Ou quand le mythe rattrape le réel
Carrière de Boulbon (13150). Durée : 2h. Captation vidéo les 4 et 5 juillet 2024. Spectacle diffusé en direct le 5 juillet sur France 5 et disponible sur france.tv
Hécube, pas Hécube. Tiago Rodrigues. France – Portugal / Création 2024
Avec les interprètes de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi. Texte et mise en scène, Tiago Rodrigues. Traduction, Thomas Resendes (français). Scénographie, Fernando Ribeiro. Costumes, José António Tenente. Lumière, Rui Monteiro. Musique et son, Pedro Costa. Collaboration artistique, Sophie Bricaire. Traduction pour le surtitrage, Panthea. Production, Comédie-Française. Coproduction Festival d’Avignon. Avec le soutien de la Ville de Boulbon, Fondation pour la Comédie‑Française et de la Spedidam pour la 78e édition du Festival d’Avignon. En partenariat avec Théâtre de la Cité, Centre dramatique national Toulouse Occitanie. Captation en partenariat avec France Télévisions
Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues, traduction Thomas Resendes, est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs en juillet 2024.
Avec des extraits de Hécube d’Euripide, traduction Marie Delcourt-Curvers, publié aux éditions Gallimard.
Dans la défaite de Troie, Hécube est une femme qui a tout perdu et qui réclame justice. Or cette tragédie grecque d’Euripide vient percuter la vie personnelle de la comédienne qui l’incarne. Une adaptation moderne écrite pour la Comédie-Française.
Il y a le site : la minérale et monumentale Carrière de Boulbon. Il y a les interprètes : les sept sublimes comédiens de la Comédie Française. Et il y a le génie du grand orchestrateur de tout ça : Tiago Rodrigues, l’artiste directeur du Festival d’Avignon, qui signe le texte et la mise en scène de cette tragicomédie contemporaine. Puisant sa source d’inspiration dans l’Antiquité grecque, il retrouve l’héroïne de la tragédie d’Euripide, Hécube, la reine de Troie, aujourd’hui méconnue, réduite en esclavage par les Grecs après la défaite de la ville, et séparée de ses enfants, que les vainqueurs se sont partagés. Quand elle retrouve son dernier fils, cédé au roi de Thrace, assassiné, son corps sans sépulture, elle planifie sa vengeance et plaide sa cause auprès d’Agamemnon… C’est cette femme blessée, symbole de justice, qui a retenu l’attention de notre directeur, féru des auteurs classiques. Mais pour qu’elle parle à chacun de nous, spectateurs du XXIe siècle, il a imaginé une histoire écrite sur-mesure pour et avec ces actrices et acteurs du Français.
C’est ainsi qu’est né ce texte, poétiquement, théâtralement et politiquement très fort, brodé autour de l’héroïne actuelle Nadia, comédienne qui répète son rôle pour une pièce en création, Hécube d’Euripide, et mère courage d’un petit garçon autiste, victime de maltraitance dans l’institut qui l’accueille. Reine de Troie des temps modernes, mère déchirée qui réclame justice, Nadia, au fil du procès, a bien du mal à répéter tout en étant rattrapée par le personnage qu’elle doit interpréter. Pétrie d’humanité et d’amour, Elsa Lepoivre, toute en nuances, est grandiose dans le rôle. Denis Podalydès, en procureur-Agamemnon magnanime, est attachant et détend l’atmosphère. Grandiloquent, Loïc Corbery, ignoble roi de Thrace ou minable représentant de l’Etat, est parfaitement révoltant et écœurant. Baigné dans des lumières bleues et jaunes, la troupe évolue autour de l’immense statue d’une mère chienne, autre héroïne de la série préférée du jeune autiste qu’il voit en boucle avec sa maman. Et autre clin d’œil à Hécube qui, selon la mythologie, est transformée en chienne par Héra pour avoir osé résister à Agamemnon. Nadia et Hécube, même combat, celui de deux mères enragées prêtes à tout pour arriver à leurs fins et obtenir justice, et dont les mots se mêlent et se confondent pour se fondre dans un même discours alors que le procès suit son cours et que la sentence se rapproche. Sur les gradins, le public, haletant, frémit, s’indigne, pleure, rit à la vue de ce spectacle qui redonne foi en la justice et en l’être humain. Merci les artistes !
Marie-Félicia. Photos Christophe Raynaud de Lage
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