La construction (progressive) d’un héros
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Théâtre Le Train bleu, 10h, 1h05 (2h avec les navettes). Du 5 au 24 juillet, relâche les 11 et 18 juillet. A partir de 12 ans. Réservations en ligne (www.theatredutrainbleu.fr)
Inutile de présenter Jean Moulin, résistant célèbre entre tous. Mais doit-on le réduire à cet engagement ou à son arrestation par Klaus Barbie ? Sa vie fut en fait une (longue) préparation à cette destinée hors du commun. C’est ce que nous présente Mathieu Touzé dans cette pièce.
Comment devient-on un héros ? Bac en poche en 1917, Jean Moulin n’a de cesse de vouloir devenir préfet, gravissant les échelons progressivement, au gré des rencontres, des changements de ministères … et de l’aide de son père ! Voulant se battre pour sa patrie, il sera mobilisé en 1918 mais ne connaîtra pas le front, à son grand regret. Menant une brillante carrière dans la préfectorale pendant l’entre-deux-guerres, il devient en 1939 le plus jeune préfet de France. Et c’est en 1940 qu’il commence à se faire connaître des Français en refusant de signer (contre la demande des troupes allemandes) un acte d’accusation de violences prétendument réalisées par des troupes coloniales françaises, celui lui vaudra un emprisonnement. Après une tentative de suicide, il décide de rejoindre De Gaulle et sera celui qui va œuvrer, sans relâche, pour le faire reconnaître comme le futur chef politique de la France par les différents mouvements de Résistance afin d’éviter une mise sous tutelle politique par les Alliés de la France. Arrêté en 1943 sur dénonciation, il est torturé et meurt le 8 juillet 1943.
Cette pièce est incarnée brillamment de façon bi-frontale par 5 comédiens qui débordent d’énergie et d’émotions. Le personnage est présenté avec tout son humanité, ses doutes, ses fragilités mais aussi ses déterminations. Passionné de dessin et d’art, celui qui est disparu trop jeune (44 ans) ne doit pas sombrer dans l’oubli : « que son nom demeure vivant ». Si tout le monde se souvient d’extraits du discours d’André Malraux lors de son entrée au Panthéon, peu d’entre nous savaient qu’il était artiste et collectionneur d’art. Profondément de gauche, il avait refusé farouchement l’arrivée des fascistes au pouvoir en Europe.
Si Daniel Cordier, son secrétaire à partir de 1942, a fait un remarquable travail d’historien pour retracer son rôle dans l’histoire, Mathieu Touzé signe ici une belle œuvre pédagogique pour nous révéler la construction progressive d’un héros qui incarne dans le récit national le modèle des résistants. Sa pièce mêle petite et grande histoires grâce à une mise en scène expressive et dynamique : entouré de ses jeunes amis ou de ses protecteurs politiques, le parcours de ce jeune étudiant en histoire va rejoindre la grande Histoire pendant les années sombres de la deuxième guerre mondiale. Commandée par le musée de la Libération de Paris pour la commémoration en 2023, la pièce de Mathieu Touzé nous interroge sur les liens entre histoire et mémoire, sur la construction (linéaire ou non ?) d’un héros, sans oublier le fait que ces discours ont aussi des résonances aujourd’hui, notamment auprès de la jeunesse.
Pièce historique, certes, c’est peut-être plus encore un récit qui incarne toute l’humanité d’une personnalité complexe et qui mérite d’être connue sous toutes ses facettes. Les 5 comédiens (Thomas Dutay, Léo Gardy, Manon Guilluy, Pauline Lemeur, Elie Montane) nous donnent brillamment à voir un homme qui a défendu toute sa vie la liberté ainsi que ses valeurs, grâce notamment à une réalisation sonore, de Rebbeca Meyer et Loris Perez, mêlant extraits radiophoniques, chansons et enregistrements variés, pleinement intégrés dans le récit. S’inscrivant dans le théâtre de tréteaux, la mise en scène oscille entre vie mondaine et vie dans l’ombre, avec des choix de petites scènes chronologiques, plus ou moins accélérées, à l’image de la vie de Jean Moulin.
Destin personnel et grande Histoire se rejoignent ici, de façon décomplexée, à la croisée de l’individu et de la nation, comme un acte politique, un message pour la jeunesse d’hier et d’aujourd’hui.
Christèle. Photo @ChristopheRaynaudDeLage
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