Dans cette page :
- Race(s),
- Suite française,
- Toi tu te tais,
- Un Songe d’une nuit d’été,
- Voyage dans les mémoires d’un fou
Race(s). Théâtre des Carmes. Une seule représentation
La théorisation dont il faut se méfier
Pourquoi François Bourcier a-t-il décidé de faire une représentation de son spectacle Race(s), dans le cadre du festival off d’Avignon ? Pour permettre aux spectateurs de comprendre ces mécanismes qui ont conduit au cours des siècles à l’élaboration de la théorie des races sur laquelle se sont appuyés les nazis pour justifier leurs crimes ; mais aussi et surtout pour alerter sur les dangers du racisme encore si présent dans notre monde et sur les risques que représente la montée de l’extrémisme. Et le débat qui a suivi, en présence d’Abraham Bengio, de la LICRA, avait aussi ce but.
À travers ce spectacle, François Bourcier donne à entendre les déclarations authentiques de philosophes, d’économistes, de scientifiques, d’hommes politiques, de Platon à Hitler, qui ont théorisé et décidé de la suprématie de l’homme blanc, et qui par leurs propos ont donné naissance à l’esclavagisme, à l’antisémitisme, à l’eugénisme et à toutes les formes de racisme. François Bourcier incarne de manière magistrale tous ces personnages, il se métamorphose de l’un à l’autre de manière impressionnante. Leurs discours sont parfois à la limite du supportable mais le choix qu’il a fait d’intercaler des poèmes originaux d’Anne de Commines nous ramène à plus d’humanité et permet cette respiration salutaire, tout comme le discours de Martin Luther King qui clôt ce spectacle.
François Bourcier croit aux vertus du théâtre pour éduquer les consciences et il prouve de manière magistrale dans ce spectacle qu’il a raison d’y croire ! L’émotion qui l’a étreint à la fin au point de terminer au bord des larmes, il sait la communiquer à son public. Son spectacle ne peut que réveiller les consciences, et même si le chemin à faire risque d’être long, de tels spectacles ouvrent la voie. (S.T.)
Suite française, Balcon, durée.
Toi tu te tais. La Luna, durée 1h15. Programme page 277
Pouvoirs et manipulations de la parole
Une très belle découverte que ce slameur atypique : sous des airs de rockeurs se cache un véritable poète qui joue avec les mots et qui se joue des mots.
L’univers dans lequel nous emmène Narcisse est vraiment étonnant car la vidéo est omniprésente, sous forme de téléviseurs mobiles pour créer des tableaux, pièces, ouvertures sur le monde, visages de toutes sortes. Cette technologie dont il se moque dans ce spectacle, il en joue à merveille pour nous faire entrer dans son univers si particulier. La musique a aussi une place prépondérante et l’on ne peut que souligner les qualités artistiques de Pierre Gilardoni, à la fois pianiste et guitariste. La voix profonde de Narcisse l’est autant que les idées qu’il cherche à transmettre, à travers des mots manipulés avec bonheur et justesse.
Dans Toi tu te tais, il dénonce les pouvoirs et les manipulations de cette parole qu’il sait, lui, si bien manier, taclant tour à tour hommes politiques, chefs d’entreprise, technologie, télévision… à qui justement il demande de se taire. Et c’est aussi son public qu’il réussit à faire taire, subjugué par la créativité, la poésie, la force et la profondeur de ce qu’il entend. (S.T.)
Un Songe d’une nuit d’été, d’après Shakespeare et Purcell, mise en scène Antoine Herbez. Petit Louvre, durée 1h30. Programme page 343
Shakespeare et Purcell : un charme fou
Un moment enchanteur et très poétique que cette plongée dans l’univers féerique de Shakespeare grâce à Un songe d’une nuit d’été mis en scène avec délicatesse par Antoine Herbez. Le titre Annonce déjà que ce sera « une » version de la pièce de Shakespeare, recentrée sur les quatre jeunes amoureux : Hermia, Lysandre, Demetrius et Helena, qui se perdent dans la forêt dominée par Titania et ses fées, Oberon et son fidèle Puck. Avec des extraits l’opéra de Purcell The Fairy Queen (lui-même adapté, comme on le sait, du Songe d’une nuit d’été), qui nous font entrer de plain-pied dans l’univers des fées, poétique, onirique.
Les comédiens-chanteurs ayant des voix magnifiques – Orianne Moretti (Titania) et Maxime de Toledo (Oberon) en particulier -, nous transportent avec eux dans cette nature tantôt lyrique tantôt inquiétante.
La magnificence des costumes participe à cet univers onirique, tant pour Oberon et Titania que pour les fées, Toile d’araignée qui joue du violoncelle. La mise en scène des échanges entre les humains est elle aussi pleine d’originalité et de vivacité : courses-poursuites des amoureux sur le plateau (et dans la salle !), les disputes en forme de combats de lutte, très chorégraphiés, ce qui confère modernité et humour à la pièce.
Un bel hommage rendu à Shakespeare et un moment d’enchantement visuel et musical grâce toute l’équipe de la Compagnie Ah. (S.T.)
Voyage dans les Mémoires d’un fou, de Lionel Cecilio. Corps-Saints, durée 1h20. Programme page 184
Trois temps d’une vie, trois espaces d’une scène, un voyage étrange et émouvant
C’est à un voyage surprenant, drôle et émouvant que nous convie Lionel Cécilio à la fois auteur, metteur en scène et interprète de ce Voyage dans les Mémoires d’un fou inspiré de Flaubert.
Cet homme, atteint d’une maladie incurable qui brise son corps et le fait souffrir, suit les conseils de son médecin et rédige son journal, c’est le moment présent. C’est ainsi qu’on le voit côté cour, attablé à un bureau en train de rédiger ses mémoires. Mais la scène dessine trois espaces ; en plus de ce bureau, côté jardin, il y a ce lit d’hôpital où l’on suit l’évolution des souffrances physiques et des essais médicaux pour le soulager. Au centre enfin, une armoire et une chaise, c’est le moment de l’enfance et des souvenirs, les moments heureux et drôles.
C’est avec une folle énergie que Lionel Cécilio nous fait passer d’un endroit à l’autre, d’un temps à l’autre, en faisant alterner les moments de réflexion (sur la langue et les mots en particulier, ces mots que le personnage aime tant mais aussi sur la vie tout simplement), ceux de douleur (où il nous fait ressentir les affres des douleurs physiques), mais aussi ceux de la légèreté (et c’est toujours l’enfance qui nous y convie).
Un beau voyage, où le spectateur est complètement emporté avec cet homme si étrange rempli de contradictions et qui met en lumière les contractions de toute l’humanité. Un spectacle émouvant qui vous remue et vous oblige à réfléchir. (S.T.)