Ouverture de la saison symphonique : mais qui sont donc ces « deux sœurs » ?
Voir aussi toute la saison 2022-23 de l’Onap
Mercredi 12 octobre, 20h (nouvel horaire), Opéra Grand Avignon
Orchestre National Avignon-Provence. Direction, Débora WALDMAN
Karine DESHAYES & Delphine HAIDAN, mezzo-sopranos
Gioacchino Rossini, Otello, « Ouverture ». Donna del Lago, duo Malcom et Elena « Vivere io non potrò ». Pauline Viardot, Le dernier sorcier, Air de Lélio « Pourrais-je jamais aimer une autre femme ? ». Christoph Willibald Gluck, Orphée et Eurydice, air d’Orphée « Amour, viens rendre à mon âme » (Acte 1). Pauline Viardot, Les monts de Géorgie, VW1037. Hector Berlioz, Les Troyens, duo Didon et Anna – Récit « Les chants joyeux / « Reine d’un jeune empire » (Acte 3). Louise Bertin, Faust, « Ouverture ». Gioacchino Rossini, Elisabetta, regina d’Inghilterra, duo Elisabetta et Mathilde « Non bastan quelle lagrime ». Vincenzo Bellini, I Puritani, air d’Elvira « Qui la voce ». Christoph Willibald Gluck, Orphée et Eurydice, air d’Orphée « J’ai perdu mon Eurydice… » (Acte 3). Clémence de Grandval, Mazeppa, « Prélude acte III » et « Danse ukrainienne ». Gioacchino Rossini, Semiramide, duo Semiramide et Arsace « Giorno d’orrore » (Acte 2)
Les concerts lyriques ont pour fonction de mettre en vedette et en valeur la voix d’un(e) ou plusieurs solistes. Elles étaient donc deux, en ce 12 octobre 2022, pour ce concert dédié au répertoire lyrique français et italien, compositeurs et compositrices, en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane, deux « sœurs », deux mezzo-sopranos, à se prêter à cet exercice, Karine Deshayes et Delphine Haidan. Gros succès, très gros succès ! Il est vrai que la notoriété n’y était pas étrangère non plus, celle de Karine Deshayes surtout, Delphine Haidan étant, elle, moins connue du public. Leur complicité artistique s’est nouée en même temps que leur amitié au CNSMP, élèves de Mireille Alcantara, et de Régine Crespin en masterclass, et elles ont récemment monté ensemble plusieurs projets, dont le « Deux mezzos sinon rien », en 2018 aux Musicales du Luberon notamment : voir notre entretien d’alors avec Karine Deshayes ; Karine se disait alors tirant plutôt sur le soprano, par une évolution naturelle de sa voix, alors que Delphine illustrait plutôt l’alto.
C’est ce qui apparaît clairement aujourd’hui, et que le choix du programme confirme bien. Cataloguées toutes deux mezzo-sopranos, elles n’en ont pas moins des tendances opposées, qui, en duo, les font se compléter, l’une, Delphine Haidan, au timbre grave et chaud, tirant vers l’alto, l’autre, Karine Deshayes, à la voix plus claire et puissante, vers le soprano.
Karine Deshayes, quatre fois lauréate des Victoires de la musique (2002 en Révélation, puis 2011, 2016 et 2020 en Artiste lyrique de l’année), est l’invitée talentueuse de nombreuses scènes internationales, de Salzbourg au Metropolitan de New York, en passant par Madrid ou Barcelone ; en France, elle a chanté dans toutes les plus grandes salles et festivals, et, dans la région, les scènes d’Aix-en-Provence – avec sa première Norma cet été même -, Avignon, Gordes, Marseille, Ménerbes, Orange, pour ne citer qu’elles, l’ont applaudie bien des fois, et elle est ainsi très présente dans nos pages. Sa générosité d’artiste l’a amenée à chanter également au profit de l’abbaye de Sénanque, et à doter d’un prix le Concours international de la Mélodie de Gordes.
Les engagements nationaux et internationaux (Glyndebourne, Moscou, Vienne, Londres, Séville, Zurich, Tokyo et la Scala de Milan) ne manquent pas non plus à Delphine Haidan, de même que les récompenses et les projets.
Ce soir donc, en ce concert intitulé « Deux sœurs », à Delphine Haidan reviennent des rôles de mezzo, bien sûr, mais aussi d’alto, voire de contralto, tels que Malcom (mezzo, La Donna del Lago, Rossini), Orphée (Orphée et Eurydice, Glück, que Berlioz avait adapté à la voix de mezzo de Pauline Viardot), Lelio (alto ou contralto, Le dernier sorcier, Pauline Viardot), Anna (contralto, Les Troyens, Berlioz), Arsace (contralto, Sémiramide, Rossini), mais aussi, curieusement, de soprano (Mathilde, Elisabetto, regina d’Inghilterra, Rossini). La mélodie russe « Les Monts de Géorgie » de Pauline Viardot, était, elle aussi écrite pour une mezzo.
Karine Deshayes, pour sa part proposait des rôles de mezzo, également, mais d’autres aussi, destinés à des sopranos : un Orphée plus clair que celui de sa partenaire (mezzo, Gluck), Didon (mezzo, Les Troyens, Berlioz), Elena (soprano, La Donna del Lago, Rossini), Elisabeth (soprano, Elisabetto, regina d’Inghilterra, Rossini), Elvira (soprano, I Puritani, Bellini), Semiramide (soprano, Semiramide, Rossini).
Le public fut enthousiasmé, donc, par la prestation des deux solistes, qui, sachant captiver un auditoire attentif, ont fait montre de leurs qualités vocales et musicales et d’une belle complicité dans les duos (La Donna del Lago, Les Troyens, Elisabetto, Semiramide). Dans ces moments à deux, leur timbre, l’un plus dans l’aigu, l’autre plus grave, s’accordaient, se complétaient, les voix, comme dans les parties solistes, maîtrisant phrasés et nuances, sans éviter, cependant, quelques instants moins accomplis. Karine Deshayes se montrait plus agile dans les vocalises, et l’on a pu remarquer également sa maîtrise dans les aigus du « Qui la voce » des Puritani, un peu moins dans ceux du « Giorno d’orrore » de Sémiramide.
Tout cela, en effet, n’écarte pas, on l’aura compris, quelques critiques. Si la puissance de voix de Karine Deshayes arrivait à passer les tutti de l’orchestre, elle en arrivait parfois à couvrir aussi, comme l’orchestre d’ailleurs, le grave et le medium de sa partenaire. Nous lui avons noté par ailleurs quelques aigus un peu criards, notamment dans les rôles d’Orphée et Sémiramide. Orphée en vedette, avec ces deux voix différentes, disons même opposées. L’une était peut-être trop aiguë, trop féminine, l’autre, celle de Delphine Haidan, ne m’a pas tout à fait convaincu dans l’incarnation du « J’ai perdu mon Eurydice », pourtant fort applaudi, sans doute par la notoriété du morceau. Enfin, nous devons en revenir à ce mal contemporain commun à de nombreux chanteurs : si la musicalité est au rendez-vous, la diction, l’articulation, elles, laissent toujours à désirer et nos deux solistes n’ont pas échappé à ce défaut – exceptionnel pourtant chez elles -.
L’orchestre, de son côté, bien cadré par la direction claire, précise et nuancée de Debora Waldman, a parfaitement accompagné les deux cantatrices. Nous noterons une belle ouverture de l’Otello de Rossini, vivante, dynamique, exprimant avec brio la verve rossinienne, ainsi que les excellentes interprétations de l’ouverture du Fausto de Louise Bertin et des extraits (prélude de l’acte III et danse ukrainienne) du Mazeppa de Clémence de Grandval, sujet qui n’a donc pas inspiré que Liszt et Tchaïkovski.
Je ne reviendrai pas sur les œuvres bien connues de Rossini, Bellini, Glück ou Berlioz, mais ce concert avait aussi pour but de poursuivre l’exploration des œuvres de compositrices, entamée par Debora Waldman, et, pour les Françaises du 19ème siècle, le Palazzetto Bru Zane. Nous avions d’abord la cantatrice et compositrice Pauline Viardot (1821-1910), avec un extrait de son opéra de chambre en 2 actes, sur un livret en français de son bon ami Tourgueniev, œuvre dans laquelle j’ai trouvé des accents berlioziens, et sa mélodie « Les monts de Géorgie », sur un poème russe de Pouchkine, écrite initialement, semble-t-il, pour un accompagnement au piano. Nous ignorons qui fut l’auteur de l’orchestration qui nous a été proposée et nous signalerons en passant que la fille de Pauline Viardot, Louise, fut également compositrice.
Ainsi s’explique le titre du concert, sans doute resté mystérieux pour beaucoup de spectateurs, au-delà de l’amitié quasi sororale qui unit les deux artistes. Les « deux sœurs » sont deux artistes du XIXe siècle, deux mezzo-sopranos : celle que l’on connaît sous le nom de « la Malibran » (1808-1836), morte en pleine gloire à 28 ans des suites d’une chute de cheval, et sa sœur Pauline Viardot, justement, qui a traversé le siècle (1821-1919), élève de Liszt, et également compositrice.
Pour la suite du programme, l’ouverture du Fausto de Louise Bertin (1805-1877), opéra en 4 actes de 1831, sans succès à sa création (3 représentations seulement), le premier sur ce sujet inspiré du Faust de Goethe, si l’on excepte les 8 scènes de Faust de Berlioz (1829), fut très appréciée du public et une heureuse découverte. L’orchestration en est puissante, l’œuvre est grave et dégage une atmosphère tragique, une course éperdue, entrecoupée de combats entre le bien et le mal, jusqu’à une conclusion plus apaisée. Enfin, Clémence de Reiset, vicomtesse de Grandval (1828-1907), également cantatrice et élève de Saint-Saëns, nous offrait le court prélude de son opéra en 5 actes Mazeppa (1892), une atmosphère bucolique et sereine, animée par les dialogues du cor anglais et du hautbois, du premier violon et du premier violoncelle, et une danse ukrainienne sautillante et légère, menée par la harpe et à nouveau le hautbois.
L’enthousiasme du public amena deux bis. Ce fut d’abord l’incontournable barcarolle des Contes d’Hoffman, d’Offenbach, Delphine Haidan interprétant Nicklausse (mezzo) et Karine Deshayes Giulietta (soprano). Pièce à succès, mais qui manquait ici, en concert, de son atmosphère feutrée et mystérieuse, avec un tempo un peu rapide et un orchestre trop présent. Suivit le El Desdichado de Saint-Saëns, au style hispanisant, un agréable boléro pour deux voix (soprano, mezzo) sur un traditionnel espagnol, mais avec des voix qui, ici, ne se sont pas toujours parfaitement mariées sur quelques passages.
Ce fut en résumé un bien agréable concert, malgré ces quelques réserves minimes.
Le même concert – même programme, mêmes interprètes – a été donné avec grand succès devant 1.000 personnes le surlendemain, 14 octobre 2022, à la Philharmonie de Paris – une première pour la phalange avignonnaise, légitime reconnaissance pour un Orchestre National -.
B.D.
L’Orchestre organise en ce moment une expo-photos à la gare TGV. Ensuite, comme chaque année mais sur une période désormais élargie, l’Orchestre « s’éclatera en ville » du 2 au 20 novembre ; les concerts suivants seront « Dodo » pour public familial (10-20 novembre), et « Ode » le 25 novembre.
Chaque concert d’abonnement est précédé d’une rencontre presque intimiste avec des artistes – le chef, des musiciens ou un soliste – dans la salle des Préludes (19h15-19h35). Ce mardi 12 octobre, c’était Cordelia Palm, violon super solo, et Fabrice Durand, alto solo, qui ont dialogué avec quelques spectateurs.
Photos soirée & concert G.ad.
EC dit
Je ne pense pas que Pauline Viardot, soit décédée en 1019!!!!
Classique dit
Un grand merci pour votre lecture attentive ! Nous rectifions… Cordialement, G.ad.
Classique dit
Vous avez raison. Merci pour votre lecture attentive. Nous rectifions. N’hésitez pas à nous laisser des commentaires…
Cordialement.