L’excellence au bout du clavier
La Roque d’Anthéron, Parc du Château de Florans, 21h, 24 juillet 2019
Abdel Rahman El Bacha, piano , « Fantaisies »
Mozart : Fantaisie en ut mineur K. 475. Beethoven : Fantaisie en sol mineur opus 77. Schumann : Fantasiestücke opus 111. Chopin : Fantaisie en fa mineur opus 49. Mendelssohn : Fantaisie en fa dièse mineur opus 28. Scriabine : Sonate-Fantaisie en sol dièse mineur opus 19. De Falla : Fantasia Baetica. Balakirev : Islamey, fantaisie orientale
Magnifique concert que celui donné le 24 juillet à la Roque d’Anthéron avec Abdel Rahman El Bacha. Un programme très classique et résolument virtuose sous l’intitulé « Fantaisies ».
Le seul nom du soliste a attiré un public averti malgré une chaleur torride, soirée rythmée par le chant des cigales bien présentes !
La Fantaisie en ut mineur K475 de Mozart est une simple mise en bouche pour le célèbre pianiste. Abdel Rahman El Bacha aborde l’œuvre avec une présence digne de son talent : aisance, maturité, légèreté, tout y est. Sa maîtrise technique et son phrasé sensible touchent à la nature profonde du compositeur.
Ses compositeurs fétiches viennent ensuite, avec Beethoven, Schumann et Chopin.
Conçue pour mettre en valeur les qualités d’improvisateur de Beethoven, la Fantaisie op77 fait apparaître une large variété de motifs, arpèges, changements incessants de tempi, qui ne sont pas sans rappeler Carl Philipp Emanuel Bach. Avec son jeu d’une grande concentration émotionnelle, le pianiste nous sert une interprétation d’une grande rigueur que le compositeur n’aurait pas reniée.
La Phantasiestücke op111 de Schumann est moins populaire que l’op12. On pense qu’elle a été écrite comme un hommage à l’op111 de Beethoven en raison de la prédilection de Schumann pour cette Sonate. On remarquera la grande cohérence dans la programmation d’El Bacha. Cette Phantasiestücke révèle la fougue, l’impétuosité et la jeunesse intérieure du compositeur suivies d’une atmosphère contemplative et paisible. Le public est transporté par l’aisance et la classe de l’interprète. Dans la brillantissime Fantaisie en fa mineur op 49 de Chopin, El BACHA maintient le rythme à travers le passage de la « marche triomphale » comme s’il voyageait vraiment vers une destination.
Après l’entracte les cigales se sont tues pour laisser place à un répertoire résolument virtuose. Mendelssohn avec la fantaisie en fa dièse mineur op28 (en trois mouvements) ouvre cette seconde partie de la soirée. Le premier mouvement presque schumannien, est suivi d’un allegro sans véritable péril et d’un presto où l’on trouve toute la folie digitale qui est une des signatures majeures du langage pianistique de Mendelssohn. Cette pièce possède une respiration puissante mise en valeur par le pianiste.
Et nous allons crescendo dans la difficulté avec les deux mouvements enchaînés sans interruption de Scriabine dans sa Sonate-Fantaisie n°2 en sol diese mineur op 19. Son exécution dure un peu plus de dix minutes. D’inspiration marine selon certains, son premier mouvement peut évoquer le mouvement des vagues, le second exprimant la tempête. Il s’agit d’une œuvre de jeunesse, dont elle a la fougue, l’élan et l’inspiration romantique. Le pianiste nous entraîne sur son Bechstein dans cette lecture hallucinante, passant du romantisme le plus profond à la virtuosité extrême.
Avec Manuel De Falla et la Fantasia Baetica El Bacha retrouve les accents hispanisants qui lui sont chers. Nous avions savouré en 2017, toujours au festival de La Roque, le pianiste dans Granados (Goyescas) et dans Préludes Andalou de ses compositions en 2018. Aujourd’hui, dans la Fantasia de Manuel De Falla, à l’origine composée pour Arthur Rubinstein, le flamenco est très présent. L’élégance des phrasés jamais stéréotypés, la constante sérénité du jeu donnent à ce concert un caractère unitaire extrêmement fort et l’impression que l’originalité orientale nous fait errer vers d’autres mondes harmoniques. Pour clore la soirée, Abdel Rahman El Bacha a programmé une œuvre qui a longtemps été considérée comme l’une des pièces les plus difficiles à exécuter jamais écrites en raison de ses difficultés techniques. La Fantaisie orientale Islamey a été inspirée à Balakirev lors d’un voyage dans le Caucase où il a entendu une mélodie de danse folklorique. L’interprète se joue des difficultés et nous entraîne dans une lecture folle de la partition ; on le voit suer à grosses gouttes, il donne tout à son public, son énergie et sa passion. Ce dernier est conquis, subjugué par tant de talent. Devant l’ovation qui lui est faite, le pianiste ne se fait pas prier pour offrir en bis le Second impromptu op 162 de Schubert suivi de la Fantaisie impromptue de Chopin.
A aucun moment Abdel Rahman El Bacha n’a cédé à la facilité, il nous a offert une soirée magnifique, pleine de classe et de talent. Un homme généreux, inépuisable, inégalé ! (D.B. Photos D.B. & Christophe Gémiot).
Voir ce musicien dans les pages de Classiqueeprovence : entretiens en juillet 2016 et janvier 2019, comptes rendus de récital à La Roque en 2017 , à La Roque en 2018, et à Carpentras en janvier 2019.
On retrouvera le pianiste pour un concert symphonique en octobre 2019 avec l’Orchestre Régional Avignon-Provence.
Laisser un commentaire