Sobriété et distinction autour de Karine Deshayes
Opéra-comique en quatre actes. Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Musique de Georges Bizet (Editions musicales Leduc)
Création à l’Opéra-Comique à Paris le 3 mars 1875. Production des Chorégies d’Orange 2015
Direction musicale, Laurent CAMPELLONE. Direction des chœurs, Aurore MARCHAND. Direction de la Maîtrise, Florence GOYON-POGEMBERG. Etudes musicales, Hélène BLANIC
Mise en scène, décors et costumes , Louis DÉSIRÉ. Assistante à la mise en scène, Irène FRIDRICI. Assistant décors et costumes, Diego MENDEZ- CASARIEGO. Lumières, Patrick MÉEÜS.
Carmen, Karine DESHAYES. Micaëla, Ludivine GOMBERT. Frasquita, Clémence TILQUIN. Mercédès, Albane CARRÈRE
Don José, Florian LACONI. Escamillo, Christian HELMER. Zuniga, Thomas DEAR. Moralès, Philippe-Nicolas MARTIN. Le Dancaïre, Philippe ERMELIER. Le Remendado, Raphaël BRÉMARD
Orchestre Régional Avignon-Provence. Chœur et Chœur supplémentaire de l’Opéra Grand Avignon, direction Aurore Marchand. Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, direction Florence Goyon-Pogemberg
Les décors ont été fabriqués dans l’Atelier Artefact (Courthezon). Les costumes ont été réalisés dans le Petit Atelier de Marseille. Les costumes des toreros ont été fournis par la Maison Cornejo (Madrid) et les chaussures par la Maison Calzature Epoca (Milan)
Côté couloirs, on déplorait la mise en scène « sombre » de Louis Désiré, qui a répondu par des baisers aux quelques sifflets du salut final. Mais rien de commun avec les huées qu’il avait partagées avec le chef Mikko Franck aux Chorégies l’été dernier.
Côté salle, des applaudissements nourris, prolongés, debout même pour certains.
Pour ma part, je garde quant à la production le même sentiment favorable qu’alors. Mais sur une scène plus exiguë, elle a trouvé plus juste écrin à sa mesure. Sobriété, distinction, élégance, « à la limite du drame bourgeois » persiflaient certains…
Louis Désiré s’est libéré – justement parce qu’il vit en Espagne, m’a-t-il dit ensuite en riant – de toute espagnolade, volants, castagnettes, et mains sur les hanches cavalières. Dans la présence obsédante des cartes à jouer de tous formats, déclinées en décor menaçant, en tapis moelleux, ou en pluie moqueuse, les costumes dessinent une uniformité cohérente. Le noir n’est guère troué que par le jaillissement scintillant de l’habit de lumière d’Escamillo, et la muleta éclatante dont Carmen se drape en élégante robe de fête.
Du coup, le spectacle séduit en profondeur plus qu’il n’enthousiasme dans l’instant.
Et le plateau n’en prend que davantage de relief. Un plateau jeune et français, comme Raymond Duffaut en a le secret, une distribution talentueuse, à la projection solide et au phrasé précis. Ni Kaufmann ni Kate Aldrich, certes, dont la passion brûlante avait soulevé le théâtre antique. Mais un plateau de classe et de retenue, tous des familiers de l’œuvre et de leur rôle. Familiers, et imprégnés jusqu’à un naturel qui donne plus de valeur à l’émotion, même fugace, d’un Florian Laconi (Don José) ou d’une Ludivine Gombert (Micaëla) : les couleurs miroitantes du ténor, et la juvénile sagesse de la soprano aux aigus limpides, composent en effet un couple attendrissant.
Karine Deshayes domine évidemment la distribution, en une Carmen inattendue, toujours distinguée, jamais emportée, sans cesse contrôlée, mais tellement juste ! A l’opposé – et à l’égal – d’une Julia Migenes qui a intensément marqué le rôle, et à distance d’une Béatrice Uria-Monzon à laquelle je n’ai jamais totalement adhéré. L’ampleur profonde de sa voix lui ouvre des aigus éclatants et des médiums ronds, épanouis, sensuels. Ses deux amies, Frasquita et Mercédès (Clémence et Albane Carrère – notre entretien – que nous avons récemment appréciée dans un rôle aux antipodes, Senza sangue : future Carmen pétillante ?), cultivent avec le même bonheur une espièglerie fruitée et une gravité frémissante, dans des timbres agréablement mariés, et une présence qui donne une réplique consistante au rôle-titre. Quant au fringant Escamillo (Christian Helmer), il sait moduler ses effets vocaux et scéniques.
Les chœurs, ni plus mobiles ni plus sémillants qu’à Orange, se trouvent en accord avec l’intimisme de la scène avignonnaise. Laurent Campellone – notre entretien -, appelé pour remplacer l’Avignonnais Alain Guingal empêché pour raison de santé, a partagé avec un Orchestre en grande forme une véritable complicité.
Les jeunes de la Maîtrise, formés par Florence Goyon-Pogemberg, ne déméritent pas. Ils campent crânement les gardes montante et descendante et tiennent gaillardement leurs rôles de petits soldats, avec une diction qui n’a rien à envier à leurs aînés et qu’on a eu maintes fois l’occasion de saluer, notamment dans les Carmina Burana des Chorégies 2014.
Quid maintenant de la Traviata de Louis Désiré aux Chorégies 2016 ? (Texte G.ad. Photos Cédric Delestrade-ACM-Studio).