On a beau le connaître depuis longtemps, Lugansky nous étonne encore…
Dimanche 28 juillet 2024, 20h, Château de Florans, Auditorium du Parc, La Roque d’Anthéron. Dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron
Félix Mendelssohn, Romance sans paroles op. 19 ; Romance sans paroles op. 38 n° 6 ; Romances sans paroles op. 67 n° 4, 6 et 2 ; Romance sans paroles op. 85 n° 4. Frédéric Chopin, Ballade n° 3 op. 47 ; Nocturne n° 2 op. 27 ; Ballade n° 4 op. 52. Richard Wagner / Nikolaï Lugansky, Quatre scènes du Crépuscule des dieux, transcription pour piano. Richard Wagner / Franz Liszt, Mort d’Isolde, extrait de Tristan und Isolde, transcription pour piano
Voir notre présentation d’ensemble du 44e Festival de La Roque d’Anthéron
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Ayant préféré attendre une petite baisse de la chaleur du jour et de l’intensité du chant de cigales surexcitées, Nikolaï Lugansky se présenta sur scène une demi-heure après l’heure initialement prévue. Que dire de ce pianiste, invité régulier de La Roque d’Anthéron depuis 1998, tant sont connues ses qualités de jeu et d’interprétation, sinon qu’il nous enchanta à nouveau tout au long de cette soirée ? Il avait choisi, pour son programme, des œuvres plutôt poétiques de Mendelssohn et Chopin, mais aussi, orientation qui peut paraître surprenante dans son répertoire, un compositeur pas spécialement porté sur la production pianistique, mais qu’il avoue le fasciner depuis longtemps, et matière à transcriptions, Richard Wagner.
Les Romances sans paroles de Mendelssohn sont de courtes pièces pour piano, écrites entre 1830 et 1845 et publiées en huit recueils de 6 pièces chacun. Toutes, a posteriori, ont été affublées de surnoms. Celles choisies par Nikolaï Lugansky ont ainsi hérité, dans l’ordre d’interprétation, de « doux souvenirs », « duetto », mêlant deux mélodies, « la fileuse », où la main gauche évoque la rotation d’un rouet et dont le thème est bien connu des auditeurs de l’émission de France Inter, Le masque et la plume, « berceuse », « illusions perdues », « élégie ». De ces oeuvrettes alliant la mélodie d’un chant sans paroles et son accompagnement, l’artiste, au toucher maîtrisé, notes claires et détachées, a su en dégager toute l’intimité, la douceur, la rêverie, la nostalgie, l’emballement passionné parfois, comme dans l’opus 67, n° 2, « Illusions perdues ». De sa position caractéristique, tête relevée, inspiré et habité par la musique qu’il produit, l’émotion se dégage et se transmet à l’auditoire.
Chopin aussi a bénéficié des mêmes qualités et un Chopin sans pathos mal venu. On a pu apprécier la maîtrise de l’architecture sonore, de la douceur aux déchaînements les plus virtuoses. Et ces dernières mesures éthérées du nocturne ! Le compositeur, à travers l’artiste, s’est exprimé dans tout son romantisme, exposant ses rêveries, sa mélancolie, ses émotions, ses élans passionnés.
Avec Wagner, changement d’ambiance. On n’attendait pas forcément dans des transcriptions de ses œuvres un Lugansky interprète plus habituel des Rachmaninov, Prokofiev, Chopin ou Debussy, surtout dans des transcriptions dont notre artiste est lui-même l’auteur. C’était donc une curiosité qu’il nous était donné d’entendre, une découverte, leur finalisation ne datant que de septembre 2023. Son choix s’est porté sur quatre scènes du Crépuscule des dieux, dont les thèmes et leitmotive sont parmi les plus connus. Les séquences choisies sont le lumineux duo d’amour de Brünnhilde et Siegfried, du prologue, le voyage de Siegfried sur le Rhin, page brillante, la marche funèbre de Siegfried et l’immolation de Brünnhilde. Il en résulte comme une sonate en quatre mouvements enchaînés d’une trentaine de minutes qui nous replonge de façon convaincante dans l’univers romantique wagnérien. Le pianiste, délicat ou brutal, virtuose, nous enveloppe de ses tourments, de son intensité émotive, de sa mélancolie, de sa noirceur, et nous amène, avec sa splendide transcription de l’immolation de Brünnhilde, et ses notes évoquant la rédemption par le feu, vers des sommets pianistiques.
Autre transcription, plus connue, celle que fit Liszt de la mort d’Isolde. Lugansky nous la livra avec retenue et délicatesse, en faisant ressortir toute l’émotion nostalgique d’une vie qui s’en va.
Inutile de décrire les ovations qui s’ensuivirent, qui nous valurent le bonheur de trois bis, la reposante romance n° 5, Lilas, op.21, de Rachmaninov, le plus virtuose prélude n° 7, op. 23 du même auteur, et la gracieuse berceuse n° 1, op. 16 de Tchaikovski, revisitée par Rachmaninov.
Nota : Les transcriptions de ce programme et d’autres peuvent se trouver dans un CD paru en 2024 chez Harmonia Mundi : « Richard Wagner – Nikolaï Lugansky ».
B.D. Photo Pierre Morales
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