Sans doute ce qu’on appelle la grâce ?
Samedi 14 octobre 2023, 20h, durée 1h. Avignon – Théâtre du Chêne Noir
Dans le cadre de la 7ème Semaine italienne d’Avignon
Victor Julien-Laferrière, violoncelle. Justin Taylor, clavecin
Vivaldi / Geminiani
Francesco Geminiani, Sonate en la mineur, opus 5 n°6. Benedetto Marcello, Adagio BWV 974 (transcrit par Johann Sebastian Bach pour clavecin, d’après le concerto pour hautbois de Marcello) ; Sonate en sol mineur, opus 2 n°6. Francesco Geminiani, Sonate en do majeur opus 5 n°3. Antonio Vivaldi, Sonate en si bémol majeur, opus 5 n°6. Johann Sebastian Bach, Concerto BWV 972 (d’après Vivaldi, Estro Armonico , opus 3 n°9). Antonio Vivald, Sonate en mi mineur, opus 5 n°5
En co-réalisation avec le théâtre du Chêne Noir, avec le soutien de Petit Palais Diffusion, en co-réalisation avec l’Opéra Grand Avignon
Samedi 14 octobre, 20h, Théâtre du Chêne Noir. Réservations : www.operagrandavignon.fr, ou 04 90 14 26 40.
Voir aussi la saison 2023-2024 de Musique Baroque en Avignon
Geminiani et Vivaldi en ouverture de la saison de Musique Baroque en Avignon, dans le cadre de la 7e Semaine italienne d’Avignon : affiche somptueuse ! Surtout quand les Sonates pour violoncelle et clavecin sont interprétées par les très talentueux Victor Julien-Laferrière et Justin Taylor
J’aime à dire qu’un concert s’apprécie aussi à la qualité du silence.
En ce samedi soir, alors qu’à l’extérieur le monde est devenu comme fou, au milieu des bombes et des catastrophes, c’est une parenthèse de paix que vivent quelques centaines de mélomanes. Un cadre, des talents, un programme…
Un cadre historique
Jouer dans un Zénith ou dans une chapelle de montagne n’est pas indifférent. Le concert de ce samedi se tient dans un de ces multiples lieux classés M.H. du centre d’Avignon ; une ancienne chapelle conventuelle du XIIIe siècle, devenue depuis plusieurs décennies le fief de l’une des « scènes historiques d’Avignon », le théâtre du Chêne noir (site officiel), dirigé par Gérard Gelas puis Julien son fils. Le Chêne noir fête ce soir son ouverture de saison, tout comme Musique Baroque en Avignon (site officiel) dont le même lieu avait accueilli en 2022 un ébouriffant récital de Jean Rondeau qui avait fait salle pleine.
Des artistes de talent
Sur scène ce soir, un duo dont on perçoit vite l’amicale complicité tissée au long de plusieurs années de projets communs, menés dans un enthousiasme juvénile qui n’exclut pas une solide maturité artistique.
Ce sont donc deux des meilleurs jeunes artistes de la scène française qui interprètent ces sonates, concertos et transcriptions qu’ils ont sélectionnés. Victor Julien-Laferrière, violoncelliste virtuose, lauréat du Concours Reine Elisabeth en 2017 et Victoire de la Musique en 2018, et désormais chef d’orchestre – son rêve de toujours -, est légitimement sollicité par les scènes, orchestres et festivals internationaux ; on l’avait entendu avec bonheur en 2019 à l’Opéra Confluence avec l’Orchestre National Avignon-Provence. Il dialogue avec le jeune Justin Taylor, que Musique Baroque avait accueilli récemment en récital à deux clavecins avec William Christie en juin 2023, et quelques années auparavant en solo, et avec son ensemble le Consort et Eva Zaïcik en 2022 à Bonnieux ; on ne peut que se réjouir de réentendre cet artiste pétillant et prometteur, qui clôt et ouvre deux saisons consécutives de MBA.
Un programme construit pour l’occasion avec un soin minutieux
Les deux artistes ont préparé un programme spécial pour cette 7e Semaine italienne d’Avignon, hésitant parfois entre telle et telle sonate, mais se retrouvant sans hésitation à l’unisson sur certaines pièces, par exemple sur le 1er mouvement du Concerto en si bémol majeur de Vivaldi ; ou sur la transcription par Bach… – « qui dépasse l’original ! » – du mouvement lent du Concerto BWV 972, initialement composé pour violon. Des pièces de fine dentelle, émouvantes, qui font percevoir à quel point, comme le dira encore Justin Taylor avec gourmandise, « le baroque, c’est toujours une affaire de redécouverte ».
Nous y étions…
Le concert présente en effet une musique qui ne cesse de surprendre, rythmée et dansante, toujours jeune et souriante, même en mode mineur, même quand elle s’attriste et s’alanguit.
Le violoncelle du XVIIIe siècle que joue Victor Julien-Laferrière, tenu sans pique comme une viole de gambe, s’émancipe de son rôle de continuo pour devenir soliste, dialoguant avec le clavecin ; il marie son timbre ample, chaud, profond, au chant clair, léger, scintillant du clavecin. Avec, chez l’un et l’autre, des passages d’une extrême virtuosité où doigts et archet courent, sautillent, caressent… La Sonate op. 5 de Geminiani est ainsi un bijou ciselé dans toute la palette de ses nuances miroitantes, avec un continuo délicat, un vibrato très léger. Le Prélude de Scarlatti, lui, fait chatoyer sa modernité aux accents du violoncelle.
Si l’on a souvent comparé le violoncelle à la voix humaine, lui conférant une place particulière parmi les instruments, le clavecin pour autant « ne se contente pas d’être l’instrument qui pépie au fond de l’orchestre », mais il peut assurément « émouvoir, montrer une sensibilité, être sensible…, comme j’essaie de vous le communiquer », précise Justin Taylor avec une chaleureuse simplicité, lui qui espère bien « avoir plus joué que parlé » au long du concert, plaisante-t-il. Et cette sensibilité, cette finesse, il la dessine tout particulièrement dans les quelques pièces en solo qui « respirent » avec plus d’intimité entre les morceaux partagés.
De plus en plus, en récital ou mode chambre, les artistes présentent, commentent, expliquent, plaisantent, et désacralisent la musique, offrant des clefs d’écoute, laissant croire au public, comme le disait malicieusement un de nos chroniqueurs en coulisses, qu’ils partagent avec lui, et lui seul, un secret précieux. Ainsi, l’on apprécie mieux ce qu’on comprend, on se régale mieux avec ce que l’on a d’abord goûté, et le public est pleinement participant. Entre deux morceaux, Justin Taylor, toujours très à l’aise, se permet même de taquiner son partenaire, plus réservé, qui se perd dans ses feuilles de partitions…
Plusieurs raccords sont nécessaires au cours de l’heure quinze que dure le concert, ponctué par deux rappels, le second étant le fameux mouvement de Vivaldi, que les artistes veulent faire savourer, encore et encore.
Ce qui reste en mémoire du concert, longtemps après que les lumières se sont éteintes, c’est une double voix qui se tresse, s’enroule, comme si le duo gommait et dépassait les virtuosités propres de chacun des instruments. Et c’est aussi une ambiance, l’impression d’avoir vécu un moment d’exception, qui, au-delà même de la musique et du talent de chacun des musiciens, rend plus léger l’instant partagé. C’est sans doute ce qu’on appelle la grâce.
Voir aussi les entretiens de MBA avec Justin Taylor et avec Victor Julien-Laferrière
Prochain concert : Samedi 11 novembre 2023, 17h, Auditorium de la Collection Lambert, Avignon. Zachary Wilder, ténor ; Ensemble la Chimera ; Eduardo Egüez, direction. Voir l’entretien de MBA avec Zachary Wilder.
G.ad. Photos G.ad.
G.ad. Photos Jean-Baptiste Millot
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