C’est un peu comme un petit festival sympathique qui avait été lancé à Saint-Léger-du-Ventoux, « Les Nuits lyriques du Ventoux », je crois.
-C’était en effet un « petit » festival, mais ambitieux pour la qualité, et avec une belle programmation.
-Une Arlésienne devait être programmée en août, et puis tout a été annulé.
-Le festival a dû être victime, comme d’autres, de la situation sanitaire et financière.
–Moi je voudrais bien faire quelque chose ; et même, pourquoi pas, reprendre moi-même ce festival ? Je suis motivé, la programmation était intéressante, je veux bien m’investir comme bénévole.
-Sans abandonner vos propres projets ?
–Parmi mes autres projets, j’ai en effet un conte musical pour enfants ; il faudrait que je le propose à un éditeur. J’ai toujours quelque chose à faire dans l’urgence, et je ne prends pas de temps pour exploiter les choses déjà prêtes. J’ai beaucoup de choses dans mes tiroirs.
-Quelle est votre principale qualité ? Et votre principal défaut ?
–Je suis un homme de parole, sur qui on peut compter ; pour moi, la parole vaut tout contrat. Et en défaut j’ai une forme d’impatience quand les gens ne sont pas assez réactifs.
-C’est le revers d’une qualité, l’enthousiasme…
-(rire) Sans doute.
Propos recueillis par G.ad. Photos Coraline Benetti (& G.ad. pour MEF)
Laisser un commentaire