« Exercices de style ». La Tâche d’encre. Off Avignon 2024

Un classique revisité avec brio

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La Tâche d’encre, 10h30, 1h10. Du 3 au 21 juillet. Rés. 04 90 85 97 13. A partir de 7 ans.

Nous montons à bord de la ligne S d’un autobus, où chaque station est l’une des 20 variations de la célèbre histoire racontée par Raymond Queneau dans 99 styles différents : un homme au chapeau étrange et en pardessus qui monte dans un autobus.

La compagnie Les Quatr’à Strophes s’empare de ce classique littéraire écrit en 1947 pour l’accompagner musicalement afin de recréer les ambiances propres à chaque style choisi.

Elles sont quatre sur scène : Mathilde Comoy-Robert (au violoncelle), Fabienne Landès (à la flûte traversière), Emilie Marzilli (à l’accordéon) et Ann Conoir (récitante), toutes quatre enseignantes au Conservatoire à Rayonnement Départemental de l’Aveyron. Ce choix de trois musiciennes et une récitante est original mais tellement évident lorsqu’on les voit toutes les quatre sur scène.

La musique est une composition originale de Nicolas Dru mais, au contraire de la pièce littéraire, chaque mouvement musical (un par variation littéraire) est autonome sans être une variation de l’introduction. Les instruments expriment tour à tour des émotions et se répondent. L’harmonie musicale et littéraire est très bien réussie et permet de redécouvrir les saynètes de Raymond Queneau grâce à un jeu et une mise en scène (de Benoît Gruel et Didier Landès) très expressifs et savoureux. Le surréalisme est au rendez-vous tout comme l’interprétation déjantée : le public oscille entre rire, empathie et surprise.

Cette création de cette année présentée pour la première fois à Avignon est une vraie réussite, tant par le jeu des actrices que par le choix de la mise en scène musicale et théâtrale. Choisir seulement 20 styles parmi 99 a dû s’accompagner d’autant de renoncements, mais le public se régale de cette adaptation intelligente et personnelle. L’attention a été portée au moindre détail des accessoires.

La compagnie fonctionne en symbiose et leur enthousiasme nous gagne très rapidement. On en ressort avec l’envie de se (re)plonger dans l’œuvre de Queneau, tant la passion du quatuor est communicative.

Venez (re)découvrir ce classique revisité musicalement avec brio !

Christèle. Photo Compagnie Quatr’à Strophes

« Dom Juan… et les clowns ». Roseau Teinturiers. Off Avignon 2024

Molière chez les clowns ? C’est osé !

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Espace Roseau Teinturiers, 20h25, durée : 1h20. Du 29 juin au 21 juillet, relâche les 9 et 16 juillet. Réservations au 04 84 51 26 44

         Transposer la pièce de Molière dans l’univers des clowns, c’est osé et surprenant. Est-ce que cela fonctionne ? Plus ou moins. Certes Molière dit de cette pièce que c’est une comédie et il y a réellement des moments très amusants dans son texte, mais il y a aussi des moments qui se rapprochent de la tragédie et cette mise en scène d’Irina Brook les gomme complètement au nom d’une volonté de liberté et c’est dommage.

L’univers du cirque est identifié dès le début par ce cercle rouge qui est la piste. Les comédiens ont tous un nez rouge sauf Dom Juan, comme pour montrer qu’il serait le seul sérieux. Les costumes reprennent aussi les codes du cirque dans des nuances de rouge, noir et blanc. Ce registre convient parfaitement à certaines scènes et à certains personnages comme Pierrot, Mathurine et Charlotte. Faire de Sganarelle un clown est aussi très bien trouvé et correspond bien à sa personnalité : fuyant le danger, tombant en faisant une démonstration, ce qui met tout son raisonnement à terre. En revanche, rendre ridicule au possible Elvire ne semble pas dans l’esprit du texte. Il en va de même pour la statue du commandeur.

Les comédiens sont tous très bons et assument parfaitement leurs rôles en rendant les personnages ridicules ; on rit en effet beaucoup. La complicité créée avec les spectateurs en faisant de la magie devant eux, en les sollicitant régulièrement est aussi très appréciable.

Une mise en scène burlesque qui sait faire rire, une mécanique très bien huilée et cohérente qui pousse à l’extrême l’affranchissement des règles et l’univers clownesque. Nul doute qu’un large public appréciera cette version tant elle est bien interprétée et tant elle fait rire. Toutefois ceux qui connaissent bien la pièce seront déçus de ne pas retrouver tout le sérieux de celle-ci et regretteront de voir tournés en ridicule les thèmes essentiels de la pièce : tromperie, meurtre, foi…

Sandrine. Photo Compagnie Miranda.

« Victor HuG.O.A.T : n°1 du rap français ». Au bout là-bas. Off Avignon 2024

Un spectacle étonnant, un jeune qu’on a envie de suivre

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Théâtre Au bout là-bas, 18h05, durée : 1h05. Du 2 au 23 juillet, relâche les 8 et 15 juillet. Réservations au 06 41 30 53 27

         Si Victor Hugo avait vécu aujourd’hui, il aurait été le meilleur des rappeurs. Voilà le point de départ de cette pièce qui va donc habilement mêler les vers de Victor Hugo, mais aussi son histoire et les rappels de versification au rap. On a du mal à y croire, et pourtant cela fonctionne à merveille. Barthélémy Héran, à la fois l’auteur et le comédien de ce seul-en-scène, réussit à nous faire aimer le rap, nous donne même envie de mieux le découvrir et fait résonner de superbe manière les vers de Victor Hugo que l’on aime tant.

Son spectacle est original et drôle, on apprend beaucoup, sans vraiment s’en rendre compte tellement c’est bien construit, tant sur le rap que sur la vie d’Hugo. Il incarne à la perfection tous les personnages de ce spectacle : Bart, son camarade avec qui il devra faire un exposé sur Hugo sous forme de rap, sa professeure de français, mais aussi Hugo lui-même ou Sainte-Beuve, ainsi que les rappeurs PNL, Nekfeu ou encore Jul et Soprano.

Une autre qualité de ce spectacle est de faire participer le public. Nous allons reconstituer la bataille d’Hernani dans le théâtre, une partie jouant les classiques opposants à la pièce, l’autre les modernes défenseurs de la pièce. Mais ce spectacle n’est pas non plus exempt d’émotions, plusieurs moments ont été intenses : le rappel de la mort de Léopoldine et ses circonstances ainsi que les effets qu’elle a eus sur Victor Hugo, mais aussi son exil et enfin ses combats contre la peine de mort, pour les plus faibles…

Un grand coup de cœur pour ce spectacle étonnant, à l’écriture ciselée et à l’interprétation de grande qualité. N’hésitez pas à aller découvrir le rap final de Bart sur la vie de Victor Hugo : Gorille blessé sur les plateformes. Un jeune plein de talents, qu’on a envie de suivre.

Sandrine. Photo Alex Tran

« Cyrano ». Roi René. Off Avignon 2024

Des choix originaux mais dans lesquels on peut se perdre

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Théâtre du Roi René, 18h10, durée : 1h20. Du 3 au 21 juillet, relâche les 8 et 15 juillet. Réservations au 04 90 85 37 48 ou 09 81 00 37 48

         Le défi que s’est fixé cette jeune troupe de théâtre, Les divergents, est de pouvoir interpréter chacun tous les rôles de la pièce ; avec 7 comédiens, cela fait donc 5040 combinaisons possibles. C’est donc le public qui le soir même choisit la distribution. Un défi encore plus important pour une pièce telle que celle de Rostand avec une multitude de personnages et de situations.

L’idée est originale et intéressante, et l’on ne peut que saluer l’énorme travail et l’engagement de cette compagnie, mais au final, on est un peu déçu, d’abord parce que les comédiens ont beau enfiler un morceau de costume -très beau et original par ailleurs – il est difficile de se souvenir de la distribution et donc de bien comprendre qui joue quel rôle. Et lorsque l’on connaît bien la pièce de Rostand c’est encore plus difficile car certaines répliques ne sont pas dites par les mêmes personnages que chez Rostand, tout simplement parce qu’ils ont été supprimés de cette adaptation. Et c’est là le deuxième reproche que l’on peut faire : les choix d’adaptation pour réduire la pièce. Des répliques sont supprimées mais du coup certaines autres n’ont plus de sens ou de logique car la précédente à laquelle elles répondaient a disparu. Et quand on est un inconditionnel de la pièce, il est difficile de ne pas attendre certains vers cultissimes.

L’esthétique de la mise en scène et le foisonnement d’idées originales constituent des atouts de poids, comme cette échelle pour représenter le balcon ou cet espace en retrait à jardin où Cyrano se cache pour souffler à Christian ou encore les chorégraphies qui ponctuent le spectacle.

Une pièce à voir pour la performance des comédiens et l’originalité des choix, mais une pièce qui risque de décevoir les amoureux de Rostand et de perdre ceux qui connaissent moins la pièce.

Sandrine. Photo Matthieu Camille Colin

« Faire Commune ? » Bourse du travail. Off Avignon 2024

Pour des lendemains qui chantent

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À la Bourse du travail, 8 rue de la Campane. Jusqu’au 21 juillet, à 18 h. Résa. 06 08 88 56 00.

Bienvenue dans la petite communauté de Malakoff, ville emblématique pour revivre plus d’un siècle de luttes sociales, depuis la Commune de Paris jusqu’à la grande grève des mineurs de 1963 ! Tel est le propos de cette joyeuse troupe de théâtre qui décide d’aborder la grande Histoire à travers la petite, faite des expériences de ces héros du quotidien, travailleurs méritants et citoyens au grand cœur !

Entre une metteuse en scène en proie aux doutes, des comédiens exaltés et une pianiste engagée, qui entonne divinement des chansons d’époque, les cinq artistes de la compagnie Mégalo Cheap embarquent le public dans une fresque colorée, riche en témoignages et en digressions loufoques qui détendent l’atmosphère, agrémentée de projections d’archives. Par son message pétri d’amour, de solidarité, d’entraide et d’union, voilà un spectacle qui fait du bien, d’où l’on ressort plein d’espoir pour un avenir meilleur !

Marie-Félicia, texte & photos

« Destins croisés ». Corps Saints. Off Avignon 2024

Toute une époque qui résonne étrangement avec l’Europe d’aujourd’hui

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Au théâtre des Corps-Saints, 76 place des Corps Saints. Jusqu’au 21 juillet, à 13 h 30. Résa. 04.84.51.25.75

Une heure pour revivre la légende napoléonienne à travers le regard de son contemporain, héros de guerre que l’histoire a oublié, le général Jean-Victor Moreau. Deux hommes pris dans la tourmente de l’histoire, au lendemain de la Révolution française. Deux visions contraires pour l’avenir du pays. Le texte de Soizik Moreau, lumineux, incisif et ciselé au cordeau, est incarné par deux formidables comédiens : Arnaud Arbessier, un Napoléon plus vrai que nature, et Jean-Louis Cassarino dans le rôle de Moreau l’incorruptible, fervent défenseur de la République et de ses valeurs. À travers leur joute verbale, à la prison du Temple en 1804 d’abord puis dans l’au-delà, en 1821, à l’heure du jugement des paroles et des actes, c’est un Napoléon profondément humain et toute une époque qui se dessinent en filigrane, et résonnent étrangement avec les nouvelles guerres qui déchirent l’Europe. Une édifiante rencontre au sommet de l’histoire !

Marie-Félicia

« C’est que du bonheur ». Au coin de la Lune. Off Avignon 2024

Quelle antiphrase !

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Théâtre au coin de la Lune, 17h45, durée : 1h20. Du 29 juin au 21 juillet, relâche les 4, 11 et 18 juillet. Réservations au 04 12 29 01 24

    Alice et Maxime viennent d’accueillir Mathis, leur bébé, mais ils se retrouvent aux urgences car ce dernier va mal. Ils vont alors vivre la descente aux enfers, pris dans les rouages de l’administration et de la justice puisque Maxime va être accusé d’avoir secoué son bébé. Ce couple, si uni, va être mis à rude épreuve, il finira même par se déchirer avant de retrouver la confiance.

Il sera donc question de parentalité dans cette pièce, d’amour aussi beaucoup, de confiance, de respect. Mais le sujet essentiel sera celui de la maltraitance, celle de l’enfant, avec la violence du bébé secoué mais aussi celle de l’hôpital qui accuse les parents sans faire toutes les vérifications nécessaires, celle de la justice qui par précaution condamne ceux-ci à être séparés de leur enfant, celle des services sociaux enfin qui ne laissent plus d’intimité exister entre l’enfant et ses parents.

Il y a donc beaucoup d’émotions dans ce spectacle et les comédiens incarnent avec justesse et sensibilité tous les acteurs de cette tragédie. Nous ressentons beaucoup d’empathie pour ces parents et, en même temps, on ne peut pas s’empêcher de se demander ce qui s’est passé et donc les soupçonner. Emelyne Chirol se sert de son violon comme d’une marionnette qui représente le bébé : une idée à la fois ingénieuse et touchante, qui nous émeut encore plus.

Le décor est simple, mais il permet de recréer les différents lieux : un mur blanc dans lequel s’ouvrent des portes et des fenêtres avec des rideaux blancs. Nous passons alors de l’hôpital à la maison ou encore au tribunal de manière fluide.

Un sujet sensible – quel titre antiphrastique ! – traité de manière délicate et qui ne peut qu’interroger chacun d’entre nous sur ce qu’est la parentalité. Une pièce remplie d’amour, malgré les injustices dénoncées, avec des acteurs touchants et émouvants.

Sandrine. Photo Elodie Roy

« 1984 ». Factory. Off Avignon 2024

Terrible !

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La Factory, Théâtre de L’Oulle, 17h10, durée : 1h40. Du 3 au 21 juillet, relâche les 9 et 16 juillet. Réservations au 09 74 74 64 90

Cette pièce est l’adaptation du roman de Georges Orwell 1984, une dystopie dans laquelle une dictature dirigée par Big Brother contrôle tout et tout le monde, surveille même jusqu’aux pensées des êtres humains. Winston et Julia n’adhèrent pas à cette idéologie, ils ont compris que tout n’est que mensonge, ils ont enfreint l’une des règles de cette société nouvelle : ils se sont aimés. En conséquence, ils vont être torturés jusqu’à se trahir l’un l’autre, ils vont subir un véritable lavage de cerveau et l’on nous annonce même l’exécution de Winston alors qu’il est rentré dans le moule dicté par cet État.

Pour mettre en scène ce roman, Gaële Boghossian et Paulo Correia nous plongent par des effets numériques et spéciaux dans un univers totalement oppressant de surveillance complète. Derrière un immense rideau blanc, sur lequel nous verrons apparaître diverses projections, Winston est suspendu par des cordes et reçoit des décharges électriques qui le font littéralement voler chaque fois que ses réponses ne sont pas celles attendues. Nous sentons la tension, nous assistons impuissants à cette séance de torture redoutable. Dans une sorte de cabine comme suspendue, elle aussi, O’Brien l’interroge de manière implacable. Ce sera ensuite le même dispositif pour Julia.

Les acteurs jouent avec beaucoup de puissance et un très grand réalisme, tant Paulo Correia en manipulateur autoritaire que Damien Remy et Judtih Rutkowski pour ses victimes. Leur performance d’acteur est époustouflante.

L’univers créé est dérangeant, on est souvent mal à l’aise de devenir des témoins inactifs de ces tortures subies. Nous sommes véritablement troublés par cette œuvre qui dénonce d’une manière cinglante les manipulations et les crimes des dictatures et qui nous avertit des dangers que l’on encourt à s’y opposer. Le dispositif immersif créé par le numérique renforce ce trouble.

Malgré tout nous avons aimé cette pièce car les messages qu’elles véhiculent sont nécessaires et elle nous pousse autant à la réflexion qu’à l’action.

Sandrine. Photo Meghann Stanley