American Dream : un voyage à deux pianos au cœur de l’Amérique musicale

Depuis plus de dix ans les époux franco-russes Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle forment l’un des plus beaux duos de pianistes au monde. Ils signent un nouvel enregistrement d’exception avec la sortie de leur album American Dream, publié en collaboration avec l’Orchestre Victor Hugo, placé sous la direction de Jean-François Verdier. Ce projet ambitieux met en lumière les œuvres pour deux pianos et orchestre, écrites par trois compositeurs peu ou pas connus qui ont marqué l’histoire musicale des États-Unis : Amy Beach, Dana Suesse et Victor Babin.
Un répertoire rare, un éclairage neuf
L’album rassemble trois partitions malheureusement rarement enregistrées, toutes pensées pour l’alliance spectaculaire et subtile de deux pianos dialoguant avec l’orchestre. En choisissant ce répertoire, Berlinskaya et Ancelle poursuivent leur démarche artistique : défendre des œuvres injustement oubliées, ce qu’ils ont déjà réalisé précédemment avec la sortie de leur album en hommage à la musique de George Gershwin (1898-1937) et Alexander Tsfasman (1906-1971). Ils offrent un nouveau regard sur le patrimoine pianistique et dévoilent, à travers des choix audacieux, la richesse des esthétiques musicales du XXᵉ siècle américain. Le « rêve américain » est en effet le fil conducteur de cet enregistrement.
Amy Beach : pionnière et visionnaire
Figure incontournable de la musique américaine, Amy Beach (1867-1944) est essentiellement autodidacte. On lui doit de nombreuses compositions pour piano, voix et piano, musique de chambre, œuvres chorales, symphonie et concerto. Elle est aujourd’hui redécouverte pour son œuvre particulièrement originale. Sa partition pour deux pianos et orchestre, d’une ampleur symphonique et d’un lyrisme vibrant, s’impose ici comme un sommet de l’album American Dream. Le duo Berlinskaya-Ancelle en révèle la profondeur émotionnelle et met en valeur le côté résolument romantique de l’œuvre, soutenu par la direction précise et chaleureuse de Jean-François Verdier.
Dana Suesse : la « Gershwin au féminin »
Née en 1909 à Kansas City, Dana commence le piano avant même de savoir marcher. À huit ans, elle compose sa première chanson, et danse dans des spectacles où elle remplace parfois le pianiste. À 16 ans, Dana part pour New York. Elle y étudie avec un ancien élève de Franz Liszt, l’un des professeurs de Gershwin, mais surtout elle commence à écrire des chansons qui vont devenir de véritables tubes, comme « You Oughta Be in Pictures ». Surnommée en son temps la « Gershwin Girl », Dana Suesse fut l’une des figures les plus talentueuses de la scène américaine entre les années 1930 et 1950. Elle a mis du swing dans la musique américaine. Ses compositions, teintées de jazz d’élégance populaire et de raffinement harmonique, trouvent dans ce disque une interprétation pleine de vitalité. Les deux pianistes y captent avec finesse son sens du rythme et de la couleur, dans une œuvre où le dialogue des claviers rappelle l’énergie de Broadway, des réminiscences de Gershwin autant que l’héritage classique.
Victor Babin : virtuosité et éclat orchestral
Le troisième compositeur à l’honneur, Victor Babin, né en 1908 à Moscou émigre aux Etats-Unis en 1937 avec son épouse Viktoria Vronskaya, elle-même pianiste. Leur duo fait fureur auprès d’un auditoire averti ; il est méconnu du public car très rarement produit sur scène. C’est en 1957 à Cleveland sous la direction de Georges Szell qu’ils créent le très virtuose concerto pour deux pianos que l’on trouve dans cet enregistrement. Cette pièce, construite sur un échange virtuose entre les deux instruments, offre aux interprètes l’occasion de déployer toute leur complicité pianistique, fruit de longues années de jeu partagé. Le duo Berlinskaya-Ancelle, reconnu internationalement pour la cohésion de son jeu et son engagement artistique, propose ici une lecture aussi précise qu’inspirée, à la fois incisive et poétique. Leurs deux pianos se répondent, se complètent, s’affrontent parfois dans cette œuvre techniquement très performante dans une complicité sonore que Jean-François Verdier enveloppe d’un orchestre tantôt flamboyant, tantôt délicatement transparent.
Avec American Dream, les artistes signent un voyage qui révèle une Amérique musicale à la fois romantique, moderne, audacieuse et profondément humaniste. Cet album s’impose déjà comme une référence pour les amateurs de piano à quatre mains, pour un public friand de raretés orchestrales et de découvertes musicales. Une invitation à redécouvrir la diversité et la richesse du rêve américain, au son de deux pianos parfaitement en harmonie.
D.B.
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