Dans cette page :
- Le Chien,
- Le CV de Dieu,
- Le Dernier jour d’un condamné,
- Le Malade imaginaire,
- Le Mariage du Diable ou l’Ivrogne corrigé,
- Le Médecin malgré lui
Le chien, Espace Roseau Teinturiers, durée 1h20. Programme page 210
Une nouvelle d’Eric-Emmanuel Schmitt. Quel terrible et beau secret entre Samuel et son chien Argos ?
C’est pour vivre de tels instants que je vais au théâtre : éprouver des sentiments d’une telle force, être emmenée, captivée, tenue en haleine jusqu’à la révélation, être bouleversée au point d’en pleurer, mais en ressortir grandie, par la réflexion sur ce qu’est la vie, sa fragilité et ce qu’est être un homme.
Cette adaptation de la nouvelle d’Eric-Emmanuel Schmitt – mise en scène Marie-Françoise et Jean-Claude Broche – est vraiment bouleversante et nous emmène avec elle à la recherche du secret que cache Samuel Heymann. Dans ce village de Belgique dont il a été le médecin, quel est ce lien si particulier qui l’unit depuis 40 ans à son chien, un beauceron nommé Argos ? Le seul à avoir des contacts avec lui semble être cet écrivain venu habiter le village, c’est donc vers lui que se tourne la fille de Samuel avec ses questions sur le suicide de son père après la mort accidentelle de son chien. C’est bien auprès de lui qu’elle obtiendra les réponses, inattendues, inédites, secrètes jusque-là.
Dans un décor très simple (des cubes), le rythme lent mais expressif de la parole nous concentre sur l’essentiel : l’intensité du texte.
Le secret de Samuel ? Un chien, au camp d’Auschwitz, dans les pires moments d’horreur et de déshumanisation, lui aura permis de retrouver toute son humanité. Et ce chien, Argos, c’est le chien d’Ulysse, le seul qui, 20 ans plus tard, reconnaît son maître dans le mendiant qui arrive.
Un vrai et grand beau texte, servi par des acteurs pleins de pudeur et d’émotion partagée. Une interrogation sur nos valeurs, les relations entre les êtres, et l’humanité au sens large. Un grand bravo. (S.T.)
Le CV de Dieu, Actuel
La recette fonctionne avec un Balmer impertinent… en diable !
La recette fonctionne bien. Un auteur à succès, inventif et impertinent (complice de Pierre Desproges et de sa Minute de M.Cyclopède), une situation pour le moins inédite, un formidable duo d’acteurs qui se régalent autant qu’ils amusent la salle, et une mise en scène qui joue habilement de la complicité des deux compères, voilà l’assurance de passer un bon moment.
Dieu a terminé la création, il s’ennuie, il cherche du travail et présente à un recruteur son impressionnant CV.
L’entrée en scène de Dieu/Balmer, en élégant costume blanc, montrant malicieusement ses deux énormes valises transportées sur… un diable (on ne pouvait y échapper !), plante le décor. On ira de jeux de mots en détournements cocasses, de QCM psychologiques en évaluation de compétences, de sourires en éclats de rire. On soupçonne Jean-François Balmer (notre interview ici) et Didier Bénureau d’en rajouter quelque peu, mais n’est-ce que pas ce que la salle attend ?
« Dieu a fait l’homme à son image, écrivait Voltaire, l’homme le lui a bien rendu ». On se laisse volontiers entraîner par cette illustration décapante et jubilatoire… (G.ad. Photos).
Le Dernier jour d’un condamné. Condition des Soies, durée 1h5. Programme page 178.
Le Malade imaginaire, Roi René, durée 1h25. Programme page 364.
Sans ballets, mais on se régale
Dynamisme et critique sociale, ou médicale : du pain béni pour les amoureux de Molière !
La salle du Roi du théâtre du Roi René sert à elle seule de décor. Rien d’autre que ce fauteuil doré gigantesque, demi-œuf, coquille protectrice qui sert de trône, à cet Argan malade despotique, et de siège d’aisance à cet Argan, malade sans cesse préoccupé de lavements et purgation. Ce siège enfin, équipé de son klaxon obsolète mais aussi de son boulier avec ses trois énormes boules, au centre de tout, concentrera bien souvent les rires !
Comme bien souvent dans les mises en scène de cette pièce, les ballets sont coupés, et de comédie-ballet il ne reste plus que la comédie un peu allégée, mais une comédie vraiment drôle et enlevée très bien servie par des acteurs de grand talent. Sophie Raynaud campe une Toinette pleine de malice, irrésistible à chaque réplique, à chaque geste, dans ses excès de douleur comme de colère, tous feints. Daniel Leduc incarne un Argan à la fois vieillard malade et grand enfant capricieux, dans son accoutrement ridicule, tyran obstinément berné. Argan aux intestins fragiles expulse ses vents au son de la clarinette (trouvaille comique qui met dans l’ambiance dès le début), oublie parfois qu’il est malade et qu’il a besoin de sa canne pour marcher, contrefait le mort et tire la langue comme pour narguer le public. Les deux filles d’Argan sont jouées par une seule actrice Marguerite Dabrin : douce, fragile, s’évanouissant à la moindre contrariété quand elle est Angélique, et quand elle est Louison, très sûre d’elle, provocatrice, capricieuse en adolescente à l’accent des banlieues et à la voix grave. Elle nous montre ainsi toute l’étendue de son talent.
Les autres acteurs incarnent aussi plusieurs personnages. Olivier Girard est un Thomas Diafoirus exceptionnel, ridicule à souhait : regards, mimiques simplistes, sourire béat… mais devient un inquiétant M. Purgon maudissant Argan qui a refusé son clystère gigantesque. Dans un effet de ralenti très intéressant, original, très cinématographique, ses menaces n’en deviennent que plus violentes mais aussi ridicules et drôles. Alexandre Beaulieu est un Cléante amoureux et inventif en même temps que M. Fleurant et Frédéric Habéra un M. Diafoirus clarinettiste très amusant avec son accent russe mais aussi un Béralde plus profond.
Toutes les grandes scènes de farce sont réalisées avec la vivacité propre à la compagnie du Grenier de Babouchka. Le pouls que M. Diafoirus demande à Thomas de tâter devient… un pou arraché à la tête d’Argan. La scène d’opéra – la fameuse déclaration d’amour – se fait en direct et à vue. Les coups assénés par Toinette en même temps qu’elle répète à loisir : « Le poumon » ajoute un comique de répétition de gestes à celui de mots.
C’est vraiment dans la mise en scène de la fin que s’affirme toute l’originalité de Jean-Philippe Daguerre : Angélique, présente sur scène, sait qu’Argan va tester son amour filial en contrefaisant le mort, tout comme il avait testé sa femme ; Angélique a beau jeu de surfer sur la fausse innocence !
Autre trouvaille et clin d’œil à Molière, mort d’après la légende à la fin d’une des représentations de cette pièce : c’est sur la mort de Béralde dans le fauteuil d’Argan que se termine cette mise en scène. Ce Béralde porte-parole de Molière dans sa critique des médecins, meurt comme Molière : chapeau bas ! (S.T.)
Le Mariage du Diable ou L’Ivrogne Corrigé. Chapelle du Verbe incarné, durée 1h
D’après Gluck, un Carnaval ultramarin
On n’est jamais mieux servi que par soi-même. En fondant Carib’Opéra, des chanteurs lyriques originaires des Antilles et de l’hexagone se sont regroupés pour donner une meilleure visibilité aux artistes ultramarins. Le Mariage du Diable ou L’ivrogne corrigé, donné dans le Off, à la Chapelle du Verbe Incarné jusqu’au 11 juillet, est en tout point une réussite absolue. Tirée d’un opéra de Gluck, lui-même inspiré d’une pièce de vaudeville jouée dans les foires, l’intrigue se prête aux effets de scène : Mathurin, ivrogne incorrigible, a décidé de donner la main de sa nièce à son camarade de beuverie. Mais le carnaval a commencé, prétexte à toutes les mystifications : déguisés en diable rouge et esprits malfaisants, sa femme, sa nièce et Cléon, l’amant de cette dernière, vont lui infliger une leçon qui le dégrisera à tout jamais. C’est là que la mise en scène de Julie Timmerman vient faire choc avec l’œuvre baroque. Car le Carnaval, aux Antilles, on connaît… Les trouvailles sont légions, à commencer par le cajon, qui a intégré l’orchestre baroque et insuffle une énergie incroyable. Et une extraordinaire scène de vaudou, où apparaît Cléon (Alban Legos), saisissant en diable rouge. C’est que les interprètes sont également très bons comédiens : Joël O’Cangha (Mathurin) et Henry Bastien d’Elie (Lucas) sont à mourir de rire. Marie-Claude Bottius aura tiré des larmes au public : superbe air lyrique en créole sur la condition de femme battue ! Quant à Mylène Bourbeau (la nièce), elle n’est pas en reste. Que dire ? Sinon qu’on rêverait de les voir sur des scènes plus grandes. (S.G.-T. Photos Jérémie Laurent)
Le Médecin malgré lui, Théâtre Actuel, durée 1h15, à partir de 7 ans. Programme page 36
Molière en Russie : pari réussi !
Toute l’originalité de cette mise en scène de Charlotte Matzneff réside dans le fait d’avoir transposé la pièce de Molière en Russie et avec tout son folklore, aussi bien des les costumes (tuniques rouges brodées pour les hommes, robes blanches, rouges et vertes brodées également pour les femmes ainsi que chapkas en fourrure), que dans les décors (tableaux, comme des icônes, de matriochkas représentant Lucinde) que dans la musique (des airs traditionnels russes essaimés tout au long du spectacle, joués par la guitare, l’accordéon et l’harmonica mais aussi chantés par tous). Cette idée originale de transposition était osée, mais elle fonctionne vraiment très bien car, au fond, cette histoire d’un faiseur de fagots qui boit trop, qui frappe sa femme, que l’on oblige à devenir médecin à son corps défendant et qui aide les jeunes amoureux à tromper le père se plaît bien dans cet univers russe. Comment revisiter Molière sans le dénaturer, le pari est pleinement réussi !
L’autre grande qualité de cette mise en scène est le dynamisme avec lequel elle est portée par tous les acteurs du Grenier de Babouchka (Stéphane Dauch, Geoffrey Callènes, Sylvie Carré, Jeanne Chérèze, Patrick Clausse, Théo Dusoulié, Jade Breidi, Agathe Sanchez) : ils chantent, dansent, sautent, virevoltent et nous emportent avec eux dans ce tourbillon de la farce… Il faut souligner l’extraordinaire performance de Stéphane Dauch dans un Sganarelle très physique, sans cesse en mouvement, faisant même du kazatchok, avec une souplesse qui force l’admiration. Sa voix de baryton si profonde convient aussi parfaitement à ce folklore russe et à ses chants.
Toutes les ressources de la farce propre à Molière sont mises en scène, avec originalité et drôlerie : on s’en voudrait d’en révéler toutes les ficelles !…
Le rire est donc garanti ! Celui des plus jeunes, séduits par cette mise en scène drolatique, celui des adultes aussi, amusés par cette farce si rythmée ; au-delà de la farce, ceux-ci ne manqueront pas de réfléchir sans doute à ce qu’il en est aujourd’hui, tant de la médecine que de la condition de la femme. Tout cela a-t-il tellement changé depuis Molière ? (S.T.)