Picture a day like this : retour gagnant du compositeur George Benjamin au Festival d’Aix-en-Provence
Picture a day like this, opéra de George Benjamin, Festival d’Aix-en-Provence au Théâtre du Jeu de Paume (12 juillet 2023)
Direction musicale, Sir George Benjamin. Mise en scène, scénographie, dramaturgie, lumière, Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma. Costumes, Marie La Rocca. Vidéo, Hicham Berrada
Marianne Crebassa (Woman), Anna Prohaska (Zabelle), Beate Mordal (Lover 1 / Composer), Cameron Shahbazi (Lover 2 / Composer’s Assistant), John Brancy (Artisan / Collector)
Orchestre : Mahler Chamber Orchestra
George Benjamin faisait l’évènement à Aix-en-Provence en 2012 avec la création de Written on skin, repris les années suivantes dans les plus grandes maisons d’opéra. Onze ans plus tard, une nouvelle partition est commandée au compositeur anglais par le Festival, en co-production avec le Royal Opera House/ Covent Garden, l’Opéra National du Rhin, l’Opéra-Comique à Paris, les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Oper Köln, le Teatro di San Carlo. Autant de chances donc de voir cet ouvrage dans les saisons à venir sur ces différentes scènes. Il s’agit cette fois d’une plus petite forme que Written on skin représenté en 2012 au Grand Théâtre de Provence, la création prenant place cette fois dans le joli Théâtre du Jeu de Paume, pour une durée d’un peu plus d’une heure.
La découverte de cette musique est délicieuse, jouée par les 22 musiciens du Mahler Chamber Orchestra, placés sous la direction du compositeur lui-même. Plusieurs musiciens jouent d’ailleurs de multiples instruments, les pupitres de clarinettes et basson en tête, donnant à la musique une large variété de couleurs et atmosphères sonores. Cette musique décrit idéalement les situations et états d’esprit des personnages, parfois un petit filet pour évoquer la mélancolie, la tristesse du livret ; à d’autres moments les cuivres s’animent dans des rythmes plus agités, lorsque monte la colère ou la folie chez l’un des protagonistes. Une musique plus qu’intéressante, souvent captivante, qui peut évoquer l’écriture d’un Benjamin Britten pour ses interludes musicaux, comme dans son opéra The turn of the screw.
George Benjamin retrouve pour l’occasion son librettiste Martin Crimp, déjà à l’écriture pour Written on skin. L’intrigue, sur un texte anglais, est originale et énigmatique : une mère perd son enfant mais pourra le faire revenir à la vie à condition de trouver une personne heureuse et obtenir de sa part un bouton de la manche de son vêtement. Le défi ne paraît donc pas insurmontable, surtout quand elle rencontre un artisan, justement ancien fabricant de boutons. Mais celui-ci, récemment licencié de son usine car remplacé par une machine, se révèle peu équilibré psychologiquement, suicidaire et finalement pas si heureux que cela. C’est aussi le cas du couple d’amoureux aux lignes mélodiques subtilement entremêlées, ainsi que de la compositrice très affairée et très admirative d’elle-même (« Happy ? – no »). Pour finalement rencontrer une femme appelée Zabelle qui lui déclare « Je suis heureuse seulement – seulement – seulement parce que je n’existe pas ». Une conclusion pas forcément miraculeuse donc, mais mystérieuse tout de même quand la mère en conclusion « leur a montré (…) le bouton qui brille dans [ma] main ».
La mezzo française Marianne Crebassa incarne avec force le personnage de cette mère courage malgré le deuil (Woman). Elle ne sombre en effet pas dans le désespoir, mais met toute son énergie à croire au miracle. La voix est superbement posée, puisant régulièrement dans un grave profond qu’on imagine écrit sur-mesure par le compositeur. Le couple d’amoureux, en charge aussi d’autres rôles par la suite, est chanté par la très agile et aérienne soprano Beate Mordal et le contre-ténor Cameron Shahbazi. Le baryton John Brancy, en artisan fabricant de boutons, puis collectionneur d’art, impressionne fortement. Il est capable de puissance, y compris quand il passe en voix de tête, tout en conservant la précision de son intonation. L’autre soprano Anna Prohaska en Zabelle possède un format davantage lyrique, qu’elle peut développer pour caractériser son personnage aux frontières du surnaturel.
En charge de la mise en scène, des décors et lumières, Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma enferment les sept scènes successives de l’opus entre trois parois réfléchissantes, pour former comme un huis-clos qui voit défiler plusieurs personnages. L’artisan est amené dans une cage de verre, vêtu d’un costume aux innombrables boutons cousus. La compositrice débordée et son assistant marchent à vive allure sur un tapis roulant au centre, puis on change d’univers pour la scène finale avec Zabelle. Des animations vidéo sont alors projetées sur un tulle en avant-scène, des sortes de boules qui tombent, se transforment en algues qui se développent au fond de l’eau pour figurer le « jardin d’une grande beauté » du livret.
L’opéra est un art encore vivant, merci à Sir George Benjamin de le prouver avec cette magnifique création !
I.F. Photo Festival d’Aix-en-Provence 2023 © Jean-Louis Fernandez
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