Carton rouge contre Versailles
« Faut-il pleurer, faut-il en rire ?
Fait-elle envie ou bien pitié ?
Je n’ai pas le cœur à le dire… »
Fait-elle envie ou bien pitié, cette grande fête versaillaise du Réveillon ? Ou appelle-t-elle la rage, l’indignation, la colère ?
Grande fête ? De grâce, pas cette année ! Quand toute la France est invitée à rester chez soi, entre soi, à deux, trois ou six, à se recentrer sur « l’essentiel » (!), Stéphane Bern s’est vanté sans ciller de ce qu’« on n’avait jamais autant dépensé pour une fête du 31 » ! Tous ceux, artisans, commerçants, animateurs d’événementiel, artistes, qui ne voient que des portes fermées et ne vivent que d’expédients depuis près d’un an apprécieront l’exquise délicatesse et l’humilité fraternelle. Ils apprécieront aussi le choix du lieu, hautement symbolique….
Indépendamment du talent de tel ou tel des artistes présents ce soir, et indépendamment du type de divetissement, comment ont-ils pu se prêter à cette explosion d’autosatisfaction, de mutuelle congratulation, cet entre-soi de vanité ?
Même l’hommage prétendu aux héros du quotidien dégoulinait de fausse compassion, de commisération indigne, de bons sentiments entre bling-bling et bisounours.
Et la salle se chauffait peu à peu : exclamations, applaudissements, cris… Tiens, un public ? C’est pourtant une denrée rare, en ce moment, tout droit sortie du « monde d’avant » ! Ce serait, paraît-il, 30 danseurs ; sur Facebook le lendemain, répondant à d’autres critiques, Laurent Brunner, Directeur de Château de Versailles Spectacles, évoque 90 personnes, dans une salle de 700 places ; quel que soit le nombre, le problème est ailleurs : déontologique, et non pas arithmétique. A quel titre ces quelques spectateurs ? Pour marquer une solidarité avec tous les artistes privés d’applaudissement depuis près d’un an ? Ces danseurs seraient, paraît-il, « masqués et éloignés »; masqués, oui, élégamment, de noir ; mais éloignés, pas vraiment, du moins pas tous ; remarquable exemplarité, n’est-il pas ?
Il eût été tellement plus digne et symbolique de proposer un beau spectacle, oui, mais a minima, à l’instar de tout ce qui nous est imposé en ce moment, comme le récent concert de Noël à Notre-Dame, sobre et plus qu’intimiste, ou le concert si justement (non) essentiel à la salle Gaveau quelques jours plus tôt !
L’interdiction d’ouverture des lieux de culture est non seulement inutile (on n’y a trouvé aucun foyer de contamination et tous les gestes-barrière y sont respectés) et injuste par rapport à d’autres types d’activités, mais ce genre de divertissement versaillais (on réinvente le « panem et circenses » de Juvénal) en rajoute une couche dans la provocation et l’outrage indécent.
Il est l’exact opposé de l’engagement de maisons d’opéras qui continuent, avec les budgets dont on connaît la modestie, à accompagner les artistes, sans public autre que celui de la Toile (Avignon, Marseille), ou des agences ou des collectifs d’artistes qui jouent la carte de la solidarité, du partage… A l’opposé aussi du concert du Nouvel An à Vienne, qui se tient quelques heures plus tard, sans public, mais dans la perfection artistique (on peut compter sur Riccardo Muti), la beauté de ses roses légendaires, le partage d’un répertoire à la fois élégant et festif. De telles démarches forcent le respect, l’on en sort grandi et plus humain, pour s’être senti considéré.
On n’oserait en dire autant du grand spectacle de ce soir sur France2 ; qu’il ait aidé plus de 5 millions de téléspectateurs à rêver d’un monde où le spectacle vivant ait repris toute sa place, sans doute, et tant mieux ; mais qu’il ait aidé à le faire revenir, et de surcroît par le canal du service public, je n’ose le croire…
G.ad.
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