Le battement d’ailes… raté
Madama Butterfly, Opéra en trois actes de Giacomo Puccini. Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après John Luther Long et David Belasco
Vendredi 12 novembre 2021, 20h30 ; dimanche 14 novembre, 14h30 ; mardi 16 novembre, 20h30. Opéra Grand Avignon.
Direction musicale, Samuel Jean. Mise en scène et lumières, Daniel Benoin. Décors, Jean-Pierre Laporte. Costumes, Nathalie Berard-Benoin et Françoise Raybaud. Vidéaste, Paolo Corrla
Cio-Cio-San, Héloïse Koempgen, en remplacement de Noriko Urata, souffrante. Suzuki, Marion Lebègue. B.F Pinkerton, Avi Klemberg. Sharpless, Christian Federici. Goro, Pierre-Antoine Chaumien. Prince Yamadori/ Commissaire impérial, Matthieu Justine. Kate Pinkerton, Pascale Sicaud-Beauchesnais. L’oncle Bonzo, Jean-Marie Delpas. Yakuside, Virgile Frannais. Mrs Sedley, Svetlana Lifar. L’officier, Jean François Baron. La mère de Cio-Cio-San, Wiebke Nolting. La tante, Laura Podevin. La cousine, Marie Simoneau. L’enfant, Théo Antoni / Alma Brémard
Orchestre National Avignon-Provence
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Production de l’Opéra de Nice Côte d’Azur
Madama Butterfly, l’histoire de ce papillon délicat et déchiré, c’est le choc brutal de deux cultures, américaine et japonaise, à travers l’histoire d’une jeune geisha abandonnée après un « mariage » contractuel avec un officier de passage – selon la coutume du début du XXe siècle, dont Pierre Loti lui-même, lointain inspirateur, avait profité (Madame Chrysanthème). Puccini, en train de créer Tosca à Londres, s’était ému de ce sujet, bouleversé par l’intensité tragique du futur personnage de Cio-Cio-San, et pressentant que ce papillon deviendrait l’œuvre à laquelle il serait le plus attaché. Il a composé cet opéra sublime, avec des airs à vous arracher des larmes.
Pour autant, Madama Butterfly, l’un des opéras les plus prisés (le 6e le plus joué au monde, d’après Opérabase ?), n’a rien de l’image sucrée d’un Japon millénaire et exotique. Plus encore aujourd’hui, le sort de cette jeune femme sensible, instrumentalisée par deux cultures à la fois, même si elle renie la sienne pour celle de l’étranger, nous touche profondément.
Las, cette Butterfly-ci….
Après l’excellent Peter Grimes (Santi/ Roels) de début de saison, difficile d’être à la hauteur ! Daniel Benoin a d’ailleurs essuyé quelques huées pour des choix de mises en scène contestables dans cette production, reportée de la saison précédente. Si le champignon nucléaire de Nagasaki comme image de la déflagration qui vient de brûler la vie de Cio-Cio-San trahie par son Américain de mari ne m’a pas semblé un total contresens pour cette œuvre située tout de même par Puccini, justement à Nagasaki ; si le triomphe de l’Amérique (Pinkerton) jaillissant sur un monde dévasté (Butterfly) ne péchait que par la naïveté des drapeaux flottant en abondance sur l’écran ; si la grossesse de Kate Pinkerton, d’ailleurs vue dans d’autres productions, montre que le fils de Cio-Cio-San ne comblera pas un désir de maternité inassouvi, mais sera accueilli comme un enfant du foyer – toute monstrueuse que soit par ailleurs cette démarche -, en revanche d’autres éléments discréditent gravement la mise en scène, comme le pistolet de western (ou d’opérette ?) à l’acte I, ou le minuscule bateau, irrésistiblement ridicule à l’acmè de la tension tragique (II), ou encore Kate Pinkerton (Pascale Sicaud-Beauchesnais) perruquée comme un travesti…
Dans de telles conditions, l’émotion ne pouvait être au rendez-vous. Surtout quand votre place vous condamne à choisir entre le sur-titrage et la scène et que, pendant tout l’acte I, vous n’apercevez qu’un tiers de ce qui se joue, et que, dans la seconde partie, au fond de la salle vous subissez les permanents commentaires à haute voix de votre voisin, et les fredonnements de son épouse !!!
A l’usage, ce théâtre à l’italienne dont nous admirions il y a peu la parfaite restauration, se révèle bien inconfortable, et nous regrettons la configuration de la salle éphémère Confluence.
Je suis donc restée yeux secs et cœur froid. En revanche j’ai applaudi sélectivement la performance d’Héloïse Koempgen (rôle-tire) remplaçant au pied levé Noriko Urata souffrante ; du talentueux baryton Christian Federici (le consul), du bien connu Jean-Marie Delpas (l’oncle bonze), personnage éphémère mais formidablement campé ; de Marion Lebègue en Suzuki sensible… ; je n’ai pas manqué de m’attendrir devant l’enfant (sans doute Alma Brémard pour la première) devenu enjeu des passions d’adultes.
Et si l’on peut toujours vibrer à la musique de Puccini, mariage réussi entre l’Occident et le Pays du Soleil levant, la fougue habituelle de Samuel Jean au pupitre a laissé longtemps indécis le combat de décibels entre les cuivres et le duo Pinkerton-Sharpless du 1er acte !
A contrario de cette soirée médiocre, nous gardons le souvenir de l’exceptionnelle Butterfly des Chorégies 2016.
G.ad. Photos Cédric & Mickaël/ Studio Delestrade-Avignon
Françoise Henry dit
Comme disent les jeunes d’aujourd’hui, je suis fan de Puccini et Madama Butterfly est l’unique opéra qui me transporte aussi loin dans l’émotion.
J’ai aussi de la famille qui vit au Japon, et enfants et petits enfants admirent régulièrement » l’empire du soleil » qu’ils visitent avec curiosité et plaisir.
Moi, j’ai le souvenir de Pearl Harbor, de cet Empereur qui n’a pas hésité à transformer sa jeunesse en « bombes volantes » avec un verre de saké en consolation « Banzaï » et les morts tombaient des deux côtés. Quelle horreur ! Par la suite, souvent les familles nipponnes sont suicidées de la même façon que Cio-Cio-San, ne pouvant survivre dans le déshonneur de la défaite et à la perte de leurs enfants..
Ai je besoin de rappeler que si les américains ont lancé des bombes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki, c’est avec le soutien de toutes les démocraties européennes qui priaient pour que cette guerre qu’ils n’avaient pas voulue, s’arrête après cinq ans d’enfer…
Ce fût le cas de tous les vivants, De Gaulle inclus, lequel n’a pas hésité à lancer dans nos îles du Pacifique, les campagnes d’essais nucléaires dont nous connaissons aujourd’hui les effets malheureux.
Dans l’ensemble l’acte américain a été salué parce qu’il a permis , par l’horreur, la fin de ce dramatique conflit mondial. Nous pouvions enfin bientôt vivre dans un monde libre avec l’aide des GI de 20 ans envoyés mourir sur notre sol comme le rappelle la chanson de Sardou : »Si les ricains… »
Manifestement le metteur en scène Daniel Benoin situe l’action (tradition japonaise) en 1945 alors que Loti et Puccini la situaient au début du XXème siècle. Sur fond d’écran il nous projette un antiaméricanisme de bon ton à notre époque. Ce contresens historique a profondément heurté les enfants de la guerre présents, aujourd’hui grands parents. Ils ont manifesté bruyamment leur désapprobation à la fin du spectacle.
Si on ajoute Pinkerton Officier de Marine habillé et casqué en uniforme de l’armée de terre aussi débraillé que le Général Patton,
Une petite maquette de bateau au cas où les spectateurs ne comprendraient pas l’arrivée de l’Abraham Lincoln dans la rade de Nagasaki,
Une épouse enceinte de 8 mois supposée avoir effectué confortablement la traversée des USA au Japon sur un navire de guerre,
Une musique trop forte et trop rapide , laquelle troublait les chanteurs et coupait l »émotion des auditeurs…
En revanche une mention spéciale pour la majorité des voix, choeurs et chanteurs, particulièrement pour l’Oncle et surtout pour la nouvelle Cio Cio San. Une vraie performance bien mise en valeur par la merveilleuse Susuki.
En résumé un spectacle décevant. Quel dommage !
F.H.