« Héros »
Vendredi 6 décembre 2024, 20h, durée 1h20. Opéra Grand Avignon / Avignon
Orchestre national Avignon-Provence (site officiel). Direction musicale, Case Scaglione. Violon, Carolin Widmann
Darius Milhaud, Symphonie de chambre n°1 « Le Printemps ». Leonard Bernstein, Sérénade d’après Le Banquet de Platon pour violon solo et orchestre de chambre. Ludwig van Beethoven, Symphonie n° 6 « Pastorale ».
Tarif : de 5 à 30€. Réservations par téléphone au 04 90 14 26 40
Avant-concert : Rencontre avec Case Scaglione et Carolin Widmann, Salle des Préludes de 19h15 à 19h45. Promenade Orchestrale : Conférence Musique et Philosophie
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Très beau programme pour le dernier concert du millésime : Milhaud, Bernstein, Beethoven, un intéressant mariage entre monument du répertoire et deux bijoux rarement joués
Pourquoi ce concert était-il baptisé « Héros » ? Je ne vois pas, mais ce sont réellement, comme annoncé, deux bijoux signés Milhaud et Bernstein, que nous ont offerts les musiciens de l’ONAP et leurs invités en cette soirée du 6 décembre, deux œuvres qui précédaient la bien connue Pastorale de Ludwig van Beethoven.
Attardons-nous quelque peu sur ces raretés, et d’abord, honneur à Milhaud (1892-1974), le régional, provençal, du programme. Aixois, né à Marseille, descendant d’une vieille famille comtadine, on peut regretter que ce compositeur à l’abondante production soit si rarement joué chez lui. Remontant mes archives, peut-être non exhaustives, jusqu’en 1987, je ne l’ai retrouvé joué que trois fois, avant le concert de ce jour, sur la scène avignonnaise : 1995 (Le carnaval de Londres), 2010 (Petite symphonie n° 5), 2019 (Le bœuf sur le toit). Nous ajouterons cependant que sont prévues, début juin 2025, à l’Opéra-Théâtre d’Avignon, ses Mamelles de Tirésias, cinquantenaire de sa disparition (un peu tardif) oblige !
C’est déjà mieux que pour un autre Vauclusien, né à Cadenet, Félicien David (1810-1876), bien oublié des siens, et, il faut l’espérer, que nous aurons peut-être la chance de voir renaître en 2026, à l’occasion du cent-cinquantenaire de sa disparition, dans un opéra-théâtre situé à deux pas d’une rue qui porte son nom.
Milhaud était donc de retour, mais n’est pas resté longtemps parmi nous. Le bijou, nous l’avons dit, qu’il nous proposait, sa première symphonie de chambre, à ne pas confondre avec sa première symphonie de 1939, est bien surprenant, une œuvre pour seulement neuf instrumentistes (quatuor à cordes, 1 flûte, 1 hautbois, 1 clarinette, 1 piccolo, 1 harpe), en trois mouvements, qui réussissent l’exploit de s’exprimer en quatre minutes. Première d’un cycle de six, elle fut créée en 1918 à Rio de Janeiro, dans la période où le compositeur tenait lieu de secrétaire à Paul Claudel, alors ministre plénipotentiaire à l’ambassade de France au Brésil. Cette brièveté est due au fait que les mouvements exposent des idées, mais sans les développer. Le premier, plutôt dissonant, développe une atmosphère printanière, joyeuse, mêlée de chants d’oiseaux. Le deuxième, plus calme et serein, pastoral, confie sa mélodie au hautbois. Le troisième enfin est une agréable danse champêtre, joyeuse et sautillante, menée par la clarinette. Nos neuf musiciens, sous la direction du chef américain Case Scaglione, actuel directeur musical de l’Orchestre National d’Ile-de-France, ont parfaitement et avec conviction livré cette œuvre si peu jouée et que nous réentendrons certainement avec plaisir.
Autre bijou, la Sérénade d’après le Banquet de Platon, de Léonard Bernstein (1918-1990). Un Bernstein là aussi surprenant, pour ceux qui ont en tête ses comédies musicales. Une sérénade ? Plutôt une intense et virtuose fantaisie, pour ne pas dire concerto, en cinq mouvements pour violon, orchestre à cordes, harpe et percussions, créée le 12.09.1954 à la Fenice de Venise. L’œuvre se veut commenter Le Banquet de Platon (4ème siècle av. JC), une série de discours proposant différentes visions sur la nature et les qualités de l’amour. La première partie évoque les discours de Phèdre et Pausanias. Le fugato initial est introduit par le violon solo de Carolin Widmann, rejoint ensuite par les premiers violons, puis les altos, puis toutes les cordes, pour se poursuivre en allegro de sonate. Le jeu de la violoniste est dense, virtuose. Les thèmes langoureux suggèrent un amour idéalisé et substantiellement bon. L’écriture pour les cordes est remarquable et bien rendue par nos musiciens. La deuxième partie, allegretto, plus lente et réfléchie, évoque l’intervention d’Aristophane, exprimant la mythologie féérique de l’amour. La tension musicale s’accroît, les percussions interviennent, la partie de violon est superbe. La troisième partie, plus violente, un scherzo fugué court et rapide, mélange de mystère et d’humour, se veut une analyse plus savante et scientifique des manifestations amoureuses, proposée par Eryximaque. La quatrième, un adagio, celle d’Agathon, plus lyrique et émouvante, revient vers le rêve et la douceur. Un ample développement orchestral mène à un climax passionné, le jeu intense qui suit du violon va ensuite se calmant, pour retrouver un moment nostalgique, avant de s’éteindre doucement. La cinquième partie enfin, qui voit la conclusion de Socrate interrompue par l’arrivée animée et joyeuse de son amant Alcibiade et sa bande de noceurs, débute aux cordes, cérémonieuses, suivies d’un long duo violon-violoncelle et d’un passage retenu et mystérieux, brusquement interrompu par l’irruption des noceurs. S’en suit un final vif, flamboyant, jazzy (c’est Bernstein), parfaitement maîtrisé par l’orchestre et la soliste, et conclu par une immense ovation du public.
Belle découverte, donc, que cette sérénade, magistralement interprétée par l’ensemble des acteurs, des cordes et percussions à l’engagement sans failles, une direction sobre et précise de la part de Case Scaglione, vivante et expressive, et une violoniste, Carolin Widmann, au sommet de son art, virtuose, engagée, passionnée, autrice d’une remarquable performance tant cette œuvre est, pour le soliste, intense et exigeante.
Après ces découvertes, retour en terrain plus familier avec la Pastorale de Beethoven. Case Scaglione et ses musiciens nous en ont donné une belle version, vivante, expressive, sachant traduire et faire partager les sentiments générés par cette ode à la nature. On aura noté sa direction calme, précise, à la gestuelle économe, laissant parfois sans bouger l’orchestre s’exprimer. Le premier mouvement, animé, bien nuancé, festif, évoquait une nature accueillante et hospitalière. Le second (scène au bord du ruisseau), pris dans un tempo relativement rapide, au rythme berçant et dansant, mettait en évidence la belle cohésion de l’orchestre et les bois imitant les chants des oiseaux. Le troisième nous offrait de bonnes interventions du hautbois en particulier, des bois et des cors et une danse villageoise bien appuyée. Le passage de l’orage, menaçant et emportant tout, fut réussi, tout comme le retour au bucolique, à la nature en fête, ouvrant sur un grandiose et glorifiant final.
Là aussi, une belle ovation salua cette interprétation et une nouvelle prestation de qualité des musiciens de l’ONAP.
B.D. Photos Kaupo Kikkas & Lennard Ruehle
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