Dans cette page :
- Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?
- Et pendant ce temps Simone veille,
- Fluides,
- Hamlet,
- Hippolyte ou la passion de Phèdre,
Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? Théâtre du Roi René, durée 1h25. Programme page 364
Comme son titre l’indique, ce spectacle évoque une actrice presque mythique, et c’est elle-même, juste avant de mourir, qui raconte sa vie et évoque les rencontres qu’elle a faites.
Ce spectacle est une petite pépite, qui fait alterner théâtre, chant et danse avec un dynamisme étourdissant tout en sachant ménager des moments plus calmes. Il nous plonge avec délice dans ce Paris des années folles, avec charleston et paillettes, et cette gouaille parisienne si typique d’Arletty, magnifiquement interprétée par Elodie Menant. Les autres acteurs, Cédric Revollon, Céline Esperin et Marc Pistolesi, interprètent brillamment tous les personnages qu’Arletty va croiser dans sa vie, Colette, Michel Simon, Jacques Prévert, mais aussi Laval et Soehring, cet officier nazi qu’elle aimera, dont elle tombera enceinte mais dont elle avortera. En effet même si Arletty ne veut pas que ces souvenirs reviennent, ils s’imposent et rien ne nous sera caché de sa vie, les moments heureux, les réussites, mais aussi les moments plus complexes, ses liens avec Vichy et les nazis qui lui vaudront d’être assignée à résidence.
Un très bel hommage donc rendu à cette femme libre qui aura toujours agi selon son cœur, que la mise en scène de Johanna Boyé rend tellement vivante. Un spectacle musical au rythme alerte, dont on sort plein d’enthousiasme et avec l’envie de vivre sa vie en toute liberté, comme Arletty. (S.T. Photos © Olivier Brajon)
Et pendant ce temps Simone veille. Pandora, durée 1h20. Programme page 324.
Et pendant ce temps Simone veille présente de manière amusante l’histoire de la condition féminine, des années 50 à nos jours, à travers quatre générations de femmes de trois familles différentes. Ce spectacle est à la fois drôle et plein de réflexion et il nous permet de mesurer autant les acquis que le chemin qui reste encore à faire dans ce domaine !
On suit donc le destin de trois femmes très différentes : l’une bourgeoise qui a dirigé l’usine familiale pendant la guerre et en veut à son frère de l’avoir évincée, ainsi qu’à tous les hommes qui dirigent le monde ; l’autre, ancienne ouvrière de cette usine, désormais femme au foyer, avec un mari violent et de nombreux enfants ; la troisième de condition modeste aussi mais qui se satisfait de cette condition. Chaque génération de femmes suivantes – les filles, petites-filles et arrière-petites-filles des premières – aura son combat pour les droits des femmes. C’est à travers les opinions et les oppositions de chacune que l’on voit l’évolution des mentalités et de la société. On parcourt ainsi 70 ans de combat féminin, sans être forcément féministe, pour plus de droits et d’égalité. Les travers des uns et des autres (hommes et femmes) sont dénoncés avec beaucoup de légèreté, sans discours moralisateur, mais la dérision est une arme tellement efficace !
Les échanges entre ces femmes sont truffés de bons mots et entrecoupés de chansons parodiques, mais aussi de publicités détournées et humoristiques, et enfin sont interrompus régulièrement par une certaine Simone dont le rôle est de rappeler les dates importantes des droits de femmes en France ; sa spécialité ? bons mots et autres calembours. Le titre ne trompe pas, cette fameuse Simone qui « veille », c’est bien Simone Veil à qui le spectacle rend un vibrant hommage, soutenu par des photos et vidéos d’archives. Celle qui a fait « de la femme une personne », pour reprendre leur dernière chanson sur l’air de Belle de la comédie musicale Notre-Dame de Paris, est ainsi saluée et honorée. (S.T.)
Fluides. Théâtre Au coin de la Lune, durée 1h20. Programme page 90.
Un spectacle comique sur un sujet des plus sérieux : la mort. Esteban Perroy, l’auteur, incarne un éditeur de 40 ans qui a la surprise de voir arriver un être bien étrange au lieu de la jeune femme qu’il attendait. Cet être extravagant qui fait rire par son entrée fracassante et son accoutrement, c’est Guano, qui incarne la mort.
La situation est des plus cocasses puisque la mort réalise qu’elle s’est trompée d’heure… à cause du décalage horaire ! S’ensuit donc une discussion entre cet homme qui ne veut pas mourir et qui est prêt à tout pour essayer d’éviter le moment fatidique, et la mort, cynique au possible, qui montre son pouvoir et sa puissance mais qui se laisse aussi aller à des confidences plus tendres.
Ce spectacle est donc à la fois plein d’humour mais aussi plein de rebondissements et de suspense et c’est ce qui fait son attrait et ce même jusqu’aux toutes dernières minutes de la pièce, même après les saluts et applaudissements ! Une belle trouvaille, originale !
La mise en scène de William Mesguich sert à magnifier le jeu si juste des acteurs et le rend encore plus dynamique avec ces jeux de lumières, cet orage, cette voix off et ce décor sublime d’intérieur bourgeois parisien.
Une belle réflexion pleine d’humour sur la vie et la mort, et sur la manière dont la perspective de la mort peut et doit éclairer la vie. (S.T.)
Hamlet. Théâtre des Halles, durée 2h10. Programme page 248.
Hamlet est une pièce longue, complexe, difficile à monter, mais la version de Xavier Lemaire est moderne et dynamique. Le condensé pour Avignon tient en 2h10, mais en conservant passages essentiels et personnages importants.
Cette version est moderne d’abord par la traduction et l’adaptation de Camilla Barnes et Xavier Lemaire – avec des expressions très contemporaines -, moderne ensuite par le choix des costumes, intemporels, fourrures et étoffes luxueuses. Moderne elle l’est aussi par le choix de ce concert, électro, pop, rock pour la célèbre scène des comédiens, ce théâtre dans le théâtre qu’aimait tout particulièrement Shakespeare ; la vidéo pour montrer les réactions du roi et de son épouse à ce moment-là renforce aussi cette modernité. Moderne enfin elle l’est par le décor, ces deux blocs à escaliers, qui pivotent, s’emboîtent et créent ainsi les différents lieux de la pièce : remparts, salles du palais… avec ce rideau qui s’opacifie parfois et cette toile de fond avec taches et traits de peinture.
Dans cette version au rythme effréné, avec combat à l’épée et spectre effrayant, il faut souligner le jeu extraordinaire de Grégori Baquet qui exprime magistralement les excès de cette feinte folie. Les moments burlesques soulignent par contraste le tragique de cette œuvre.
Un parti pris assumé et mené de main de maître, mais dans laquelle les puristes de Shakespeare auront peut-être du mal à se retrouver. (S.T. Photos Lot).
Hippolyte ou la passion de Phèdre, L’Albatros, durée 1h25. Programme page 48.
« Beau comme l’antique », avais-je écrit lors de ma première rencontre avec un Euripide joué par la compagnie Vivi…
Amoureux de la « vraie » Grèce antique, cette pièce est pour vous… La sauvage plasticité des corps sculpturaux, la vigueur de la langue authentique (grec ancien sur-titré) avec la rudesse de ses occlusives et la fluidité chantante de ses accents toniques, le corps-à-corps rude et sensuel des acteurs-athlètes, tel est l’ADN de la compagnie hellène des Vivi, qui s’est imposée au festival, par la force de ses créations annuelles : des relectures âpres et exaltantes d’Euripide, « jeune » auteur qui a directement inspiré notre théâtre classique. Comme les opus précédents, Hippolyte – une pièce rare – exalte la vigueur virile, sublime la tragédie, terrible, en lui donnant la chair meurtrie de Phèdre consumée dans un amour incestueux, celle d’Hippolyte calomnié par elle et châtié par son père Thésée, de la nourrice Oenone (excellemment incarnée par un homme), tous intimement liés au drame. D’une sombre intensité et d’une lumineuse beauté. (G.ad. Photos G.ad. & cie)
Hippolyte ou la passion de Phèdre, L’Albatros, durée 1h25. Programme page 48.
Ce spectacle joué en grec ancien, en v.o. surtitrée, séduira tous les amoureux de la Grèce antique, sans être réservé aux seuls spécialistes d’Euripide ; le travail particulier sur le corps, exprimant toutes les passions et toute la tragédie, touchera un public bien plus large.
La puissance de ce spectacle réside bien dans la mise en scène des corps. C’est d’ailleurs un choix clairement affiché que le metteur en scène Tilemachos Moudatsakis, qui dirige la compagnie grecque Vivi, explique au public juste avant le début de la représentation. Ce corps souffrant de Phèdre, habité par la passion qui la ronge pour Hippolyte et contre laquelle elle voudrait lutter, est au centre de la pièce, dans une grande sensualité parfois, dans une aussi grande violence parfois. Les corps-à-corps entre Hippolyte et son père Thésée, qui le croit coupable d’avoir déshonoré Phèdre sa femme, sont à la fois très rudes et très esthétiques. La nourrice, jouée par un homme, peut à la fois être douce et consolatrice, tendre dans ses gestes de réconfort pour Phèdre, mais également puissante voire brutale quand elle la contraint à l’aveu. La danse moderne permet de faire jaillir de ces corps toute la puissance de la tragédie, toute la force de cette fatalité contre laquelle ni l’esprit, ni le corps ne peuvent lutter.
La langue grecque avec toutes ses modulations nous fait ressentir toute la force tragique grâce à la puissance de ses accents. Nul besoin d’en comprendre tous les mots pour vraiment vibrer et ressentir toutes les émotions que la pièce veut nous transmettre. La force physique des corps associée à cette langue suffit à transmettre et communiquer toute la puissance des sentiments.
Un grand moment de théâtre qui nous transporte dans les sentiments si opposés de la tragédie : de l’amour-passion à la haine viscérale. Ces corps en souffrance mais d’une beauté et d’une sensualité poignantes nous font nous plonger au cœur de celle-ci. On ne peut que ressortir bluffé par cette expérience rare et forte. (S.T. Photos cie Vivi).