La récente conférence de presse du Premier Ministre Jean Castex a encore douché les légitimes espoirs ce jeudi 7 janvier 2021, et Sébastien di Mayo nous confirme le lendemain que « les dernières annonces viennent encore renforcer notre situation de silence forcé, aucune visibilité n’étant réellement donnée pour ouvrir l’horizon de la culture ».
C’était le 3 janvier que Sébastien di Mayo avait alerté la ministre de la culture Roselyne Bachelot. Celle-ci a sur son bureau de nombreux dossiers, tous évidemment urgents, et l’on présume qu’elle souhaiterait les voir aboutir tous. Ce vendredi 8 janvier à 13h, on l’entendait sur France Inter évoquer les trois pôles de l’univers de la culture : les musées, le cinéma, le spectacle vivant ; repoussant encore sine die (pouvait-elle faire autrement ?) la possible réouverture générale, elle laissait entendre de surcroît que le troisième pôle serait le dernier à rouvrir ! Nous avons pointé plusieurs fois l’inutilité et l’injustice de cette fermeture quasi pérennisée.
Sébastien di Mayo, baryton-basse, dirige deux chœurs vauclusiens, Homilius à Avignon, Robert Grimaud à L’Isle-sur-la-Sorgue. Deux chœurs amateurs, mais de haut niveau, complices artistiques réguliers de plusieurs orchestres professionnels. Deux chœurs qui font rayonner la musique a capella en France mais aussi à l’étranger ; leur répertoire, partant d’Homilius le compositeur éponyme, s’avance jusqu’aux pièces les plus contemporaines, de Gjeilo notamment avec lequel le chef a tissé des liens privilégiés.
-Sébastien di Mayo, vous êtes habituellement un homme discret. Pourquoi cet appel à la ministre ?
–Avant tout pour exprimer notre profonde frustration. Nous n’avons pas de répétitions, donc aucune participation à la vie culturelle. Nous sommes totalement absents du paysage.
-En quoi la situation des chœurs amateurs diffère-t-elle profondément de celle des artistes professionnels ?
–Nous avons tous une autre activité professionnelle qui nous occupe en journée ce qui nous oblige à répéter le soir ; nous sommes donc pénalisés par le couvre-feu. Par ailleurs, un décret a permis la réouverture des écoles de musique, des cours de chant, des Conservatoires, mais tout cela ne concerne que les mineurs, sans aucune possibilité pour les adultes. Et nous n’avons aucun lieu de répétition. Ayant travaillé trois ans pour l’ARS à Avignon, j’ai personnellement vécu de plein fouet la pandémie, et il est impensable pour moi de ne pas respecter toutes les préconisations et les gestes-barrières.
-Comment avez-vous vécu la pandémie ?
–Pendant le premier confinement, nous étions totalement à l’arrêt. Depuis septembre, nous avions pu reprendre, espacés dans une grande salle, et masqués même si cela n’était pas encore obligatoire ; nous avons même commandé à Nantes des masques spéciaux, qui atténuent moins le son ou du moins de façon plus homogène, et qui ne se collent pas sur la bouche. Il est donc tout à fait possible de chanter masqués, en répétition comme en concert.
-Dans de telles circonstances, que projetez-vous ?
–Tant qu’on a pu répéter, on s’est préparés ; comme l’Orchestre National Avignon-Provence et l’Opéra Grand Avignon l’ont fait avec succès, on envisagerait une répétition dans les conditions de concert, en tenue, avec captation vidéo à publier sur notre page Facebook. Nous souhaiterions avoir une visibilité, participer à la vie culturelle, comme nous le faisons habituellement toute l’année.
-Pouvez-vous déjà envisager un calendrier ?
–Nous pensons à deux concerts d’ici la fin de la saison, sans doute en mars et en juin. Le premier, dans le temps de la Passion et comme notre répertoire tourne surtout autour de la musique sacrée, s’inspirerait du concert que nous devons donner à ce moment-là ; dans le cadre de la saison de Musique Sacrée/Orgue en Avignon, avec Luc Antonini à l’orgue pour le continuo, et les Solistes d’Avignon (un quatuor à cordes issu de l’Orchestre National Avignon-Provence, formation avec laquelle Homilius se produit régulièrement, NDLR), nous devons donner le très beau Stabat Mater de Caldara pour cordes et orgue ; nous envisagerions aussi Zelenka, et en entrée une pièce de Thomas Morley, « Je suis la Résurrection et la Vie », une œuvre pleine d’espoir avant de plonger dans le drame de la Passion. En juin ce serait un programme plus contemporain, avec notamment Arvo Pärt (compositeur estonien né en 1935, NDLR), ou Ola Gjeilo (prononc. « iélo », compositeur norvégien né en 1978, NDLR). Nous avons déjà les outils techniques : un site, sur lequel on trouve déjà des extraits de nos concerts, et une page Facebook ; certaines de nos pièces sont accessibles sur YouTube, et nous avons aussi un technicien prêt à réaliser la captation. Nous voudrions simplement que soient accordées aux chœurs amateurs comme nous, les conditions permettant de préparer et d’enregistrer des prestations de qualité.
Propos recueillis par G.ad. Photos Eric Niogret (1 & 2), Sébastien di Mayo (3).
La lettre de Sébastien di Mayo à la Ministre Roselyne Bachelot (3 janvier 2021)
Madame la Ministre de la Culture,
Notre pays traverse une crise sanitaire sans précédent, qui a des répercussions sur notre société, mais dont toutes les conséquences n’ont pas encore été mesurées ni même « imaginées ».
Le monde de la culture souffre de cette crise, du quasi-silence imposé, de l’absence de contact avec le public sans qui le spectacle vivant n’existe pas. Et dans ce monde de la culture, les ensembles musicaux amateurs se sentent encore plus réduits au silence : c’est l’objet de ma sollicitation, en tant que chef de chœur.
Avant d’aller plus loin dans ce courrier, je tiens à vous préciser que si je suis rémunéré pour mes fonctions de chef de chœur, je réalise avant tout des missions au service de nos concitoyens en tant que fonctionnaire. J’ai notamment exercé des fonctions au sein de l’ARS PACA au cours de l’année 2020 qui m’ont conduit à être au plus proche de la première phase de l’épidémie en étant en lien quotidien avec les EHPAD du Vaucluse. J’ai donc une pleine conscience de la crise que nous traversons, de la nécessité de mettre en œuvre des conditions d’exercice qui permettent de ralentir la progression du virus, de favoriser l’accès au vaccin et de protéger celles et ceux que nous croisons.
Croyez bien, Madame la Ministre, que mon but n’est pas de remettre en question la mise en place de mesures de protection indispensables.
Je dirige donc deux ensembles vauclusiens, le Chœur Homilius et le Chœur Robert Grimaud, qui sont deux associations Loi 1901, dont les objectifs sont de donner des concerts tout au long de l’année, en Vaucluse mais aussi au-delà de nos frontières. Les répertoires de ces deux chœurs sont essentiellement centrés sur la musique sacrée, a capella ou avec orchestre, avec dans l’idée de faire découvrir des compositeurs peu ou pas chantés. Au-delà du travail de préparation, du travail individuel et du travail collectif, c’est bien le plaisir de chanter ensemble qui motive les choristes (et leur chef !), et de partager cette musique avec le public.
Au mois de septembre 2020, après quelques mois de silence, nous avons repris nos répétitions, avec masques bien sûr, et avec distance, dans des lieux suffisamment grands pour être éloignés les uns des autres, et à l’acoustique permettant ce travail. Malgré les masques, qui finalement n’empêchent pas de chanter, malgré la distance, le plaisir de chanter était là ! A nouveau découvrir ces pages de musique, à nouveau faire sonner des harmoniques, entendre les dissonances avec délectation et se retrouver sur un accord parfait ! Le bonheur de faire vivre, en live, la musique.
Le plaisir a été de courte durée, nous avons arrêté nos répétitions avec le second confinement, et depuis, plus rien. Impossible de travailler ensemble via les applications web, la latence est trop importante. Impossible de nous réunir en soirée (les chœurs amateurs sont faits de choristes qui ont une activité professionnelle en journée), et finalement impossible de trouver un lieu permettant l’accueil du chœur.
Aujourd’hui est repoussée la date d’ouverture des lieux de culture, et nous attendons avec impatience le 20 janvier pour pouvoir reprendre… mais est-ce que cela sera possible ?
Madame la Ministre, vivre sans culture est impossible, je sais que vous en êtes convaincue. Les professionnels, qu’ils soient comédiens, musiciens, chanteurs… ont pu reprendre et travailler : cela est essentiel, pour eux et pour maintenir une vie culturelle. Les maisons d’opéras ont diffusé leurs spectacles en direct sur le net, c’est le cas de l’Opéra d’Avignon et de l’Orchestre National Avignon Provence que vous avez récemment honoré de votre visite.
Nous, chefs de chœurs amateurs, choristes, souhaitons faire de même : pouvoir nous retrouver et travailler ensemble, et donner des concerts en version live sans public, ou avec des conditions sanitaires drastiques s’il le faut.
Madame la Ministre, nous attendons de vous une parole, un geste vers les chœurs amateurs : permettez que nous puissions nous retrouver en soirée pour chanter, avec bien évidemment l’engagement de la mise en place de protocoles sanitaires stricts et soumis à l’adhésion de chaque choriste. Permettez que nous puissions, nous aussi, participer à la vie culturelle de notre pays : les soignants font leur maximum pour soigner notre corps, mais les acteurs de culture dont nous faisons partie, pouvons aider à apaiser l’esprit, à lui donner un horizon lumineux, à accompagner chacune et chacun dans ces mois difficiles qui nous attendent, encore.
Vous êtes au cœur même de la gestion de cette crise, vous avez déjà donné notamment aux intermittents du spectacle des assurances quant à leur activité, votre engagement pour la culture n’est plus à démontrer, mais nous avons besoin de vous entendre, à nos côtés.
Vous remerciant pour votre lecture attentive, et restant bien sûr à votre disposition et celle de vos collaborateurs pour échanger sur les modalités d’exercice de nos répétitions et concerts, je vous prie de recevoir, Madame la Ministre de la Culture, mes hommages respectueux.
Signé : Sébastien di Mayo
Photo G.ad., 2 octobre 2020 à Avignon
J.C. G. dit
Bravo à Sébastien pour son message.
Il reflète exactement ce que ressentent musiciens, choristes, instrumentistes… et les organisateurs.
Ses mots soulèvent les vraies questions. Ils sont à la fois dans la retenue, la mesure et la précision, à l’image de sa personnalité.
Une fois posées, ces questions essentielles pour demain attendent une réponse précise et non des voeux pieux de la ministre.
On l’a entendu dire qu’elle mettait ses « tripes sur la table » pour la culture. On ne lui demande pas d’aller jusque-là mais, qu’au moins, les musiciens et leurs auditoires puissent avoir une assurance, une perspective sans lesquelles leurs attentes laisseront place à un grand désenchantement.
F.H. dit
Merci à Sébastien. En effet, nous ne pouvons pas vivre sans culture partagée .
Radio Classique ou France Musique, voire Mezzo, ne compensent pas le plaisir de participer , d’échanger .
Madame Bachelot par pitié rendez nous la culture !!!
FH
C.G. dit
Une société sans musique, sans théâtre, sans musée c’est comme une mort annoncée d’une civilisation réduite au silence.
De cette mort, nous n’en voulons pas… Nous n’allons pas envahir le « Capitole » de la musique qu’est l’opéra d’Avignon mais nous ne resterons pas « sans voix » (difficile pour les choristes que nous sommes
Nogarède dit
Je pense que c’est une excellente initiative, en espérant que notre ministre te lira …
Courage, nous sommes « derrière » vous !
Amitiés
Luce et Jean Nogarède
Sébastien Di Mayo dit
En réponse à Nogarède
Merci pour votre fidélité à tous les deux!!
Serge Guillon dit
Merci Sébastien pour ce magnifique témoignage et courrier envoyé à Madame Bachelot. Nous sommes un chœur amateur de Montpellier encadré par cheffe de chœur et musiciens pros.
Sébastien Di Mayo dit
En réponse à Serge Guillon
Merci de votre commentaire, je vous invite à m’envoyer les coordonnées de votre cheffe de chœur, il est essentiel je crois que l’on puisse s’organiser et se faire entendre, tous ensemble!
Courage à vous aussi!
Vous pouvez écrire par l’intermédiaire de classiquenprovence84@gmail.com
P.B. dit
Merci à Sébastien di Mayo d’être notre voix auprès de Madame Bachelot la ministre de la Culture.
Notre isolement est insupportable alors que nous avions scrupuleusement respecté tous les gestes barrière.
On est tellement frustrés de ne plus pouvoir s’adonner à notre passion du chant choral, de se retrouver régulièrement pour travailler et chanter. On se sent complètement « déculturé », et c’est douloureux.
Je souhaite vivement un bon résultat à cette démarche solidaire.
N.L. dit
Les choeurs amateurs font partie des grands oubliés: on peut voir des émissions où les choristes chantent sans respecter les gestes barrière sur les plateaux télé, et tout cela ne choque personne.
Pour les choristes amateurs, les répétitions et les concerts sont bien plus qu’une « activité », cela crée de l’émotion, de la joie, du lien social et nous permet de mettre un peu de lumière dans nos vies bien tristes et parfois endeuillées depuis près d’un an.
Gageons que nous serons entendus