Energique et palpitante
Le samedi 2 mars 2024, à L’Autre Scène du Grand Avignon, Vedène
Régine Chopinot, Compagnie « Cornucopiae-the independent dance »
Conception et chorégraphie,Régine Chopinot
Avec :Nicolas Barillot, Tristan Bénon, Mellina Boubetra, Prunelle Bry, Bekaye Diaby, Naoko Ishiwada, Sallahdyn Khatir, Vincent Kreyder, Nico Morcillo, Deyvron Noel, Julien Roblès
Batterie, Vincent Kreyder. Guitare, Nico Morcillo. Son, Nicolas Barillot. Lumières, Sallahdyn Khatir. Vêtements,Auguste de Boursetty
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Une scène vide, balayée par un faisceau lumineux oblique. Deux rectangles de lumière dessinent deux portes en fond de scène. Dans l’ombre, des silhouettes immobiles. Un tintement, puis plusieurs. On devine des corps qui s’animent. L’immobilité, de façon imperceptible, devient mouvement. Le silence se fait musique. Le « top » départ du spectacle est donné en douceur, en lenteur. Un bras traverse le rayon de lumière blanche, puis retourne dans l’ombre. Deux bras s’inscrivent sur fond de rectangle rouge, se parlent, disparaissent. C’est fugace, minimal, très beau. L’écriture des corps alliée à celle de la lumière, parfaitement utilisée, révèle des espaces, les referme. Très peu de choses pour nous embarquer au cœur du propos : lumière, mouvement, espace, temps. Retour à l’essentiel.
Soudain, la scène est rendue à une lumière crue. Les corps se révèlent, la musique – batteur et guitariste présents sur scène – explose. Et avec elle déferle la formidable énergie des danseurs et danseuses qui explorent tous les champs de la marche, du saut, du bond, et arpentent inlassablement l’horizontalité de la scène, comme pris par l’urgence de vivre. On reconnaît le propos de Régine Chopinot, explorant le registre des gestes élémentaires déroulés à grande vitesse, à corps perdus, puis plus lentement, pour rendre son sens à chaque geste, a priori insignifiant. L’effet répétitif n’épargne pas au spectateur une certaine monotonie. Asymétrie, déséquilibres viennent rompre la répétition. Parfois l’un des danseurs aboie, et il faut une bonne dose d’humour pour surmonter le léger malaise produit. A d’autres moments, une course-poursuite dans la pénombre entre une danseuse et un danseur-chien laisse perplexe. Dans sa quête pour déconstruire et reconstruire la danse, la chorégraphe échoue parfois à nous embarquer.
Heureusement, la lassitude ne s’installe guère. Changements de tableaux et ruptures de rythme apportent leur lot de poésie, émaillant le spectacle d’instants fragiles. Oh ces moments quasi immobiles de danseurs naufragés, embarqués sur un hypothétique radeau dans la tempête ! Leurs paroles emportées par le vent nous font entendre l’inaudible. Nous voici cueillis, conquis. Viennent d’autres instants magiques. Une séquence où les bras immenses d’un danseur vivent leur propre vie, superbes serpents. Une autre où une jeune danseuse, sorcière aux prises avec une puissance invisible, convoque en retour, de tous ses bras, de tout son corps, une étrange force. Rien de frontal, pas de séduction tonitruante. Des envolées où chaque danseur, chaque danseuse, est une présence unique. Jusqu’à l’au-revoir des danseurs, ensemble sur un coin de scène, et cette main lentement agitée, comme ralentie par un espace-temps qui déjà s’agrandit et nous éloigne. L’engagement de chacun est total et subtil. On mesure l’ambition de la démarche, de la prise de risque en commun, dans un collectif où sans cesse la danse se réinvente. Sans doute faut-il méditer aussi l’avertissement écrit en préambule au spectacle : « top » est un iceberg, ne voyez pas que la partie émergée. C’est une pièce sans cesse recommencée, avec des danseurs qui arrivent, qui partent, chacun apportant sa pierre à l’édifice, sa personnalité.
A l’issue du spectacle, Régine Chopinot, discrète et élégante, cheveux gris et courte frange, monte sur scène et prend soin de présenter les danseurs venus de tous horizons, un à un, sans oublier celle qui, ce soir-là, n’est pas là car au chevet de sa grand-mère au Vietnam. L’ouverture au monde, aux influences d’ailleurs : le creuset même de la compagnie Cornucopiae, ouverte aux apports d’autres continents. Puis elle invite le public à rejoindre la compagnie sur scène pour partager une dernière danse. Une séquence joyeuse, échevelée, qui vient conclure joyeusement ces Hivernales.
C.I. Photos Vincent Lappartient (1 & 2) et Bénédicte Dey (3=
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