- Titres A – D
- Adieu, M. Haffmann (Sandrine Thurot)
- Avant que j’oublie (Geneviève Allène-Dewulf)
- Cavale (S.T.)
- Chanson plus bifluorée… passe à table (S.T.)
- Dans la peau de Cyrano (S.T.)
- Du Nord au Sud, récit d’une expérience (G.ad.)
Adieu M. Haffmann. Roi René, durée 1h30. Programme page 364
« Que le courage soit plus fort que la peur »
Attention, chef-d’œuvre ! Ce n’est pas un hasard si cette pièce a remporté quatre Molière cette année car, oui, c’est un véritable chef-d’œuvre ! Jean-Philippe Daguerre nous plonge dans cette période sombre de l’Occupation (c’est d’ailleurs le choix qui sera fait dans la mise en scène, tant pour les vêtements gris de Joseph, Pierre et Isabelle, que dans les décors et l’éclairage) mais en s’intéressant à la force des relations humaines, et à la subtilité des émotions, tout en finesse et sans aucun manichéisme.
Ce pacte étrange passé au début de la pièce (la protection en échange de relations sexuelles avec son épouse afin d’avoir l’enfant tant désiré) allié au contexte historique crée une atmosphère lourde qui pèse sur les personnages. Le spectateur est, lui, tenu en haleine par la force des émotions mais sans malaise : Jean-Philippe Daguerre sait ménager des moments plus légers, voire drôles, provoqués en particulier par la jalousie de Pierre, incarné à la perfection par Charles Lelaure.
Les scènes finales contrastent avec le reste de la pièce. Ce repas (baigné d’une lumière intense) auquel Joseph, joué tout en subtilité par Alexandre Bonstein, décide de prendre part pour affronter ses bourreaux est le point d’orgue de la pièce. Suzanne, éblouissante Charlotte Matzneff, amuse par ses excès, tandis que Jean-Philippe Daguerre lui-même, en ambassadeur Otto Abetz, est terrifiant d’autorité et de froideur. Superbes dans des costumes d’un blanc immaculé. L’émotion qui étreint Isabelle au cours de ce repas, Julie Cavanna sait à la perfection la transmettre à son public jusqu’au dernier geste d’amour si tendre.
Un moment d’intense émotion tout en délicatesse : il faut être humain, quelle que soit la difficulté, même dans les circonstances les plus périlleuses. « Faisons que le courage soit plus fort que la peur » est la belle devise à retenir de cette pièce et à mettre en œuvre dans notre quotidien ! (S.T. Photos Grégoire Matzneff)
Avant que j’oublie. Maison IV de Chiffre, durée 1h5. Programme p. 282. Vu en 2017
Quand une mère se perd peu à peu… Poignant
Je garde de cette pièce un souvenir frémissant. Dans l’intimité d’un dialogue qui se perd peu à peu, la comédienne, qui joue excellemment les deux rôles, exprime avec une violente pudeur et une révolte à fleur de cœur cette douce et cruelle évanescence de la conscience et de l’affection. Une bouffée de tendre tristesse dans cette belle adaptation d’un récit autobiographique.
Voici ce que j’écrivais alors :
C’est un texte poignant de Vanessa van Durme, en sortie de résidence la compagnie Un et Deux, sur la maladie d’Alzheimer. Ou plutôt sur une mère et sa fille confrontées à cette réalité terrible : la fille s’est trouvée et la mère se perd peu à peu…
Avant que j’oublie est un seule-en-scène, un huis-clos dans une maison de retraite, un face-à-face intime et intense, à voir aujourd’hui au théâtre des Vents. Émotion et humour dans ce rendez-vous dominical où il faut se retrouver, se rencontrer, se parler, s’aimer, se pardonner, avant qu’il ne soit trop tard. Jusqu’où l’amour filial peut-il, doit-il aller ? L’unicité de la comédienne Marie-Hélène Goudet qui incarne avec une absolue sincérité les deux personnages, mise en scène par Violette Campo, constitue un moment très fort. (G.ad.)
Cavale. Carré d’honneur, parking des allées de l’Oulle, durée 1h15. Programme page 412
Chevaux circassiens
C’est à un beau voyage à bord du Black Kelpie, ce navire qui vient de quitter le port et subira une tempête, que nous convie la compagnie Jehol, grâce à Lola la musicienne. À bord de ce bateau se trouvent sept hommes mais aussi douze chevaux. C’est une véritable histoire poétique qui nous est racontée et qui nous fait rêver tout en faisant une démonstration des talents autant des humains que des animaux.
Dans ce voyage, nous assistons autant à de la danse, à des acrobaties (au sol, à cheval, mais aussi dans un cerceau qui voltige) qu’à toutes sortes de techniques circassiennes. Mais c’est surtout c’est le cheval qui va être le roi, avec de spectaculaires numéros de dressage, de voltige jockey, d’amazone, et de toutes sortes d’acrobaties sur et autour du cheval.
Les émotions humaines sont mises ainsi en relief grâce à ce travail avec l’animal, et ce spectacle nous permet de retrouver nos yeux d’enfants, pleins d’étoiles. La connivence qui peut exister entre humains et animaux est tellement forte qu’elle nous émeut et nous laisse sans voix, émerveillés que nous sommes par la beauté et la poésie du spectacle qui se déroule sous nos yeux. (S.T.)
Chanson plus bifluorée… passe à table. Théâtre de l’Atelier Florentin, durée 1h15. Programme page 80.
Bon appétit !
Chanson plus bifluorée est un groupe bien connu, qui revisite la chanson française de manière parodique, mais dont l’humour ne refuse pas le sérieux et la réflexion.
La thématique de ce nouveau spectacle, comme l’indique le titre, concerne la table. Beaucoup de chansons tournent donc autour de la nourriture et à un tel horaire (12h45), cela ne peut que stimuler l’appétit des spectateurs : les morceaux de jambon que l’équipe fait circuler rassasient un peu, tout comme le petit échange autour d’un verre à l’issue du spectacle ! Cet esprit très convivial de l’équipe se retrouve dans toutes les chansons. Ces bons vivants – et excellents chanteurs -, Xavier Cherrier, Sylvain Richardot et Michel Puyau, aiment à partager avec générosité leurs coups de cœur. Les textes, très bien écrits et alertes, animent des saynètes désopilantes, avec costumes hilarants (la poule pour « Label Bio »).
Ce qui n’empêche pas la réflexion sur la vie, sur notre devenir (« OGM »). Ou, plus sérieux, un bel hommage rendu par ces acteurs de talent à Charlie Hebdo, en la personne de ce journaliste qu’ils attendaient à leur table et qui n’est jamais venu. Emotion garantie.
A déguster sans modération ! (S.T. Photos CH + Bif).
Dans la peau de Cyrano. Pandora, durée 1h20. Programme page 324
Adolescents en quête de rôles, de personnages ?
Un très beau spectacle sur la différence et le respect de l’autre et sur le rôle du théâtre et des grands textes pour apprendre à s’accepter et se dépasser. Nicolas Devort, auteur et interprète, incarne de manière magistrale tous les personnages, passant de l’un à l’autre par un simple changement d’attitude, de tonalité de voix et par certaines mimiques caractéristiques, sans aucun accessoire, dans un simple habit noir. Il passe ainsi de Colin, cet adolescent complexé par son bégaiement, tout voûté, au professeur calme et passionné de théâtre ; mais il joue aussi Adélaïde jeune adolescence quelque peu hystérique dont Colin est amoureux, mais également Maxence strict et droit, homosexuel, ou enfin Gayle le vantard, copain d’Adélaïde.
Quant au décor, il est aussi simple que la tenue : une chaise ! Mais c’est aussi bien le bureau de la psychologue que le balcon de Roxane !
Pourquoi ce titre ? D’abord parce que Cyrano est la pièce que ces élèves vont monter comme spectacle justement. Mais aussi parce que Colin est complexé par son bégaiement comme Cyrano l’est par son nez, et lui aussi est amoureux d’une femme éprise d’un autre et aimée par lui. Et c’est en jouant la scène du balcon où Cyrano avoue son amour qu’il fera comprendre à Adélaïde qu’il l’aime et c’est en pastichant la tirade du nez de Cyrano que Colin osera s’affirmer et qu’il triomphera de son adversaire.
Chacun de ces adolescents a sa différence et malgré les difficultés de vivre ensemble, ils vont grâce au théâtre, grâce aux mots de Rostand, apprendre à s’apprivoiser et à vivre heureux ensemble, apprendre que la différence est une force à cultiver et non un handicap. Un beau message d’espoir ! (S.T.)
Du Nord au Sud, récit d’une expérience. Théâtre Artéphile, durée 55 min. Programme p. 70.
La politique de la ville… qui s’incarne
C’est le hasard de l’horaire, et de l’avant-première, qui m’a entraînée vers cette pièce que je n’aurais peut-être pas choisie. Et puis je me suis laissé prendre avec intérêt.
La politique de la ville ? Un thème ni très glamour ni théâtral, comme les premières minutes du spectacle, en introduction lente, lecture livre à la main. Puis les verrous sautent, le rythme change, et voilà tout un monde qui jaillit. Un monde, ou plutôt deux. La pièce qui se construit peu à peu, en seule-en-scène et vidéos, apporte, quasi bruts, les témoignages recueillis à Marseille auprès d’adolescents mi-volontaires mi-rétifs. Des lycéens des quartiers Nord « sensibles » et des quartiers Sud plus consensuels, d’abord campés sur leurs a priori, se rencontrent et se découvrent. Sans angélisme mais comme un message d’espoir, patiemment élaboré.
Wilma Lévy incarne tout à la fois l’animatrice, les professeurs engagés dans l’expérience, les élèves, plus ou moins coopératifs… Croqués sur le vif, avec une verve pittoresque. Dans la diversité des paroles, des langages – surtitrés – et des comportements, dans la saveur du vécu sans filtre, c’est toute la relation à l’autre, les communautarismes et les exclusions, qui prennent corps et présence. (G.ad.)