« Le charme français » : de Marie Jaëll à Mélisse Brunet… découvertes au féminin !
Opéra Grand Avignon / Avignon, vendredi 26 janvier 2024, 20:00. Durée : 1h20. Tarif : de 5 à 30 euros
Orchestre National en Région Avignon-Provence (site officiel). Direction musicale, Mélisse Brunet. Violoncelle, Xavier Phillips
Claude Debussy, Clair de lune pour orchestre. Marie Jaëll, Concerto pour violoncelle. Gabriel Fauré, Élégie pour violoncelle. Gabriel Fauré, Masques et bergamasques. Maurice Ravel, Ma mère l’Oye, 5 pièces enfantines
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Cette soirée du 26 janvier nous proposait des œuvres empreintes de ce charme français, de ce raffinement orchestral qui marqua la charnière 19ème – 20ème siècles. Le choix était porté sur des pièces de courte durée, un bon quart d’heure pour la plus développée, le concerto pour violoncelle de Marie Jaëll, donné pour la première fois dans notre cité, les autres pièces au programme étant bien plus connues.
Une compositrice était donc à nouveau à l’affiche. Depuis que le mouvement a été inauguré de les sortir d’un oubli que plusieurs ne méritent pas, j’ai compté, sur ces trois dernières années, avoir entendu en concert les œuvres de 14 compositrices, de Clara Schumann à Camille Pépin.
Pour un vieux mélomane un peu blasé du répertoire classique habituel et en recherche de nouveautés, j’avoue que cette résurgence de la production féminine est bienvenue, car ouvrant à nouveau sur le plaisir de la découverte. Mais la manière de faire est-elle la bonne ? On nous ressort des compositrices éparpillées dans les programmes, une de-ci, une autre de-là, une œuvre par-ci, une autre par-là, un petit tour et puis s’en vont, et on les oublie. Ne serait-il pas plus efficace de consacrer des cycles aux plus intéressantes, d’en cibler une et de donner plusieurs de ses œuvres sur une même saison, histoire de mieux l’ancrer dans l’esprit du public ?
Bref, cet éparpillement ne m’avait pas empêché de remarquer tout particulièrement Marie Jaëll (1846-1925) et c’est donc avec impatience que j’attendais de découvrir son concerto pour violoncelle, créé en 1882 et que Xavier Phillips défend avec conviction depuis une dizaine d’années. Je ne fus pas déçu. L’œuvre, concise, trois mouvements en 16 minutes à peine, est de belle facture. L’orchestration, jamais appuyée ou exagérée, souvent subtile et aérée, offre, en dialogue ou accompagnement, un bel équilibre entre l’orchestre et le violoncelle, qui peut ainsi exprimer son chant, ses états d’âme tout en nuances et sa virtuosité. L’interprétation, vivante et expressive, qui en a été donnée par Mélisse Brunet, Xavier Phillips et nos musiciens avignonnais, fut tout à fait convaincante, un premier mouvement, allegro moderato, au lyrisme charmeur, presque vaporeux parfois, un andantino empreint à la fois de force et de tendresse, un vivace rapide, légère cavalcade, interrompue par une courte évasion rêveuse, puis méditative, avant de brièvement se relancer vers le final. Agréable découverte, donc, d’une œuvre qui mérite tout à fait sa place dans le répertoire des violoncellistes.
L’ordre annoncé dans le programme ayant été inversé, suivait la plus connue Elégie pour violoncelle de Gabriel Fauré. J’aurais, pour ma part, préféré l’ordre initial, qui aurait permis d’achever cette première partie de concert par le concerto de Marie Jaëll et d’en savourer pendant l’entracte tout le plaisir de la découverte, au lieu de le voir immédiatement supplanté par l’œuvre de Fauré.
Fauré (1845-1924) fut le contemporain exact de Marie Jaëll, et son Elégie (1883) date de la même époque. Les interprètes, là aussi, ont su en exprimer le recueillement, la douceur, puis une douleur plus affirmée avant un retour vers l’apaisement final. Mélisse Brunet a parfaitement géré cette partition, Xavier Phillips, à nouveau, a su mettre en valeur, avec sensibilité, le beau chant de son violoncelle.
Un mot tout de même de l’œuvre qui ouvrait ce concert, le Clair de Lune de Claude Debussy, orchestré par André Caplet. Balade poétique et sereine, Caplet en offre une orchestration délicate et intéressante, mais l’original pour piano m’apparaît plus attachant, ayant encore en tête la remarquable interprétation qu’en donna Shani Diluka, en bis, à La Roque d’Anthéron, en 2018.
Le « charme français » – puisque tel était le titre donné à ce concert par la directrice artistique de l’Onap – continuait en deuxième partie avec, toujours de Fauré, ses Masques et Bergamasques (1919), suite en 4 tableaux, tirée d’une musique de scène écrite pour un divertissement inspiré des personnages de la commedia dell’arte, et au titre emprunté aux vers du Clair de Lune, poème de Paul Verlaine. Belle interprétation là aussi, aux nuances bien rendues, vivante et animée, pour les trois premières parties, plus élégiaque et rêveuse dans la Pastorale finale.
Enfin, pour clôturer le tout, la version orchestrée des 5 pièces enfantines de Maurice Ravel, Ma mère l’Oye (1911) fut également un régal, avec la retenue de la pavane, l’ambiance mystérieuse de la forêt du Petit Poucet, le tableau espiègle et exotique de Laideronette, le dialogue de la Belle et de la Bête et le jardin féerique qui conduit à ce magnifique crescendo final. Un très léger détail qui a pu me gêner, le célesta couvert par la harpe et le violon solo.
En conclusion, un excellent concert, avec des musiciens irréprochables à tous les pupitres, qui fut salué comme il se doit par les ovations du public. On eût aimé un bis, pour rallonger le plaisir, vu la concision des œuvres présentées, mais non, hélas !
J’ai parlé de découvertes au féminin, après Marie Jaëll, il y en avait une autre…. La cheffe, Mélisse Brunet, française, remarquée, en son temps, par Pierre Boulez, bardée de diplômes, mais peu connue dans son pays natal, effectuant aux Etats-Unis la plus grande partie d’une riche carrière. Nous avons découvert une cheffe pleine d’énergie, directive, maîtrisant bien son orchestre, à la direction claire, précise et expressive, proposant avec intelligence et sensibilité les œuvres interprétées. Sa complicité avec le soliste a été parfaite. Il faut dire que le violoncelle fut le premier instrument qu’elle étudia. Nous serons bien évidemment heureux de la revoir.
Enfin, pour en terminer, je ne voudrais pas paraître obsédé par le sujet, mais sont réapparus les applaudissements inappropriés entre les différents mouvements ou parties des œuvres, bruit qui vient hacher et gâcher le plaisir et la magie de l’écoute, d’autant plus déplaisants qu’ils étaient trop fréquents dans ces pièces constituées de mouvements courts. Je ne sais d’où vient ce réflexe « d’applaudite » aiguë qui a saisi le public depuis le début de la saison. Une méconnaissance des œuvres ? Ou peut-être une influence des jeux télévisés où l’on applaudit à chaque réponse, aussi banale soit-elle, émise par un candidat. Applaudira-t-on bientôt à chaque note émise par un musicien ?
B.D.
Le concert était précédé par plusieurs « mises en bouche », désormais habituelles pour les concerts de saison.
En avant-concert le jour J, de 19h15 à 19h35, en Salle des Préludes de l’Opéra Grand Avignon, avait lieu une rencontre avec Mélisse Brunet et Xavier Phillips.
L’avant-veille, était organisée une « Promenade Orchestrale », sous forme d’une visite musicale au Musée du Petit Palais, avec Franck Guillaume, médiateur du Musée, documentaliste scientifique, et Elisabeth Hochard, pianiste et musicologue au Conservatoire de Lyon. À partir des collections du musée, cette déambulation à 2 voix était une lecture croisée mêlant histoire de l’art et musique symphonique autour de certaines collections du musée.
La participation à cette Promenade Orchestrale permet de bénéficier d’un tarif réduit au concert associé. Depuis de nombreuses années, l’Orchestre national Avignon-Provence et les bibliothèques de la ville d’Avignon développent en partenariat des actions de médiation autour de leur programmation permettant à leurs publics de se rencontrer et d’échanger autour de thématiques singulières.
Musée Calvet, Avignon, mercredi 24 janvier 2024, 15:00, durée : 1h30, gratuit sur inscription au 07 88 36 02 61 ou sur communication@orchestre-avignon.com
G.ad.
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