Samedi 22 octobre 2022, 17h, Eglise Saint-Agricol, Avignon
Musique sacrée et Orgue en Avignon
Jean-Pierre Lecaudey, orgue. Moya Yu-Rolland, piano. Quatuor Girard
César Franck, Premier choral en mi majeur pour orgue. Grégoire Rolland, Cordes tressées, pour quatuor à cordes, en hommage à Franck (création). César Franck, quintette pour piano et cordes en fa mineur
Ce premier concert dédié à César Franck (1822-1890) par Musique Sacrée et Orgue en Avignon pour le bicentenaire de sa naissance s’annonçait prometteur, avec notamment son quintette (créé en 1880) et la création, en sa mémoire, d’un quatuor de Grégoire Rolland. Il n’a pas déçu.
En ouverture, Jean-Pierre Lecaudey, à l’orgue, proposait le premier des trois chorals de Franck, œuvres de la maturité, mais aussi les dernières écrites par le compositeur (1890). L’orgue ainsi emplissait l’église de sa dimension symphonique et de ses variations pour aboutir à un final triomphant et lumineux s’élevant vers les voûtes de l’église, si ce n’est les hauteurs célestes.
J’avais découvert Grégoire Rolland, compositeur avignonnais, en novembre 2021, lors de la création, salle Mozart du Conservatoire du Grand Avignon, par les mêmes interprètes que ce jour, de ses Trois danses pour piano et cordes, qui avaient retenu toute mon attention. L’occasion m’était donc donnée de conforter mon jugement.
Cordes tressées, est un quatuor à cordes en 5 mouvements, commande de Musique Sacrée et Orgue en Avignon, ayant bénéficié d’une aide du Ministère de la Culture. Cette pièce étant écrite en hommage à Franck, l’auditeur averti pourra y déceler plusieurs allusions à son quintette, notamment dans les 1er et 4ème mouvements, et l’usage de certaines de ses techniques de composition (choral, contrepoint, juxtaposition ou addition d’éléments musicaux antérieurement utilisés). Le titre de Cordes tressées est une allusion aux procédés de composition employés, enchevêtrement, entrecroisement de brins de mélodies, écho ; tous ces procédés mènent à la notion de lien, que l’on retrouve dans la récapitulation des éléments musicaux formant le dernier mouvement, « lien entre interprètes et compositeur, partition et son, musique d’aujourd’hui et musique d’hier… Un lien essentiel à notre équilibre personnel », comme l’écrit Grégoire Rolland.
On est toujours méfiant et sur la réserve lorsqu’il s’agit d’entendre une œuvre musicale contemporaine. Mais ici, cette méfiance fut vite balayée. Dès le début, cette composition, excellement servie par le Quatuor Girard et par l’acoustique du lieu, captive. Il n’y a certes pas de mélodie ou de thème aisément mémorisable, mais le discours est clair, construit, sans agressivité, aisé à suivre.
Le premier mouvement (préambule), entraînant, rapide, joue avec des cordes maintenues dans l’aigu, des pizzicatti rapides, un accompagnement saccadé au violon. Le deuxième (choral) est un mouvement lent, intériorisé, méditatif, comme suspendu dans le temps et l’espace. Le troisième mouvement (écho) est effectivement construit en écho, contrepoint utilisant l’imitation, ayant pour effet comme une vague qui se répète, s’amplifie, se calme, avec quelques accélérations brusques, et meurt doucement. Les 4ème (densité) et 5ème (liens), sorte de conclusion qui récapitule des éléments musicaux antérieurs, sont enchaînés. L’alto, rapide, attaque et suit comme une course, avec notamment une belle partie de violoncelle, ponctuée des interventions des autres instruments, le tout s’achevant par une accalmie dans les aigus secouée de quelques frémissements. Une œuvre, en conclusion, qui vous réconcilie avec le contemporain et mériterait bien un enregistrement.
Si l’acoustique du lieu favorisait l’œuvre de Grégoire Rolland, qui individualise plus les instruments et privilégie plutôt les aigus, la réverbération inhérente à l’église, au premier abord était moins favorable au quintette de Franck : un son assourdi, amorti, perdant en netteté, surtout dans le medium et le grave, légèrement confus dans les tutti. Puis la magie a opéré, et l’on a fini par se laisser envelopper, envoûter même par cette atmosphère de passion qui caractérise l’œuvre, l’élégiaque deuxième mouvement, ce thème qui revient et fait le lien entre les trois mouvements. Les Girard et Moya Yu-Rolland, maîtrisant nuances et inflexions, fougue et délicatesse, ont su parfaitement traduire l’intensité émotionnelle de cette œuvre de Franck, bel hommage au compositeur pour cet anniversaire, le concert s’achevant avec, en bis, le final du 3ème mouvement.
B.D. Photo Luc Antonini
La même pièce-hommage sera donnée, avec un autre complément de programme mais les mêmes interprètes, à la cathédrale d’Aix-en-Provence le samedi 5 novembre 2022 à 20h30. Pour réserver des places.
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