Sublime papillon
Giacomo Puccini. Drame lyrique en trois actes, sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, d’après John Luther Long et David Blasco
Direction musicale Mikko Franck. Mise en scène Nadine Duffaut. Scénographie Emmanuelle Favre. Costumes Rosalie Varda. Eclairages Philippe Grosperrin (Jacques Chatelet, décédé en 2015, initialement prévu)
Cio-Cio San, Ermonela Jaho ; Suzuki, Marie-Nicole Lemieux ; Kate Pinkerton, Valentine Lemercier*
Pinkerton, Bryan Hymel* ; Sharpless, Marc Barrard ; Goro, Carlo Bosi* ; Il Bonzo, Wojtek Smilek ; Il Principe Yamadori, Christophe Gay ; Il Commissario Imperiale, Pierre Doyen*
Orchestre Philharmonique de Radio France
Chœurs des Opéras d’Avignon, Nice et Toulon.
Il est rare que toutes les fées se penchent en même temps sur les gradins du théâtre antique. C’était pourtant le cas, lors de la première du moins comme en témoigne la captation par France-Télévision, car la pluie récente allait rafraîchir la représentation suivante.
La douceur légère de la soirée, la transparence de l’air, ont sublimé les voix et les couleurs. On en aurait presque deviné le jasmin et les cerisiers en fleurs !
Dans une distribution parfaitement homogène, il faut saluer la chaleureuse présence de Marie-Nicole Lemieux – pour sa 5e participation aux Chorégies -, dans le rôle de la tendre suivante maternante de Cio-Cio-San, Susuki ; la prestance et la voix solidement placée de Marc Barrard, un habitué des lieux. On a apprécié en Christophe Gay et Pierre Doyen – pour ses débuts aux Chorégies -, voire Wojtek Smilek, moins marquant, ou Valentine Lemercier, les interprètes idoines dans les costumes respectifs du prince Yamadori, et du Commissaire impérial, du Bonze et de Kate Pinkeryon, dans un passage-éclair. L’enfant lui-même, rôle muet mais chargé d’émotion intense, a su habiter un personnage dont la production a longuement étiré la présence.
La partition délicate de Puccini a empli de délices l’air orangeois, à défaut des gradins du théâtre (aux trois quarts pleins seulement) même si Mikko Franck a quelque peu lâché les rênes de « son » orchestre en pleine forme au premier acte, imposant aux chanteurs un effort accru.
La longueur redoutable de la scène, elle, n’a aucun secret pour Nadine Duffaut ; la voici transformée en un exquis jardin d’eau, aux plateaux légers à plusieurs niveaux ; l’exotisme oriental s’est décliné dans les kimonos chatoyants et délicats, dans les maquillages subtils, dans les mouvements à petits pas. Une composition raffinée et policée, bien éloignée des approches plus rudes, moins convenues – aussi réussies au demeurant -, auxquelles la metteure en scène nous a habitués depuis 2003 (dont Carmen, Thaïs, Tosca, Le Dernier Jour d’un condamné, récemment Le Château de Barbe-Bleue). L’écrin fleuri souligne a contrario le drame de cette toute jeune geisha de Nagasaki en 1900, vite épousée par un officier américain de passage, aussi vite abandonnée enceinte et qui continuera à espérer envers et contre tout le retour de son volage Pinkerton.
Délicate, fragile, écorchée vive mais pudique et réservée, la soprano albanaise Ermonela Jaho s’est révélée une exceptionnelle Butterfly. Comme elle l’avait été à Cologne en 2008-2009. En face d’elle, le ténor américain montant Bryn Hermel n’a campé qu’un terne Pinkerton, ni cynique ni veule. Inconsistant dans son personnage, pâlot dans sa voix. Le public ne lui a pas ménagé son mécontentement, à moins qu’il n’ait sifflé le personnage plus que l’interprète ?
En ce 9 juillet 2016, c’était donc l’ouverture attendue du plus ancien festival de France, avec une rare Butterfly – une seule autre en 2007 -. Les démissions successives, il y a quelques mois, du président Thierry Mariani puis du directeur Raymond Duffaut – qui, avec panache, avait refusé toute compromission politique – avaient avancé d’une année l’arrivée du nouveau directeur Jean-Louis Grinda (choisi en décembre 2015 pour une entrée en fonction en 2017) et provoqué l’élection de Christine d’Ingrando comme nouvelle présidente. Pendant plus d’une génération, Raymond Duffaut n’avait eu de cesse d’assurer la pérennité et l’excellence de ce festival dont l’autofinancement (85%) assurait la parfaite indépendance tout autant que la vulnérabilité. Et c’est encore à lui que l’on doit la qualité de la cuvée 2016.
Le nouveau directeur tient néanmoins à imprimer déjà sa marque. Le programme (qui contient depuis deux ans les livrets des deux opéras) n’est plus un volume unique pour la saison, format A4, mais se scinde en cinq livrets, un pour chaque production ; dès cette année, cinq fascicules – à réunir dans un coffret – sur papier glacé, avec photos de répétitions signées Philippe Gromelle : Madama Butterfly et Traviata ; Bernstein/Gershwin, puis Requiem, enfin Concert lyrique. Autre innovation : l’introduction des sur-titrages, susceptibles d’attirer un plus large public. (G.ad.)
A retrouver sur Culturebox jusqu’au 14 janvier 2017.
Regards croisés sur Madama Butterfly
La Générale fut un franc succès !
Une mise en scène sensible, toute construite sur des nuances : des niveaux de scène séparant le monde occidental / oriental, un jeu d’acteurs très bien dosé. Des costumes superbes mis en valeur par des lumières tamisées sans être obscures et des chanteurs au mieux de leur forme. Enfin, presque tous.
Une ovation bien méritée pour Ermonela Jaho qui était une Cio-Cio-San très touchante. Ovation également pour Marie-Nicole Lemieux. Bien pour Bryan Hymel dans le rôle de Pinkerton mais Marc Barrard (Sharples) a été hué. Il faut dire qu’il a certainement économisé sa voix, de surcroît il tournait souvent le dos au public.
Une mention particulière pour l’orchestre qui a été ovationné sous la direction de Mikko Franck.
Le temps également était de la partie, une superbe soirée donc qui restera dans les annales!
A noter l’hommage rendu en début de soirée par Jean-Louis Grinda à Raymond Duffaut. Lui aussi a eu son moment de gloire. Il s’est levé et a eu droit à une standing ovation.
D.B. Photos G.ad. (1) et M.A.