Pierre Guiral, homme-orchestre, 2019
Pierre Guiral est un homme affable mais réservé, qui se livre peu sur son parcours. Formé d’abord à la flûte et à diverses disciplines comme la composition, il se dirige ensuite vers la voix, avec un timbre de basse veloutée. Son répertoire s’étend du baroque au contemporain, surtout dans la mélodie et la musique sacrée, mais aussi dans l’opéra et l’opérette. Professeur de chant puis directeur du Conservatoire à Rayonnement Régional d’Avignon, il est devenu en 2015 directeur de l’Opéra Grand Avignon, dont il accompagne les grands travaux de rénovation (2017-2020 ?). Ses fonctions administratives ne l’empêchent pas de se produire sur scène, ou au pupitre, comme dans la Petite Messe solennelle de Rossini.
-Pierre Guiral, vous allez diriger bientôt la fameuse Petite Messe solennelle de Rossini, que vous connaissez bien. J’ai envie de vous demander quelles sont les principales difficultés de cette œuvre, pour le chœur, pour les solistes, pour le chef.
-Il faut se rappeler d’abord qu’elle a été créée dans un salon, par douze chanteurs, en version piano ; des chanteurs qui étaient à la fois solistes et tuttistes. Elle avait donc été écrite d’entrée pour des voix virtuoses, par cette rareté pour les chanteurs, d’être à la fois solos et chœurs. Elle exige donc des voix d’une belle étendue, beaucoup de legato, avec une pâte sonore intéressante. Car les soli ne sont pas au milieu d’un ensemble, ils sont détachés, que ce soit la soprano, l’alto, le ténor ou la basse. Imaginez : l’air de basse ne compte pas moins de 7 minutes ! Ce sont vraiment des morceaux écrits pour mettre en avant les voix solistes, avec très peu d’airs d’ensemble. Chaque soliste a un air important, qui se déploie, pour avoir le temps de développer toutes ses qualités musicales et lyriques.
-Et pour le chœur ?
-Les passages pour le chœur sont difficiles ; ils reposent sur une écriture de fugue, au moins pour deux d’entre eux. C’est pourquoi on peut sourire au terme de « petite messe », quand on sait que la fugue repose sur une architecture complexe. D’ailleurs l’œuvre dure près d’une heure vingt.
-Un clin d’œil, sans doute, avec la « petite », mais aussi une contradiction entre les deux adjectifs.
-Rossini, on le sait considérait cette messe comme son « dernier péché », disait-il en plaisantant. Elle est à la fois solennelle et ironique.
-Peut-on néanmoins y percevoir Dieu, ou du moins une valeur sacrée ?
-Dans le dernier passage pour alto solo avec le chœur (l’« Agnus Dei »), on sent une vraie piété, une vraie ferveur. C’est un passage très religieux. Il y a des rythmes qui soutiennent une tension forte, joués par le piano. Par ailleurs, dans « l’Agnus Dei », quand le chœur répond trois fois « da nobis pacem », on est tout à fait dans le choral ; or il n’y a pas de chant plus religieux que le choral.
-On trouve bien d’autres composantes…
-Il y a en effet des passages plus opératiques, notamment deux grands airs, du ténor et de la basse. Le « Domine Deus » pour le ténor, par exemple, est très lyrique.
-Dans le « Gloria »…
-De même pour le « Quoniam tu solus sanctus » de la basse solo, qui est aussi un air plus vaillant, avec un timbre très marqué.
-C’est également le « Gloria » : « Tu solus Dominus, tu solus altissimus ».
-Oui, avec des couleurs très expressives.
-Rossini était un personnage sympathique, attachant, pittoresque.
-C’était un bon vivant. On sent dans ses airs qu’il s’ouvrait aux autres, qu’il allait vers eux, avec une belle générosité.
-Vous avez parlé de la création en version piano ; est-ce la version que vous adoptez dimanche ?
-C’est une version très proche de la création, qui était alors un piano à queue ; par la suite, on la jouait à l’harmonium, qu’on trouvait dans toutes les églises qui n’avaient pas d’orgue, notamment les églises de villages. Aujourd’hui, pour la qualité et l’expressivité, nous avons choisi l’accordéon de concert, qui présente beaucoup de registres différents, et puis de la justesse, de l’attaque, de l’expressivité. D’autant que l’harmonium est aujourd’hui très difficile à trouver au diapason 442 ; à la fin du XIXe et au début du XXe siècle le diapason était à 438.
-Et l’on ne peut pas modifier l’instrument, l’accorder ?
-L’harmonium n’est pas accordable ; il est formé de lames de cuivre qui vibrent, mais qui sont fixées.
-Les solistes qui chanteront sous votre direction sont sans doute déjà familiers de l’œuvre ? Ludivine Gombert m’a dit récemment que, ayant chanté d’autres œuvres sacrées de Rossini, elle se réjouissait de mettre enfin sa voix dans la Petite Messe solennelle. Et pour les trois autres artistes ?
-Pour Sarah Laulan (qui a chanté dans la cité des papes en décembre 2018 le rôle de l’Opinion publique dans Orphée aux Enfers, et en 2017 l’Ombre de Wenceslao, NDLR), il faut vérifier. Pour le ténor Pierre-Emmanuel Roubet (également guitariste, NDLR)…
…. et pour la basse François Harismendy (ex-Cnipalien de Marseille, NDLR), je crois qu’ils l’ont déjà chantée, mais sans en être certain. (vérifcation faite, aucune des biographies ne mentionne La Petite Messe, NDLR). C’est une œuvre magnifique, tellement faite pour ce type de voix !
-Quant au chef, comment donne-t-il une cohérence d’ensemble à ces parties si distinctes et différentes ?
-Chaque numéro est marqué par un thème, une couleur, un esprit. La difficulté réside justement dans les alternances des mouvements, entre lents et rapides, entre extérieurs et intérieurs… Il y a de grandes ruptures…
-C’est aussi le propre d’une messe, d’alterner des moments très disparates.
-Mais il est tout de même rarissime qu’un soliste chante si longuement, sans autre intervention ! Cette messe a un côté très solistique, pour ses très grands airs. En fait, on peut parler de quatuor vocal, puisqu’il y avait un petit chœur dès la création, mais qui demande beaucoup de dynamique et de présence dans les grandes fugues.
-Vous-même la connaissez bien, pour l’avoir dirigée plusieurs fois.
-Et pour avoir également chanté la partie de basse.
-Ce double regard vous donne certainement une richesse dans l’approche de l’œuvre.
-Il faut surtout avoir une direction en rapport avec la conception. Ce qui est important aussi, c’est ce que vous renvoient les chanteurs ; c’est un échange très riche. Il y a des chœurs plus ou moins dynamiques. Ici à Avignon, nous avons beaucoup de chance, le chœur répond très bien, il a une véritable homogénéité, il est précis, à l’écoute.
-C’est dû sans doute à sa cheffe, Aurore Marchand. Mais, en tant que directeur de l’Opéra Grand Avignon, après voir été professeur puis directeur du Conservatoire de la ville, vous avez avec les forces vives de la maison une réelle familiarité, qui aide à la cohérence.
-C’est en effet un travail d’échange. Le chef est avant tout quelqu’un qui reçoit, et qui modèle à partir de ce qu’il reçoit.
-Pour les répétitions, je présume, que le chœur a d’abord été préparé par Aurore Marchand, et que vous prenez le relais dans la dernière ligne droite.
-Effectivement.
Propos recueillis par G.ad., mars 2019.