Jane Birkin avait donné son concert « Ah ! pardon, tu dormais » en mai 2022 à Carpentras, dans le cadre d’une tournée, déjà éprouvante. Nous gardons de notre interview téléphonique d’alors (voir l’intégralité) une image particulièrement émouvante, découvrant une pépite de tendresse. Pourtant, au début de l’entretien, elle semblait sur la défensive, presque lassée des multiples interviews qui lui étaient (encore) imposées. Elle nous a raconté, comme à tant d’autres confrères, la genèse de son spectacle, évoquant l’envie d’Etienne Daho de la mettre en scène. Notre entretien a pris alors un virage inattendu, nous parlons poésie, peinture ; sa sœur venait de lui faire découvrir deux peintres qu’elle aurait « envie de partager dans les écoles »… « Et puis, nous dit-elle spontanément – jamais nous n’aurions osé évoquer sa santé – j’ai eu mon accident au cerveau, et j’ai été obligée de m’arrêter 4 ou 5 mois. Ensuite, comme je n’ai pas de vie privée, je ne sais pas quoi faire ; alors je suis toujours prête à prendre mon chien et à sauter dans un train ; c’est ce qui me porte : rencontrer des gens, des publics différents ; même si je suis fatiguée, dès que j’entre en scène ça va mieux, et je donne tout comme si c’était mon dernier concert ». Elle nous raconte, intarissable, ses souvenirs d’hôpital, « à Nantes, en soins intensifs », les émissions qu’elle regardait à la télévision, et un reportage sur West side story : « Et quand je sortais dans le couloir, qu’on se retrouvait tous avec nos perfs, on avait presque envie de danser, avec des soignants qui étaient formidables ! Ce sont des choses qui aident… »
Elle évoque son actualité récente : « C’est le film que Charlotte a fait sur moi ; elle m’a saisie de façon formidable, drôle. En fait j’aime parler d’elle, des mères et des filles ; je trouve que la situation de mère est très intéressante. Mais autrement je suis terrorisée par la télévision. J’ai été obligée d’aller voir un hypnotiseur pour « faire Drucker » ; alors qu’en fait, Drucker, il n’est pas méchant, on se contente d’être assis, d’être là et de lui répondre. Mais la télévision est envahissante, terrorisante ; parce qu’aujourd’hui, avec des supports comme YouTube, ce que vous dites est immédiatement publié, amplifié ; c’est une source d’inquiétude terrible, on ne sait pas à quelle sauce on peut être mangée ».
La guerre en Ukraine était encore chose récente : « Il existe des gens inspirants, comme Zelensky en ce moment ; il est héroïque ; il est porté par un courage extraordinaire, il est né pour ce moment-là, pour son pays. Quand on a quelqu’un comme lui, ou John Pain, un acteur d’Haïti, ça fait énormément de bien ; en Ukraine, on voudrait envoyer beaucoup d’argent, des médicaments, des vaccins, on voudrait foncer là-bas pour faire tout ça. Nous, nous nous sentons tout petits ; tout ce que nous faisons, c’est trimbaler nos petites tirelires pour l’Ukraine, nous sommes tellement misérables, et si près de ce désastre, à quelques milliers de kilomètres de nous. Parfois je me demande pourquoi je suis sur scène alors qu’il y a de tels malheurs ; c’est tellement curieux de ne pas être plus concernés ». Elle évoque aussi un de ses derniers spectacles : « J’ai voulu mettre aussi d’autres textes pour ma fille Kate, comme Cigarette, que j’ai donné la nuit, sans parler d’elle ; c’est un texte brutal, je sais, mais sa mort a été brutale, et il n’y a rien de plus réel que le réel ».
Quant à la pandémie, « je l’ai vécue très mal. La seule chose excitante, c’était Lou en direct sur Instagram tous les jours entre 17 et 18h : c’était revigorant, drôle, parfois elle me mettait dedans ; le dimanche je le découvrais avec les enfants, elle me le montrait avec l’iPhone, et on s’amusait. Sinon, pendant cette période j’aimais prendre soin des gens dans mon immeuble ; car je suis sûre que la seule chose vraiment intéressante c’est les gens. A Paris, pendant cette période, je n’étais pas avec les personnes que j’aimais, mes filles, alors qu’il y avait des gens qui se retrouvaient, en grandes familles, à la campagne. Pourtant, même si j’étais isolée, j’étais privilégiée : je n’ai pas souffert, et j’ai même eu des moments joyeux.
Pendant la pandémie, Wajdi Mouad a lancé un projet auquel j’ai participé : appeler des gens qu’on connaissait, et leur lire un moment de poésie, comme le faisait d’ailleurs Serge sous d’autres formes. Il a le projet de lancer le même projet pour des prisonniers et des gens isolés. Quand j’appelais, les gens ne me reconnaissaient même pas, on partageait juste le moment de poésie… » Jane est partie partager des moments de poésie avec les étoiles…
G.ad.
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