Dans cette page :
- Les Caprices de Marianne,
- Les Champignons de Paris,
- Les Iles désertes,
- Les Liaisons dangereuses,
- Les Misérables
Les Caprices de Marianne, Théâtre des Lucioles, durée 1h30. Programme page 272
Plutôt qu’une comédie, un drame romantique
Les Caprices de Marianne : comédie, comme le voulait Musset, ou bien drame romantique où la puissance de l’amour fait des ravages, à côté d’autres moments plus drôles ? C’est bien à un drame romantique – splendeur, démesure, force et ambiguïté des sentiments -, que l’on assiste dans cette très belle mise en scène de Pascal Faber et la compagnie 13. Drames de l’amour et ses ravages : amour contraint de Marianne pour le vieux juge Claudio auquel elle a été mariée à peine sortie du couvent et qui aspire à la liberté, amour jaloux de ce même Claudio jusqu’au meurtre, amour-passion sans espoir de Coelio, qui mourra tué par l’époux de Marianne, amour libertin d’Octave, « cet être épris d’idéal et que l’amour a déçu » (Pascal Faber, note d’intention), qui passe de femme en femme sans s’attacher à aucune et qui finit pas refuser l’amour sincère de Marianne quand celle-ci le lui offre, par respect pour son ami Coelio, mort d’avoir trop aimé cette dernière.
Le décor est à la fois simple et signifiant : trois rideaux tendus qui dessinent, grâce aux accessoires, les trois espaces du drame. Le premier est la maison de Marianne et de Claudio. Le deuxième, le lieu de passage et de rencontre. Le troisième espace est à la fois le cimetière et l’au-delà…
Les acteurs portent tous avec ferveur leurs personnages. Vanessa Cailhol, parfaite en Marianne, passe de la jeune fille dévote, prude et réservée, à la femme révoltée, violente, tellement offusquée des soupçons de son mari qu’elle décide justement de le tromper. Pierre Azéma, lui, est aussi convaincant en Octave débauché et ivre, incapable de se gouverner lui-même, qu’en fin stratège séducteur.
La première apparition de Pierre Azéma dans son costume de carnaval (car c’est bien en cette période de carnaval à Naples que Musset a situé sa pièce et que Pascal Faber fait le choix de la reprendre), barbe grisonnante et robe extravagante, fait sensation et redonne tout son sens à la « comédie » de Musset, entre bon vivant et homme meurtri. Séverine Cojannot incarne à la fois Rosalinde, l’une des conquêtes d’Octave, et Ciuta, la servante qui dénonce les entrevues d’Octave et Marianne. Frédéric Jeannot est un Coelio passionné, le vrai héros romantique, tout en proie à ses sentiments, incapable de réflexion, prêt à toute extrémité. Brock en Claudio est un parfait juge intransigeant et rigide, et tellement obnubilé par le fait d’être trompé qu’il provoque ce qu’il craignait le plus. Pascal Faber enfin, metteur en scène et acteur, s’est attribué le rôle de Tibia, ce valet, serviteur fidèle qui organise avec une implacable obéissance les volontés de son maître et crée par son organisation le drame et la mort.
Une très belle mise en scène, avec un recentrage sur les personnages principaux. Une grande force et une grande puissance dans le jeu des acteurs qui nous transportent sur les chemins complexes de l’amour, tout imprégné de ce XIXe siècle complexe et riche. Du grand et beau théâtre ! (S.T.)
Les Champignons de Paris. Chapelle du Verbe incarné, durée 1h35. Programme page 151
Champignons nucléaires à Mururoa : un scandale !
Dénoncer les essais nucléaires, tirs aériens et souterrains, qui ont eu lieu sur les atolls de Mururoa et de Fangataufa près de Tahiti, et les dégâts qu’ils ont fait à court et long terme, voilà l’objectif de cette pièce.
S’appuyant sur des archives très sérieuses auxquelles elle a pu avoir accès depuis la levée du secret-défense et l’arrêt de ces essais décidés par Jacques Chirac, Emilie Génaédig, a rédigé cette pièce très forte qui donne la parole tant aux politiques qui ne pensent qu’à se munir de l’arme nucléaire sous prétexte de protéger la paix qu’aux militaires et techniciens en charge de ces essais, qu’aux populations locales, partagées entre les apports économiques de ces essais et les craintes des dangers, craintes se faisant de plus en plus fortes après les premiers symptômes liés aux irradiations.
La mise en scène de François Bourcier, faisant alterner les images d’archives vidéo sur lesquelles on ne voit que trop bien ce fameux champignon atomique, ou les discours politiques et des scènes d’échanges et de discussions nous permettant de voir les différents points de vue dans un décor fait de toiles plastiques sur lesquelles est répandu une peinture fluorescente, donne toute sa place au jeu subtil et prenant des acteurs, Guillaume Gay Tepa Teuru, Tuarii Tracqui (qui sont tahitiens : ce n’est pas un hasard si c’est là-bas que cette pièce a été créée).
Un spectacle sur un scandale écologique mais aussi humain, trop longtemps caché, qui réveille les consciences. Une vérité qui dérange enfin révélée et qui mériterait d’être bien plus largement diffusée, pour faire réfléchir et agir à l’avenir. (S.T.)
Les Iles désertes, durée 55 minutes
Des îlots de Langerhans au DID
Une pièce « cousue main », tonique, roborative, intelligente et sensible, interprétée avec justesse, humour et émotion subtilement dosés. Inutile de la chercher dans le programme du Off, elle n’y figure pas. Elle a été jouée au centre hospitalier Henri-Duffaut d’Avignon quelques jours avant le début du Festival, et si nous souhaitons la faire partager dans cette rubrique, c’est parce qu’une co-auteure-comédienne-metteure-en-scène des Iles désertes, Rebecca Stella, est engagée dans une pièce du Festival, La Mort d’Agrippine, au Chêne Noir, aux côtés de son père et sa sœur, Daniel et Sarah Mesguich.
Avec un simple drap et deux accessoires, soulevée d’une tendre énergie, la jeune compagnie Le Théâtre aux étoiles (3 comédien-ne-s) crée tout un univers, à la fois poétique et concret, dans lequel chacun reconnaît un peu de sa vie. Elle raconte en souriant, parfois dans le jaillissement d’un éclat de rire partagé avec la salle, le quotidien d’une famille soudain bouleversé par le diagnostic terrible de la maladie, et désormais rythmé, dans chacune des minutes et de façon irrémédiable et définitive, par le DID, diabète insulino-dépendant d’un enfant. Le DID ne touche qu’un diabétique sur 10, et demeure très mal connu, et cette pièce, médicalement juste (les actrices sont mamans concernées), et humainement très délicate, mériterait d’être remboursée par la Sécurité Sociale. D’une vie qui ne connaîtra plus jamais l’insouciance heureuse, on retiendra, si l’on peut se permettre l’emprunt, l’ »insoutenable légèreté de l’être ». Ces « iles désertes » sont les îlots de Langerhans, dont le dysfonctionnement signe justement la maladie… Mais elles ne sont pas pour autant « terrae incognitae » même si on les souhaiterait tellement exotiques.
Ces Iles désertes offrent une belle leçon de vie et de partage, mais également du beau théâtre professionnel. On a envie de rire et de pleurer, mais on se sent étonnamment vivant. Le DVD des Iles désertes est en vente sur le site du Théâtre aux étoiles (www.letheatreauxetoiles.fr). Le 2e volet ne devrait pas tarder. (G.ad. Photos G.ad.)
Les Liaisons dangereuses. Factory/l’Oulle, durée 1h20. Programme page 227
Très belle adaptation, avec un point de vue inédit
C’est une très belle adaptation des Liaisons dangereuses qu’a réussie Manon Montel, respectueuse, mais avec un point de vue inédit : la découverte des lettres par Danceny. Des lettres qui se croisent et s’entrecroisent, un vrai défi – réussi – de mise en scène. Le jeu des rideaux noirs qui cachent tout en laissant deviner, le dispositif d’escaliers et de plate-forme, les quelques feuillets toujours présents sur le devant de scène, la pénombre, presque en clair-obscur, permettent de magnifier le jeu des acteurs.
Ceux-ci portent avec talent cette production. Anatole de Bodinat est un Valmont certes effrayant dans sa froideur calculatrice, sa manipulation et ses excès de violence, avec sa voix profonde, mais aussi tellement touchant dans son aveu final. Cécile Génovèse, Léo Paget et Manon Montel incarnent eux aussi à la perfection toute la subtilité de leurs personnages. Quel dommage que le jeu de Nathalie Lucas en Mme de Merteuil, qui devrait mener la pièce par sa prestance et son charisme, ne soit, quant à lui, pas à la hauteur de se partenaires.
Mettre en scène avec bienséance le libertinage tant intellectuel que physique, voilà un autre défi. Les scènes érotiques sont bien présentes, violentes parfois (Valmont-Cécile), mais sublimées aussi dans un échange chorégraphié, presque dansé, très sensuel et émouvant (Valmont-Mme de Tourvel).
Un parti pris original et convaincant dans cette lecture personnelle. (S.T. Photos Anthony Magnier)
Les Misérables. Condition des soies, durée 1h30. Programme page 177
Belle adaptation, avec des moments forts
Beau défi qu’une adaptation des Misérables en 1h30 ! Défi relevé avec brio par Manon Montel et sa compagnie Chouchenko.
Avec des choix judicieux, puisque, à côté des personnages attendus – Cosette, Jean Valjean, Javert, Fantine, les Thénardier -, on trouve des personnages moins connus – Courfeyrac, Prouvère, Enjolras et Gillenormand-, et des scènes comme les échanges politiques entre Marius et ses amis ou celles plus intimes mais non moins passionnées avec son grand-père par exemple. C’est ainsi une grande fresque hugolienne sur ce XIXe siècle si complexe, fidèle à ce défenseur des plus faibles, convaincu que seule la République peut sauver, fidèle à ce politique engagé qui pense que l’amour de l’autre peut engendrer un monde plus juste.
Les décors sont simples. Dans une lumière blafarde et embrumée, quelques éléments mobiles créent espaces et lieux différents, quelques objets suffisent : le pupitre (bureau du maire M. Madeleine), la table de l’auberge des Thénardier, les bottes de pailles et autres tonneaux des barricades, le banc du jardin du Luxembourg.
L’originalité de cette mise en scène est de nous faire suivre une Madame Thénardier accordéoniste, incarnée par Claire Faurot, comme narratrice de cette pièce ; un personnage noir, qui se penche sur sa vie et sur celle des autres et qui semble en tirer une morale ou tout du moins une réflexion.
Le jeu des lumières et la projection en fond de scène donnent toute leur force à certaines scènes, comme celle du travail à l’usine chez M. Madeleine, l’une des plus remarquables. Sur un arrière-plan de rouages et autres mécaniques, dignes des Temps modernes de Chaplin, trois acteurs, Manon Montel, Cécile Génovèse et Léo Paget, rendent compte de ce travail répétitif à l’usine dans une mise en scène très chorégraphiée, soutenue par une musique pertinente, dénonciatrice de cette chaîne répétitive et déshumanisante. La lettre de Marius qui s’affiche pendant que son grand-père la lit en est une autre, enfin la forêt sombre et lugubre en fond lorsque Jean Valjean raconte à nouveau à Cosette leur rencontre en est une dernière pour ne citer qu’elles.
Soulignons d’autres scènes touchantes – mise en scène et jeu des acteurs – : la prise de la barricade, avec la mort de Gavroche magistralement jouée par Manon Montel elle-même, fait frémir le spectateur ; scène jouée par les révoltés Enjolras (Cécile Génovèse, qui joue aussi Cosette), Courfeyrac (Xavier Girard), Marius (Léo Paget), enfin Gavroche, et aussi narrée par Claire Faurot et Antoine Herbez, qui font résonner en beauté l’évocation de cet « enfant-fée », virevoltant parmi les balles avant d’être abattu. Dans un ralenti très cinématographique et très chorégraphié, presque dansé, Manon Montel nous fait presque pleurer sur la mort si injuste de cet enfant abandonné, soulevé par sa foi en la Révolution pour créer un monde meilleur.
Une très belle adaptation, à la fois fidèle et très actuelle. (S.T. Photos J.C Frèche et Vincent Virat).