Une lame de fond d’une sombre beauté
Peter Grimes, Benjamin Britten. Opéra Grand Avignon (réouverture), place de l’Horloge. Vendredi 15 octobre 2021, 20h30 ; dimanche 17 octobre, 14h30 ; durée 2h30.
Opéra en deux actes avec prologue (1945). Livret de Montagu Slater d’après le poème The Borough de George Crabbe
Direction musicale Federico Santi. Études musicales Thomas Palmer. Mise en scène Frédéric Roels. Scénographie Bruno de Lavenère. Costumes Lionel Lesire. Lumières Laurent Castaingt. Assistante à la mise en scène Nathalie Gendrot
Peter Grimes Uwe Stickert. Ellen Orford Ludivine Gombert. Captain Balstrode Robert Bork. Auntie Cornelia Oncioiu. First niece Charlotte Bonnet. Second niece Judith Fa. Bob Boles Pierre Derhet. Swallow Geoffroy Buffière. Mrs. Sedley Svetlana Lifar. Reverend Adams Jonathan Boyd. Ned Keene Laurent Deleuil. Hobson Ugo Rabec. Fisherman Jean François Baroin. Fisherwoman Clelia Moreau. A lawyer Julien Desplantes. 1° et 4° burgess Saeid Alkhouri. 2° et 6° burgess Pascal Canitrot. 3° et 5° burgess Gentin Ngjela. Voice Zyta Syme
Orchestre National Avignon-Provence
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Avec la participation du Chœur de l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, Directrice Valérie Chevalier, Cheffe de chœur Noëlle Gény
Nouvelle production de l’Opéra Grand Avignon. En coproduction avec l’Opéra de Tours et Theater Trier
Toute la saison lyrique 2021-2022 de l’Opéra Grand Avignon
A côté de Marseille avec Guillaume Tell, ou Toulon avec Don Giovanni, il faut une belle témérité pour ouvrir une saison lyrique par une œuvre inattendue. Akhnaten de Philip Glass, aussi audacieux, attend, pour sa part, le 12 novembre pour entamer la saison lyrique à Nice…
Frédéric Roels, lui, pour sa 1e année à l’Opéra Grand Avignon et sa 1e programmation en solo, a choisi de bousculer. Avec une assurance tranquille, il assume son choix de Peter Grimes, sans provocation aucune. Pourtant c’est une œuvre réputée sombre qu’il a choisie, pour un retour en public après la pandémie, et pour un retour dans l’Opéra historique après 4 longues années d’une rénovation colossale. Peter Grimes, une œuvre signée Benjamin Britten, qu’il présente comme « un chef-d’œuvre du XXe siècle » (voir notre entretien). Un univers qu’il connaît bien pour avoir déjà mis en scène Le Tour d’écrou.
Et s’il avait eu raison ? Tout le laisse à penser : la longue, très longue ovation finale, et les échanges de commentaires à l’issue du spectacle. On ne peut raisonnablement croire que tout le public ait été acquis d’avance ! Et que l’unanimité des applaudissements, tant au plateau – solistes et chœurs -, au metteur en scène et à toute son équipe, à l’Orchestre et son chef, soit due au hasard.
Si un Peter Grimes que nous avions vu il y a une vingtaine d’années à l’Opéra de Nancy – une maison qui a d’ailleurs programmé Le Tour d’écrou en streaming en juin 2021 – nous avait laissé forte impression également, celui-ci a des chances de rester plus durablement encore dans les mémoires.
Une lecture fine de l’œuvre, une atmosphère saisissante, signent une mise en scène d’une rare « intelligence », au sens pleinement étymologique. De lourdes bâches noires deviennent tout à tour, par un jeu d’aussières et de poulies, une houle montante, une voile battante, une nuée menaçante ; des pontons mobiles dessinent un espace austère ; la lumière, sans être blafarde, sait efffleurer avec bienveillance cet univers déchiré.
L’excellente acoustique de cette nouvelle salle permet de goûter le moindre pianissimo de la soprano (l’Avignonnaise Ludivine Gombert, dont l’exquise sensibilité épouse totalement le personnage d’Ellen), les soupirs et les éclats du rôle-titre (le ténor allemand Uwe Stickert, qui compose un formidable colosse aux pieds d’argile, aux fêlures subtiles), une partition aux mille couleurs, les dialogues des pupitres dans la fosse élargie, les tutti puissants, tout autant que les délicats solos de la harpe ou de l’alto… Si tempétueuse et puissante est la musique, elle sait aussi se faire poésie, et la violence des rudes pêcheurs s’y heurte aux rêves tout illuminés d’étoiles de cet original de Peter Grimes.
Les voix sont solides, bien timbrées, expressives, et tous les artistes, même muets comme le jeune mousse, sont habités d’une forte présence dramatique. La mise en scène plonge « de l’intérieur » dans un univers attachant ; celui de la mer, omniprésente sans être visible, façonne des âmes dures et des mains râpeuses. En contrepoint à l’irréductible solitude de Peter Grimes et à la frémissante sensibilité d’Ellen, se dessine la douloureuse solidarité des villageois, marée humaine sombre et imprévisible. Comme un antidote, l’humour vivant irrigue la scène de la taverne et décline magistralement ses nuances, entre fausses Demoiselles de Rochefort, marins avinés, personnages en errance…
Une vraie réussite, qui inaugure bien d’une saison brossée « contre vents et marées ».
Et pour mieux associer le public à la vie de l’Opéra, des opérations de médiations sont proposées : rencontres du 4e type où le metteur en scène présente les cartons de costumes et décors, tricoteuses qui préparent les pulls des artistes…
G.ad. Photos Cédric & Mickaël/Atelier Delestrade-Avignon
Laisser un commentaire