Vendredi 04 avril 2025, 20h, Opéra du Grand Avignon
Orchestre National Avignon-Provence
Léo Margue, direction
Adam Laloum, piano
Jean Sébastien Bach, concerto pour piano n° 1, BWV 1052. Vitĕzslava Kapralova, partita pour piano et cordes. Félix Mendelssohn, symphonie n° 1
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Rappels, ovations, applaudissements : un public conquis par l’Orchestre, le soliste et le chef
C’est encore un public ravi qui a assisté, ce vendredi, au concert proposé par les musiciens de l’ONAP, le pianiste Adam Laloum et le jeune chef invité, Léo Margue, que nous avions déjà accueilli, il y a tout juste un an, pour la création mondiale de la 2ème symphonie d’Olivier Penard. Un public, toutefois, aux rangs quelque peu éclaircis, que la notoriété d’Adam Laloum n’avait pas réussi à combler, le fait, sans doute, d’un programme ne comportant pas d’œuvre « bateau », mais une compositrice tchèque inconnue de nos contrées et une symphonie de Mendelssohn, largement éclipsée par « l’Ecossaise » ou « l’Italienne ».
Bach, auquel la partita de Kapralova fait référence, et compositeur dont Mendelssohn assura la redécouverte, ouvrait le concert avec son concerto pour piano n° 1, bien connu, celui-là. Initialement écrit pour clavecin et cordes, il était donné, ce jour, par une vingtaine de musiciens, sur instruments modernes et piano, les violonistes et altistes, à la façon des ensembles baroques, jouant debout. Si la version pour clavecin et instruments d’époque a son charme et son parfum d’authenticité, la version moderne avec piano ne manque pas d’intérêt non plus, donnant à l’œuvre une autre force et une autre dimension expressive. Nous ne reviendrons pas ici sur ce débat entre « ancien et moderne » et nous contenterons de ce qu’il nous fut donné d’entendre. D’abord, la mise en valeur des cordes de l’ONAP, homogènes, précises, attentives aux volontés du chef, sachant rendre toutes les nuances et inflexions voulues par la partition. Le piano, dans les deux allegros, déroule son jeu pratiquement ininterrompu, telle une eau qui s’écoule, claire, assombrie parfois, au gré des variations. Adam Laloum en a la parfaite maîtrise, en souligne sans aucune faiblesse toutes les nuances et les subtilités. L’adagio central calme l’élan puissant et tendu du premier allegro. Ses silences, ses hésitations rendent l’ambiance plus pesante, évoquent une réflexion plus profonde, comme une pensée lourde à porter. Mais avec l’allegro final, rapide à nouveau, éclatant, lumineux, l’optimisme revient, emportant les ovations du public.
La mise en valeur des cordes, toujours debout, se poursuivait avec la partita de Vitĕzslava Kapralova, une découverte pour beaucoup, de cette étoile filante de la musique, comme d’autres trop tôt disparue, à l’âge de 25 ans, alors qu’elle promettait un avenir brillant. Elle se trouvait à Paris, en 1940, lorsque la maladie, probablement une tuberculose miliaire, nécessita son hospitalisation. Evacuée en zone libre après l’invasion allemande, elle devait décéder dès le 16 juin de la même année à l’hôpital de Montpellier. Compositrice douée et chef d’orchestre, proche du compositeur Bohuslav Martinu, elle a toutefois laissé 25 numéros d’opus, œuvres pour orchestre, de musique de chambre et pour la voix. Sa partita, opus 20, datée de 1939, sans aucun doute son chef-d’œuvre, fait partie des dernières et témoigne de la grande maîtrise déjà atteinte de l’orchestration et de la composition. L’œuvre fait référence à Bach, par son titre, ses trois mouvements (allegro energico, andantino, presto), l’ensemble orchestral choisi (cordes et clavier), mais sa modernité est bien celle de cette première partie du 20ème siècle. Je n’ai pu m’empêcher, en l’écoutant, de penser, par certains de ses aspects, à Bartok.
L’orchestre, le soliste et le chef se sont employés à lui faire honneur et nous en ont offert une interprétation des plus convaincantes. Le premier mouvement s’engage sur un rythme sec, décidé, saccadé, des dissonances viennent s’y glisser, le piano, moins sollicité que chez Bach, mais imposant son empreinte, et l’orchestre s’affrontent, les idées musicales abondent. L’andantino est, lui, plus réfléchi, rêveur, voire lyrique, même si quelques sonorités peuvent être plus âpres. Le piano se mêle aux cordes, alterne avec elles, leur vient en écho, commente.
Comme chez Bach, le final arrive, miroir du premier mouvement, avec son début à nouveau décidé et saccadé et va se développer encore plus brillant et virtuose. Le mouvement est varié, apaisement et tutti décidés et plus rapides alternent, un instant plus délicat se fait entendre, l’alto solo émerge, le piano nous offre une cadence virtuose et maîtrisée, le final est ample et majestueux, et le public subjugué se laisse aller aux ovations.
Adam Laloum lui répondit par un bis paisible et pensif, dont nous ne pourrons donner le titre, lui-même no personne d’autre ne l’ayant annoncé ou affiché, ce qui est regrettable, nous l’avons déjà dit, musicalement et pédagogiquement parlant, le public ne connaissant pas forcément par cœur tout le répertoire instrumental.
La première symphonie de Mendelssohn (1824, il avait 15 ans !) n’est pas la plus jouée, ni la plus connue. L’interprétation du premier mouvement (allegro di molto), certes pleine de fougue, ne m’a pas, je dois l’avouer, complètement satisfait, avec ses tutti forte trop compacts, noyant les lignes musicales, à l’attaque parfois trop brutale, ces traits de flûte, au début, un peu criards, mais une partie de cordes bien conduite. L’andante était plus finement mené, les lignes musicales bien gérées, l’ensemble était équilibré, bois et cordes sachant s’y mettre en valeur. Le menuet, au rythme rapide, syncopé, décidé, était suivi d’un trio plus apaisé et doux, un brin mystérieux, avant une reprise éclatante et quasi victorieuse du premier thème. Le final allegro con fuoco était conduit dans la dynamique voulue, quelques tutti forte restant encore trop compacts, mais on aura apprécié les interventions de la clarinette, les passages fugués, les pizzicati en toile de fond pour la clarinette et la flûte et la dernière fugue précédant un final éclatant.
Léo Margue, conduisant sans baguette, à la gestuelle expressive, ample et agitée a confirmé son art de la direction et mené son orchestre au succès. Par ses rappels, ses ovations et ses battements de mains, le public témoigna aux musiciens et à leur chef son entière satisfaction.
B.D. Photos Marco Borggreve ; capture d’écran Victoires de la musique ckassique 2024 ; Julien Benhamou
BIOGRAPHIE, in Musicaglotz
Adam LALOUM, piano
Considéré comme l’un des plus grands talents de sa génération, le pianiste Adam Laloum a reçu une reconnaissance internationale en remportant en 2009 le 1er Prix du prestigieux concours Clara Haskil ainsi que la Victoire de la Musique dans la catégorie « Instrumentiste de l’Année » en 2017.
Adam Laloum a l’occasion de se produire en concerto avec des orchestres prestigieux tels que le Mariinsky Orchestra/Valery Gergiev, le Deutsches Sinfonieorchester Berlin/Nicholas Collon à la Philharmonie de Berlin, l’Orchestre de Chambre de Lausanne/Joshua Weilerstein au Festival de Saint-Denis, l’Orchestre National de Belgique/Hugh Wolf, l’Orchestre de Paris/Cornelius Meister, l’Orchestre du Capitole de Toulouse/Joseph Swensen/Maxim Emelyanychev, l’Orchestre Philharmonique de Radio France/Sir Roger Norrington, l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo/Alain Altinoglu, l’Orchestre National de France/Andris Poga, l’Orchestre National de Lyon/Gabor Takacs-Nagy, l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège/John Neschling, l’Orchestre de la Suisse Romande/Jonathan Nott, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg/Jesus Lopez-Cobos, le Luzerner Sinfonieorchester/James Gaffigan, le KBS Symphony Orchestra/Yoël Levy, l’Orchestre National de Bordeaux/Jaime Martin, l’Orchestre du WDR de Stuttgart, etc.
En récital, Adam Laloum se produit notamment au Théâtre des Champs Elysées, Wigmore Hall, Herkulessaal de Munich, Tonhalle Zürich, Auditorium du Louvre, Piano à Lyon, Grand Théâtre de Bordeaux, Grand Théâtre d’Avignon, Société Chopin de Bern, Palais des Beaux-arts de Bruxelles, Bilbao, Japon. Il est l’invité du Klavier-Festival-Ruhr, des Festivals de Verbier, Colmar, Lucerne, la Roque d’Anthéron, SWR Schwetzingen, la Chaise-Dieu, Folles Journées de Nantes, Piano aux Jacobins, Bad Kissingen, Mecklenburg-Vorpommern Festival, Schubertiade Hohenems, etc…
Après un premier disque « Brahms » (Mirare) salué par la critique, le suivant sort en 2013 et est consacré à deux oeuvres de Schumann : la Grande Humoresque op.20 et la Sonate n°1, op.11. Cet enregistrement reçoit le « Diapason d’or de l’année 2014 », le « Grand Prix de l’Académie Charles Cros », « ffff » de Télérama, et en Allemagne la plus haute distinction du magazine Fono Forum. Parait ensuite un album Schumann/Schubert (Mirare), puis les deux Concertos pour piano de Brahms avec le Rundfunk Sinfonieorchester de Berlin sous la direction de Kazuki Yamada (Sony Music). En septembre 2023, paraît un album avec la violoniste Mi-Sa Yang consacré sur Poulenc, Prokofiev, Stravinsky et Debussy (Mirare).
Pour sa première collaboration avec Harmonia Mundi, il fait paraître en 2020, deux sonates de Schubert encensées par la critique, puis un album consacré à l’op.116 et la 3ème Sonate de Brahms qui est récompensé d’un CHOC de Classica. Son tout dernier parait début 2024 et est à nouveau consacré à Schubert avec les Moments Musicaux et l’avant-dernière Sonate, D959.
Musicien de chambre passionné, Adam Laloum fait paraître avec le Trio les Esprits plusieurs enregistrements, le dernier étant consacré à Schubert et gratifié d’un The Strad « Recommends » (Sony Music). Avec le clarinettiste Raphaël Sévère et le violoncelliste Victor Julien-Laferrière, il fait paraître les deux Sonates et le Trio avec clarinette de Brahms. Cet enregistrement a reçu le « Diapason d’or de l’Année 2015 » et ffff de Télérama. Avec l’altiste Lise Berthaud, il enregistre un album consacré à Schumann, Schubert et Brahms qui est également récompensé d’un Diapason d’or, et avec la violoniste Mi-Sa Yang, un album consacré à Poulenc, Prokofiev, Stravinsky, Debussy (Mirare).
Parmi les temps forts de la saison 2023/24 on note son retour à l’Orchestre Symphonique de Mulhouse sous la direction de Christophe Koncz dans le concerto n°2 de Brahms, et une tournée de récitals en Europe.
Adam Laloum est le co-fondateur et directeur artistique du festival des Pages Musicales de Lagrasse depuis 2015, un festival consacré au répertoire de musique de chambre.
Il commence le piano à l’âge de 10 ans et poursuit ses études musicales au Conservatoire de Toulouse avant d’intégrer le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris en 2002 dans la classe de Michel Béroff. Il obtient son Diplôme de formation supérieure de piano en juin 2006 et poursuit un cycle de perfectionnement au CNSM de Lyon dans la classe de Géry Moutier. Il rejoint ensuite la classe Hambourgeoise d’Evgeni Koroliov, Prix Clara Haskil 1977.
Photo Harald Hoffmann, Sony
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