Une profusion savamment orchestrée…
Avignon, Opéra Confluence. Orphée aux Enfers. Opéra-bouffe en deux actes et quatre tableaux, Jacques Offenbach. Livret d’Hector Crémieux et Ludovic Halévy. Création le 21 Octobre 1858 au Théâtre des Bouffes-Parisiens
Nouvelle production. En co-production avec l’Opéra de Reims et l’Opéra de Marseille
Direction musicale Dominique Trottein. Chorégraphie Eric Belaud. Chef de chant Hélène Blanic. Mise en scène Nadine Duffaut (notre entretien ici). Décors Eric Chevalier. Costumes Katia Dufflot. Création lumières Philippe Grosperrin
Eurydice Julie Fuchs (notre entretien ici). L’Opinion publique Sarah Laulan. Cupidon Amélie Robins. Vénus Caroline Mutel. Diane Caroline Géa. Junon Jeanne-Marie Lévy. Minerve Raphaëlle Andrieu
Orphée Samy Camps. Jupiter Francis Dudziak. Pluton/Aristée Florian Laconi. John Styx Jacques Lemaire. Mercure Eric Vignaud. Mars Alain Itlis. Un licteur Cyril Héritier. Morphée Marie Simoneau. 1er policeman Julien Desplantes. 2e policeman Gentin Ngjela. 3e policeman Xavier Seince. 4e policeman Pascal Canitrot
Orchestre Régional Avignon-Provence
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon
Durée du spectacle 3h (entracte de 20 minutes)
Caricature et dérision, mais aussi réflexion, ainsi que l’indique la note d’intention : Nadine Duffaut (notre entretien ici) dans ce « bijou précieux » qu’est Orphée aux enfers, souligne « l’humour des propos et la diablerie des rythmes de la partition ».
Un grand désordre jubilatoire, tel est bien le socle de l’opérette ou de l’opéra-bouffe, notamment chez Offenbach qui en a commis bien d’autres et en commettra tout autant. Mais dans Orphée il s’est surpassé… et la metteure en scène le lui a bien rendu !
Depuis l’ouverture où gesticulent, devant des éléments de décor modulables et mobiles, un charcutier, un balayeur, l’Armée du Salut, une cornette, un curé, des écoliers en blouse grise… jusqu’au final où festoient Charlot, Cléopâtre, Elvis, Blanche-Neige, Robin des Bois ou Pierrot…, c’est un spectacle complet, de texte, de musique (un joli solo de violon sur scène, par Sophie Saint-Blancat, et les accents endiablés de l’Orap emmené par Dominique Trottein), de chant, de danse. Mais ni premier rôle, ni unité d’action, peu d’airs inoubliables…
Seul fil rouge : Jupiter contraint Orphée à récupérer dans l’autre monde son épouse Eurydice, dont il ne veut pourtant plus, épouse qu’a enlevée Aristée/Pluton, et que lui-même a séduite sous l’un de ses multiples déguisements (c’est tout simple…). Nadine Duffaut s’est amusée à brouiller davantage encore les cartes, avec un Aristée rockeur, un Pluton-Lucifer, un Jupiter dépassé par ses troupes… Un Jupin confronté à une sé-di-ti-on en pleine crise des gilets jaunes (lumières idoines, l’espace d’un éclair… !), voilà qui est piquant ; tout autant que les jeux de bling-bling et de faux semblants, où, chante-t-on en chœur, « tout est pour le décorum »…
Oui, le monde de la mythologie est ici sens dessus dessous ; sur l’Olympe ou dans les Enfers, mais aussi sur terre, tout va à vau-l’eau, avec une irrévérence exubérante et une vitalité qui nous chatouillent encore, 160 ans après la création de l’œuvre. Sur scène on court, on rit, on se cherche, on se taquine, on se déguise, on se surprend, on galope (le fameux galop infernal…).
Avec une belle distribution, on attend aussi les voix, même si la partition ne les sollicite pas dans les meilleures conditions. Le programme de salle étant désormais réduit à un feuillet A5, il est difficile d’apprécier à sa juste valeur la carrière de chaque chanteur, sauf à les avoir suivis de près lors des derniers mois…
La récente diffusion télévisée du Concert des Etoiles (TCE, octobre 2017) ne nous avait pas permis de retrouver chez l’Avignonnaise Julie Fuchs (notre entretien ici), que nous suivons avec grand intérêt depuis ses débuts ou presque, sa voix fruitée comme une gourmandise, ses aigus voluptueux, ses médiums colorés, et son phrasé sensuel, une signature vocale reconnaissable entre toutes. Au 2nd acte ici sur scène, rassurés, nous l’avons retrouvée telle que nous l’attendions, redoutable dans la séduction, charmante dans l’espièglerie, et irrésistible en bacchante-meneuse de revue.
Le pauvre Orphée, déjà peu gâté par Offenbach, a le timbre un peu pâle du ténor Samy Camps, qu’on retrouvera les 16 et 17 mars, toujours à Confluence, dans Mam’zelle Nitouche. La palme revient à Florian Laconi (Aristée-Pluton, entendu récemment dans Chiaro di luna et dans Les 3 ténors français), aussi irrésistible cabotin (il joua la comédie avant de chanter) que crooner-bad boy.
Tout le reste de la distribution vocale est « juste », dans la voix et dans le geste, et partage largement le plaisir et la réussite de la soirée : Amélie Robins, Cupidon délicieusement mutin (qu’on entendra le 29 décembre à Gordes, dans le concert du Bout-de-l’An des Saisons de la Voix), Caroline Mutel (dont on a pu apprécier le talent dans des productions antérieures très diverses, comme le Chanteur de Mexico, aux côtés de Florian Laconi, ou dans des productions baroques avec Sébastien d’Hérin et les Nouveaux Caractères), la pétulante Jeanne-Marie Lévy (récente Marcellina dans Le Nozze di Figaro), ou Raphaèle Andrieu autre Avignonnaise…
Dans une profusion savamment orchestrée, les danseurs du Ballet, les chanteurs des Chœurs, et les mini-artistes de la Maîtrise, sont partie intégrante d’une action qui ne faiblit pas et à laquelle ils donnent tout son sens. Même les costumes chatoyants de Katia Duflot et les lumières de Philippe Grosperrin jouent leur partition en acteurs véritables.
On ne rit pas à gorge déployée, mais c’est bien ficelé, foisonnant, intelligent. Le public ne s’y est pas trompé : pour la première fois depuis longtemps, la salle était pleine le 31 décembre.
Dans un tout autre registre, de la même Nadine Duffaut on attend à Marseille début février le Faust dont on avait vu la création à Avignon (G.ad. Photos Cédric Delestrade/ACM-Studios).