Vous auriez imaginé Avignon sans « La Dupoyet » ?
Il y a deux « cas » au Festival Off d’Avignon : William Mesguich et Pierrette Dupoyet. Deux êtres hors du commun, qui vont jusqu’au bout de leurs forces, qui engagent leurs tripes à chaque spectacle, et qui « habitent » Avignon comme personne, avec trois spectacles différents pour chacun et chaque jour.
L’annulation du Festival d’été a évidemment tout bouleversé. William Mesguich joue en ce moment à Paris. Mais Pierrette Dupoyet, elle, est à Avignon, ayant annulé d’autres engagements ; on a le bonheur de la retrouver, dès le premier jour de la Semaine d’art en Avignon, toujours soulevée par la même énergie.
2020 aurait dû être son 38e Festival d’Avignon, ce sera la Semaine d’art. Vous auriez imaginé Avignon sans « La Dupoyet », comme on disait autrefois avec une affectueuse déférence ? Pierrette Dupoyet, fidèle à sa légende, a joué dès le premier jour à la première heure, le 23 octobre à 14h. C’était pour chacun – théâtre, artiste, public – un saut dans l’inconnu ? Alors elle a choisi le spectacle qui l’accompagne depuis 1991 sur les cinq continents et plus de 300 représentations, avec un bout de ficelle, une canne, une écharpe, son Maupassant récital.
L’ambiance est insolite, surtout en ce premier jour pluvieux ? Elle, elle rayonne, toujours volubile et enthousiaste. « On réinvente. Les grandes périodes de chaos permettent justement de se recentrer, de retrouver ce qu’on a vraiment envie de défendre. C’est une vraie leçon d’humanité. On vivait depuis 37 ans dans l’habitude, la chaleur de l’été, la folie de la foule ; ici ce sont des petites salles, parfois sans réservation ; on échappe aux habitudes, on retrouve le cœur qui bat, dans une ambiance fraternelle ».
Jouer devant des masques ? « Je le craignais, mais depuis tout l’été, je vois les regards avides des spectateurs, partout, dans toutes les villes que je traverse ». Pierrette Dupoyet a donc joué tout l’été ? « Je me suis bougée, je n’ai jamais arrêté de jouer cet été, en Touraine, dans une cour de château, dans une grange, dans un pré, j’ai apporté le théâtre devant des gens qui n’en ont pas l’habitude, parfois 6 spectateurs, c’était magique. J’ai même joué mon Léonard de Vinci au Clos Lucé, dans le lieu même du peintre, dans un parc illuminé, devant 1.000 personnes ». Et son regard brille alors d’autant d’étoiles.
Elle est venue à Avignon avec ses derniers livres. Car le confinement, pour elle, a été fécond. Elle a écrit, des pièces, des rêves, partagés avec sa fille Morgane, de la philo, « pour rebondir sur l’actualité ». Et elle a beaucoup échangé, par mail, avec des amis inconnus, « des spectateurs, qui me suivent parfois depuis longtemps, dont je ne connais pas les visages mais qui sont devenus des amis ; ils m’ont écrit leurs angoisses, je leur ai envoyé mes textes d’espérance ».
Elle a un CV long comme le bras, gros comme son cœur, avec des créations par dizaines et dizaines, des livres, des voyages, des focus de radios, des coupures de presse, des rencontres… Elle a joué quantité de personnages, hommes, femmes, tous exceptionnels, en costume, ou sans décor, dans un théâtre ou sur l’herbe.
Elle demeure malgré tout une énigme. Cette femme hors du commun, a-t-elle une recette, pour être partout et avec tous ? Vous lui envoyez un courriel, un texto ? Elle vous répond dans l’heure qui suit, sauf bien sûr si elle est sur scène… Elle est en prise permanente avec le monde et avec les autres, c’est ce qui nourrit sa vie, sa plume et son jeu. Et elle ne cesse de dire merci, à ceux qu’elle rencontre, qui la saluent comme une amie de toujours, aux spectateurs masqués dont elle devine le sourire, à la vie.
Et pour en savoir plus, allez sur son site, toujours actualisé, et commandez son livre 30 ans au cœur du festival d’Avignon, paru en 2014, une plongée au plus près des levers aux aurores, du tractage multi-quotidien, des yaourts avalés à la va-vite, des nuits écourtées, des courses d’un théâtre à l’autre, des affichages nocturnes, des kilos perdus, de la ferveur toujours renouvelée… Et allez la voir à l’Albatros, rue des Teinturiers à Avignon, tous les jours à 14h de le Semaine d’art, dans son Maupassant récital.
G.ad. Photos G.ad. : Pierrette Dupoyet vient de sortir de scène le premier jour, et la porte du théâtre est ouverte sur l’emblématique rue des Teinturiers…
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