« J’ai atteint mon objectif… », avait dit Saint-Saëns
Chorégies 2021. Théâtre antique d’Orange. Samedi 10 juillet 2021. Durée 2h40.
Samson et Dalila, musique de Camille Saint-Saëns (1835-1921), livret de Ferdinand Lemaire
Opéra en 3 actes et 4 tableaux
Création : Théâtre Grand-Ducal de Weimar, 2 décembre 1877
Direction musicale, Yves Abel. Mise en scène, Jean-Louis Grinda. Costumes, Agostino Arrivabene. Costumes (assistante) Françoise Raybaud. Eclairages, Laurent Castaingt. Chorégraphie, Eugénie Andrin. Vidéo, Étienne Guiol et Arnaud Pottier. Etudes musicales, Kira Parfeevets. Coordination chirale, Stefano Visconti
Dalila, Marie-Nicole Lemieux. Samson, Roberto Alagna. Le Grand-prêtre de Dagon, Nicolas Cavallier. Abimélech, Satrape de Gaza, Julien Véronèse. Un messager philistin, Christophe Berry. Un vieillard hébreu, Nicolas Courjal. 1er Philistin, Marc Larcher. 2e Philistin, Frédéric Caton
Orchestre philharmonique de Radio France
Chœurs des Opéras Grand Avignon et de Monte-Carlo
Ballets des Opéras Grand Avignon et de Metz
En coproduction avec l’Opéra de Monte-Carlo et l’Association des Amis des Chorégies d’Orange
Après une année 2020 totalement blanche, les Chorégies d’Orange 2021 sont bien présentes et c’est avec un grand plaisir que le public orangeois a retrouvé le chemin du théâtre antique pour entendre deux grands solistes : Roberto Alagna, un fidèle de la scène orangeoise et Marie-Nicole Lemieux, dans Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns. Depuis quarante ans, sans qu’on sache très bien pourquoi, cet opéra a été oublié des programmations et a été joué pour la dernière fois aux Chorégies en 1978.
Genèse de l’œuvre : En 1866 Camille Saint-Saëns découvre Samson, un livret de Voltaire rédigé pour un projet de tragédie lyrique.
Séduit par le sujet et son contexte à la fois biblique et orientalisant, le compositeur a d’abord pensé à en faire un oratorio, d’autant plus qu’il admire ceux de Haendel (Israël en Égypte) et de Mendelssohn (Paulus, Elias). Il propose la rédaction au librettiste Ferdinand Lemaire, qui l’incite à composer plutôt un « opéra biblique ». Saint-Saëns se laisse convaincre et entame la composition de l’acte 1 de Samson et Dalila en 1868. Le public qui assiste à l’ébauche du projet manifeste son hostilité. Saint-Saëns découragé en abandonne la suite de la composition.
Vers 1870 Franz Liszt, l’un des grands admirateurs du compositeur, l’exhorte à reprendre son projet en composant l’acte II. Il lui promet de créer l’œuvre à Weimar alors qu’il n’en a pas entendu un seul passage ! Saint-Saëns achève l’opéra qui sera créé en langue allemande le 2/12/1877. L’œuvre est applaudie à travers l’Europe mais sa création française n’aura lieu qu’en 1890 à Rouen avant d’être enfin jouée à Paris. Elle ne sera interprétée pour la première fois à l’opéra qu’en 1892 et deviendra alors l’un des piliers de son répertoire. Samson et Dalila reste l’un des opéras français les plus joués dans le monde avec Carmen (G.Bizet), Faust (C.Gounot) et Werther (J.Massenet).
L’argument : Le livret de Samson et Dalila s’inspire du chapitre 16 du livre des juges. Il n’en reprend que les épisodes essentiels.
Acte I : Sur une ouverture symphonique très romantique, Dieu apparaît sous la forme d’un enfant lumineux. Les chœurs (peuple d’Israël) s’avancent sur une mélodie dramatique. « Prends en pitié le peuple et sa misère » Il s’agit des Hébreux, esclaves des Philistins. Samson (Roberto Alagna) assure son peuple de l’aide de Dieu, maudissant ceux qui doutent ; les Hébreux se révoltent et assassinent le satrape de Gaza Abimélech (Julien Véronèse) qui raille leur Dieu, ce qui provoque la colère du Grand Prêtre de Dagon (Nicolas Cavalier). Dès lors celui-ci décide d’utiliser les charmes de la prêtresse Dalila pour séduire et anéantir Samson
Au cours de la fête des Hébreux qui célèbrent le printemps paraît Dalila (Marie-Nicole Lemieux), qui charme Samson.
Acte II : Le grand Prêtre persuade Dalila de séduire Samson et de lui faire avouer le secret de sa force. Dans un premier temps, Samson résiste, ne pensant qu’à son peuple, mais la séductrice perfide est irrésistible, elle exploite les registres les plus avantageux de la voix de mezzo-soprano avec l’air célèbre « Mon cœur s’ouvre à ta voix », d’une sensualité capiteuse.
À « Réponds à ma tendresse ! Verse-moi, verse-moi l’ivresse ! » Samson répond : « Dalila ! Dalila ! Je t’aime !»
Samson ne pourra résister. Dalila profitera de son sommeil pour lui couper les cheveux où réside sa force, elle le livrera aux Philistins.
Acte III : Samson aveugle est réduit à l’esclavage. Les Philistins célèbrent leur victoire dans une grande bacchanale. Samson humilié implore Dieu de lui rendre quelques instants sa force. Dieu répond à son appel. Samson abat les colonnes du temple qui s’effondre sur lui et ses ennemis.
Cet opéra est une synthèse d’éléments disparates que l’art de Saint-Saëns parvient à fondre dans une forme originale : on y trouve la dramaturgie de Wagner bâtie sur l’orchestre, la sensualité mélodique des Italiens, la tradition baroque (Bach et les richesses harmoniques de son temps), et le goût français du rythme et de la couleur. Dans la bacchanale, l’orchestration évoque celle de Bizet ou de Delibes, elle est teintée d’orientalisme, grande mode à l’époque. Cette danse est régulièrement inscrite au programme des concerts symphoniques.
La mise en scène de Jean-Louis Grinda respecte le contexte historique avec des costumes, des danses et des chœurs somptueux. Elle est également moderne par l’utilisation des moyens techniques utilisés comme les décors laser : la destruction finale du temple est particulièrement réussie et saisissante.
L’orchestre de Radio France met en valeur les beautés de l’écriture musicale de Saint-Saëns. Sous la direction précise d’Yves Abel qui est d’un raffinement extrême, l’orchestration foisonnante souligne les richesses d’invention de la mélodie. Le public ne s’y est pas trompé, donnant au salut final une véritable ovation à l’orchestre et à son chef.
Marie Nicole Lemieux mezzo-soprano laisse éclater son talent. Dalila est au centre du drame depuis son entrée au premier acte jusqu’à l’aveu du troisième. C’est une femme libre, ni courtisane, ni prostituée, ni vénale (puisqu’elle refuse l’or que lui propose le grand-prêtre). Elle trahit Samson par vengeance.
Sa voix, aux timbres mordorés possède une ampleur et une volupté nécessaires pour cette Dalila à qui reviennent les plus beaux airs de la partition. Les graves sont profonds. Séductrice, amante perverse et envoûtante, elle sait tout jouer !
Roberto Alagna, magnifique ténor est un Samson bouleversant. Il a la force et la fragilité de son personnage. Il reste le favori du public orangeois.
Julien Véronèse dans le rôle d’Abimélech (baryton-basse) est un peu discret dans sa prestation qui est courte ! Nicolas Cavallier (le Grand Prêtre de Dagon) possède une voix de basse qui, par sa présence donne du relief aux autres personnages, tout comme Nicolas Courjal (deuxième basse) en vieillard hébreux.
Voilà donc à l’affiche des Chorégies, pour le plus grand bonheur du public, un opéra qui est sans doute le meilleur ambassadeur de la musique française du XIX e siècle, celui dont les mélodies sont d’une richesse et d’un charme sans pareil. On ne peut donc que s’y précipiter, surtout si, comme ici, il est dirigé et chanté avec talent et un haut niveau d’exigence. Laissons le dernier mot à Saint-Saëns lui-même qui écrit en 1901 : « J’ai réalisé le rêve impossible de ma jeunesse, j’ai atteint mon objectif : j’ai assez vécu pour laisser des œuvres qui ont une chance de survie. »
D.B. Photos M.A.
NICOLE GOLFIER dit
Bonjour,
Evidemment , vu de sa télé, le spectacle n’a rien à voir avec l’ambiance magique du théâtre antique d’Orange.
Mais J’ai vu et surtout entendu ce magnifique spectacle. j’avoue que je ne connaissais pas très bien
cette oeuvre à part le célèbre « Mon coeur s’ouvre à ta voix » .
L’interprétation magistrale toute en nuances de Marie-Nicole Lemieux et Roberto Alagna ont
bouleversé ma soirée.
Merci pour la retransmission.
Classique dit
Merci pour votre commentaire. Il prouve que France-Télévisions et autres médias ont un rôle majeur dans le partage et le rayonnement de la culture. Bel été à vous !