La soprano Ludivine Gombert a 3 rendez-vous avec Avignon en ce début d’année 2019. L’an dernier (janvier 2018), nous l’avons rencontrée avant Les Dialogues des Carmélites. Cette année, entre deux dates d’un agenda international, la soprano Ludivine Gombert vient chanter trois fois « chez elle » (lyrique, récital, et musique sacrée). Issue, comme son mari, des chœurs de l’Opéra Grand Avignon (alors Opéra-Théâtre d’Avignon), elle trace un chemin sans précipitation, en sachant choisir ses rôles, et en leur offrant les discrètes qualités de cœur que tous ses partenaires lui reconnaissent…
-Ludivine Gombert, vous allez reprendre à Avignon votre rôle de Mimi, dans une nouvelle production de La Bohème. La note d’intention des deux metteurs en scène Frédéric Roels et Claire Servais insiste sur la représentation de la pauvreté matérielle ; comment se réalise-t-elle ? Par une sorte d’épure, de mise en scène a minima ?
-Le décor est en effet très léger, très épuré. Le décorateur, qui est aussi costumier, a travaillé dans cette perspective. Pour mon personnage notamment. Il m’a donné l’apparence la plus maigre possible, on a beaucoup travaillé là-dessus, sur la vérité des personnages.
-Les metteurs en scène soulignent aussi leur travail avec les chanteurs : « comprendre les personnages et les traduire, plutôt que de s’identifier à eux », parlant de distanciation brechtienne. Comment vivez-vous cette appropriation du personnage ?
-Quoi qu’on fasse et quel que soit le rôle, il y a toujours une part de nous-même qui échappe et transparaît dans le personnage. Une fois qu’on met le pied sur scène, on ne dépose pas au vestiaire ce que l’on est, on ne dépose pas ses tripes. On apporte toute notre histoire personnelle, et c’est ce qui donne de la richesse à l’interprétation. Chacun, bien sûr, a sa motivation pour être en scène, mais chacun apporte une part de sa vie, de sa réalité. Avec Claire on a beaucoup travaillé sur le théâtre, sur les regards, pour éviter tout geste parasite. Un décor épuré, c’est périlleux, parce que tous les visages se voient très bien : le moindre regard, la moindre mimique. On doit donc être en miroir les uns des autres. C’est comme dans la vie, quand quelqu’un décroche au milieu d’une conversation, il déstabilise l’ensemble.
-Mais comment vous appropriez-vous votre personnage de Mimi ?
-Il m’est très proche. C’est l’un des personnages qui me ressemble le plus, ou l’inverse, auquel je ressemble le plus. Mimi aime la vie, elle la croque sans cesse, elle a les pieds dedans, elle savoure chaque instant. Dans cette production, Mimi n’a pas conscience de sa maladie ; elle prend une vraie gifle quand Rodolfo dit à Marcello qu’elle est malade et qu’elle va mourir. IL dit cela quand j’arrive, je prends une gifle, car il y a une grosse part de Ludivine en Mimi ; je suis moi aussi très croque-la-vie ! Elle a aussi, comme moi, une certaine humilité face aux épreuves de la vie, elle a un rayonnement, une simplicité. Elle est également bienveillante, amoureuse… amoureuse de Rodolfo, bien sûr, son dernier amour, le seul vrai. Mais elle est amoureuse de tout. Rodolfo, c’est son dernier cadeau avant la mort. C’est un personnage très dense, très humain.
-Vous aviez déjà été Mimi à Reims, et de façon magistrale selon des témoins fiables. Comment abordez-vous cette production-ci ? Un approfondissement, une découverte de traits de Mimi auxquels vous n’aviez pas été sensible ?
-A Reims c’était une prise de rôle, aussi bien pour Davide (Giusti) que pour moi. Nous avions des doutes alors. Maintenant, heureusement, nous en avons moins. On tente autre chose, on essaie de traverser l’œuvre différemment. A Reims, avec Nadine Duffaut, c’était d’autres facettes. Avec Claire, ici, la vision est complémentaire. L’une se nourrit de l’autre. Et puis elle se nourrit de ma vie à moi, qui a évolué depuis Reims. J’ai éclairé ma Mimi d’un autre point de vue, et je lui au donné plus de liberté par rapport à moi.
-Sauf erreur, plusieurs intervenants (dont le chef, Samuel Jean, dont c’est le 1er Puccini) sont en prise de rôle. N’y a-t-il pas une pression supplémentaire sur vos épaules ?
-Je ne crois pas que ce soit un début pour beaucoup. Mais l’ensemble de la distribution est équilibré, on travaille ensemble, on n’a pas de sentiment de prise de rôle chez tel ou tel. Avec Davide, on se connaît déjà, c’est un vrai atout pour le couple (sourire). J’étais sa 1ère Mimi, et il a été mon 1er Rodolfo ! Depuis, on s’est vu grandir, on est curieux de l’évolution de l’autre. C’est un super groupe, avec une belle énergie. On peut faire des propositions, on progresse tous ensemble. On construit notre Bohème les uns avec les autres. Et tous quelque part on est en prise de rôle à chaque fois…
-La plupart des opéras mettent en avant une femme au seuil de la mort. Comment se mettre en condition ?
-Mimi est incapable de mourir seule. Avec Rodolfo, ils n’arrivent pas à se séparer. On a tous besoin les uns des autres ; on se révèle tous mutuellement quelque chose.
-Pourtant Mimi a des instants de faiblesse dès le début.
-Mais elle n’a pas pour autant conscience de sa maladie. Dans la partition, dès le début les moments de faiblesse sont scénarisés. Mais Mimi croit que ses malaises, dans les deux premiers tableaux, sont dus à l’émotion ; ce n’est pas pour elle une vraie faiblesse, c’est très vivant. Le pivot interviendra quand elle prendra conscience, par les paroles de Rodolfo. C’est souvent le cas dans la vie…
-Après Bohème, le 14 février vous serez encore à Avignon, au musée Angladon, pour une soirée intimiste « Femmes, je vous aime ». Quelle a été la genèse de ce projet ?
-On est parties de l’idée d’une promenade croisée entre peinture et musique. La 1e partie sera une conférence, et la 2e sera un récital de mélodie, dans l’esprit d’un salon français du XIXe siècle. C’est une traversée… En fait, j’ai rencontré très récemment Catherine, la conférencière, qui a monté ce programme avec Sylvie Rogier, et qui me l’a proposé.
-Ensuite, le 31 mars, sous la baguette de Pierre Guiral directeur de l’Opéra Grand Avignon, vous participerez à la Petite Messe de Rossini. Comment l’abordez-vous ?
-C’est un des ouvrages sacrés que je préfère. On n’a pas encore les pieds dedans, mais je suis heureuse parce que c’est la première fois que je la chante…
-Vous ne l’aviez pas déjà chantée, à la collégiale Saint-Didier d’Avignon ?
-En soliste j’en ai chanté des extraits seulement. Entière, oui, mais alors que j’étais dans les chœurs. A la collégiale Saint-Didier, j’avais chanté le Stabat Mater.
-Dans vos projets régionaux dont on aura l’occasion de reparler, figurent Carmen, la Périchole, et Turandot. C’est encore loin, mais pouvez-vous nous dire quelques mots ?
–Carmen sera une co-production, et sera à Avignon en 2020 ; la Périchole, où j’interprèterai la 1e cousine, est plus proche, en octobre 2019. Quant à Turandot, c’est imminent, et ce sera à Marseille, où je serai Liu, au mois de mai.
-Quelques mots de conclusion. Ravie d’être à la maison ?
-Ravie d’être à la maison, oui, mais les journées sont intenses et le rythme sportif (Ludivine signe son retour de toute jeune maman). Mais je suis heureuse de chanter ici : la salle de l’Opéra Confluence a une âme, elle a un côté troupe. Et puis, l’avantage du plateau en pente est de renvoyer la voix, alors qu’il n’y a pas de cadres de scène.
-Attention au plateau incliné ! J’ai souvenir d’une chute de Nathalie Manfrino, qui s’était coupée avec la flûte à champagne qu’elle tenait à la main…
-C’est vrai que les équilibres ne sont pas les mêmes. On travaille davantage le dos, l’arrière des cuisses. Musetta surtout est sollicitée, elle monte sur des chaises, elle a des portés difficiles… Mais ce devrait être une belle production.
Propos recueillis par G.ad., janvier 2019.