Quelle soirée ! Difficile de ne pas être dithyrambique…
Vendredi 5 août 2022, 21 h, Auditorium du Parc, Festival International de Piano de La Roque-d’Anthéron (site officiel et notre présentation)
Sinfonia Varsovia
Aziz Shokhakimov, direction
Alexandre Kantorow, piano
P.I. Tchaikovski, Concerto pour piano et orchestre n° 2 op. 44. F. Liszt, Concerto pour piano et orchestre en la majeur
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Quelle soirée ! Difficile de ne pas être dithyrambique à l’issue d’un tel concert, tant le soliste, le chef et l’orchestre ont été à un niveau exceptionnel.
Le deuxième concerto pour piano de Tchaïkovski était le premier au menu. Ce concerto, créé en 1881 (à New York !), puis remanié par le compositeur en 1888, peut-être considéré comme lui étant inférieur, a longtemps été occulté par son célébrissime aîné, le premier. Il n’est apparu, du moins en Europe occidentale, dans la discographie et au répertoire des pianistes, qu’au tout début des années 1990. J’eus le plaisir de l’entendre pour la première fois en concert à Montpellier en 2000, par Dmitriev, Elisabeth Léonskaia et le Symphonique de Saint-Pétersbourg. La Roque-d’Anthéron ne l’a, non plus, pas boudé, je l’y entendais pour la quatrième fois depuis 2009. Mais la version donnée ce soir par deux jeunes musiciens, Alexandre Kantorow (25 ans) et le chef ouzbek Aziz Shokhakimov (35 ans), directeur musical, depuis peu, du Philharmonique de Strasbourg, et le Sinfonia Varsovia, bien connu des festivaliers, restera gravé dans les mémoires. Tous unis dans une réelle complicité, ils ont su défendre l’œuvre, d’une belle richesse musicale et techniquement exigeante, avec énergie et engagement, et la porter au niveau des plus grands concertos. Il est vrai que la partition n’était pas pour eux une découverte. Le Sinfonia Varsovia l’avait déjà à son répertoire et c’est elle qui fit de Kantorow en 2019 à Moscou le premier Français lauréat du prestigieux Prix Tchaïkovski. Autant dire que tous la maîtrisaient parfaitement.
Les indications du compositeur furent respectées. L’allegro brillante et molto vivace fut engagé, animé, passionné, le soliste brillant de toute sa virtuosité, notamment dans les cadences. L’andante non troppo fut un moment magique, le duo violon (Adam Siebers) / violoncelle (Marcel Markowski) arrivant à voler la vedette au piano ou se joignant à lui pour un charmant trio sur fond de pizzicati. Quant à l’allegro con fuoco, il fut bien de feu, fougueux, virtuose.
Le deuxième concerto de Liszt (1861), six mouvements enchaînés, également bien connu des interprètes, fut du même niveau, avec des artistes tout autant engagés. L’adagio introductif, tout en retenue, amène vers une série d’allegros alternant passages fougueux, animés, poétiques ou virtuoses, offrant un beau duo piano / violoncelle dans l’allegro moderato. Le marziale est énergique et le final, après un temps de recueillement, laisse, avec ses glissandos, exploser sa joie.
Dans cette réussite, dans ces interprétations qui semblaient nous faire redécouvrir les œuvres, l’orchestre a montré une belle homogénéité, une belle sonorité, les cordes en particulier, mais aussi les bois, un peu moins les cuivres, peut-être désavantagés par l’acoustique de l’auditorium, répondant parfaitement aux sollicitations du chef et aux variations de dynamique, ne couvrant jamais le piano et en parfait équilibre avec lui. Le chef, à la gestuelle corporelle énergique, engagé, soucieux de précision, affichant sa complicité avec le soliste, a su galvaniser ses musiciens. Quant à Kantorow, il a bien évidemment confirmé son exceptionnelle précocité, ses dispositions et ses qualités qui le placent déjà au sein des meilleurs interprètes de notre époque : toucher remarquable, doigté agile, rapide, précis, virtuosité aisée, sensualité et puissance, mais sans cogner, sachant tirer les meilleures sonorités de son piano, intelligence de l’interprétation et de l’expression des sentiments.
C’est un public des plus enthousiastes, qui avait entièrement empli l’auditorium, qui par ses ovations remercia les artistes, Kantorow, de son côté, félicitant chaleureusement le chef, le premier violon et le premier violoncelle. Ne semblant nullement éprouvé par ces deux œuvres exigeantes, toujours souriant, il accéda ensuite en toute simplicité aux attentes du public en proposant trois bis.
D’abord, en hommage à Nelson Freire, ce qui était l’une de ses pièces préférées, une transcription par Sgambati du thème de la lamentation d’Orphée dans l’Orphée et Euridice de Gluck, recueilli et poétique. Puis vinrent le Sonnet 104 de Pétrarque (2ème année de Pèlerinage, Italie) de Liszt, plus virtuose et passionné, et une transcription par Agosti du final de l’Oiseau de Feu de Stravinsky, berceuse, puis beau crescendo menant à un final de… feu.
Et l’on aurait ainsi continué longtemps si l’orchestre, se levant, n’avait donné le signal du départ.
B.D. Photos Valentine Chauvin
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