Une imprudence folle
L’Ombre de Venceslao. Opéra en deux actes de Martin Matalon (son 1er opéra), livret de Jorge Lavelli, d’après la pièce de Copi (Editions musicales Billaudot)
Création à Avignon / Nouvelle production
Direction musicale: Ernest MARTINEZ-IZQUIERDO. Etudes musicales : Sylvie LEROY
Conception et mise en scène: Jorge LAVELLI. Collaboration artistique : Dominique POULANGE. Répétiteur danse : Jorge RODRIGUEZ. Scénographie : Ricardo SANCHEZ-CUERDA. Costumes : Francesco ZITO. Lumières : Jean LAPEYRE/ Jorge LAVELLI
China : Estelle POSCIO. Mechita : Sarah LAULAN. Venceslao : Thibaut DESPLANTES. Rogelio : Ziad NEHME. Largui : Mathieu GARDON. Coco Pellegrini : Jorge RODRIGUEZ. Gueule de Rat : Germain NAYL. Le Singe : Ismaël RUGGIERO. Le Perroquet (voix enregistrée) : David MAISSE. Les serviteurs de scène : Ismaël BOUARDA, Yann-Sylvère LE GALL, Benjamin LEBLAY, Paul-Henri NIVET
Bandonéonistes : Max BONNAY, Guillaume HODEAU, Anthony MILLET, Victor VILLENA,
Orchestre Régional Avignon-Provence
Directrice technique : Cécile HÉRAULT. Régisseuse de production : Héloïse SÉRAZIN. Responsable Costumes : Corinne CROUSAUD. Ingénieur du son : Max BRUCKERT.
Les décors et accessoires ont été fabriqués dans les ateliers de l’Opéra National de Bordeaux. Les costumes et chaussures ont été réalisés dans les ateliers du Théâtre du Capitole de Toulouse
En co- production avec
- le Centre Français de Promotion Lyrique,
- l’Opéra National de Bordeaux, le Centre Lyrique Clermont-Auvergne, l’Opéra de Marseille,
- l’Opéra National Montpellier Occitanie, l’Opéra de Reims, l’Opéra de Rennes,
- l’Opéra de Toulon Provence-Méditerranée,
- le Théâtre du Capitole de Toulouse, le Teatro Municipal de Santiago du Chili
- et le Teatro Colon de Buenos-Aires
- le Grame, Centre national de création musicale – Lyon
Avec le soutien de la Caisse des Dépôts et de la Fondation Orange, mécènes principaux ; du Fonds de Création Lyrique de la SACD et du Ministère de la Culture et de la Communication. En partenariat avec France 3 et France Musique.
Prochaines dates : Opéra de Marseille, 7 & 8 novembre 2017 ; Opéra National de Montpellier Occitanie, 26, 28 & 30 janvier 2018 ; Opéra de Reims, 11 février 2018.
Aller voir à l’opéra une pièce du prolifique iconoclaste Copi (alias Raúl Damonte Botana, 1939-1987) était peut-être une imprudence folle. Pourtant l’audace a trouvé son public.
(de g. à dr., le compositeur, le chef, le librettiste)
Si les spectateurs étaient partagés ce vendredi soir (mais certains très enthousiastes), c’est que L’ombre de Venceslao est une œuvre audacieuse. Tantôt coup de poing tantôt caresse, que cet opéra composé par Martin Matalon sur un livret et dans une mise en scène de Jorge Lavelli, d’après une pièce éponyme de Copi.
Coup de poing de la grossièreté du texte, de la vulgarité voire de l’obscénité assumées, du mot et de la chose. Coup de poing aussi de certaines audaces musicales et vocales.
Mais il faut saluer par ailleurs l’homogénéité de la production, dans une véritable cohérence de ton et d’atmosphère entre tous les éléments, soulignée par les lumières de Jean Lapeyre et Jorge Lavelli. Une belle cohérence, due sans doute à une communauté de coeur entre les trois Argentins installés en France, Copi, Lavelli, Matalon.
La mise en scène, inventive et incisive comme on pouvait s’y attendre, signe la fluidité de l’errance familiale à travers ces trente-quatre scènes (sans entracte), avec de jolies trouvailles, légères et diaphanes comme les chutes d’Iguazu, ou plus glauques lors de l’empoisonnement de l’épouse et de la pendaison de Venceslao, ou sensuelles dans la froide lumière du saisissant tango de Buenos-Aires. La verticalité vertigineuse des décors tout en souplesse aère ce que peut avoir de pesant l’existence désarticulée de ces personnages paumés : du père à la double vie et double descendance, des jeunes demi-frère et sœur incestueux, de la maîtresse poursuivie – et troussée – avec la même vigueur par l’amant en titre et l’amoureux transi….
Les chanteurs-acteurs manifestent un engagement exceptionnel de précision et de densité, tant dans la présence scénique que dans la prestation vocale, redoutable. Surtout avec un orchestre renforcé de percussions et de quatre bandéonistes, ensemble qu’Ernest Martinez-Izquierdo a dirigé avec énergie à travers une partition drue, dense, difficile.
L’humour et la dérision – portés notamment par les animaux, cheval, singe et perroquet – donnent de la profondeur à un récit dramatique voire tragique. Mais la palme revient – même si l’applaudimètre a été inégal – à la jeune soprano suisse Estelle Poscio (China, la fille de Venceslao), une brunette toute fluette mais qui a déjà brûlé les planches de scènes célèbres ; si sa voix a été soumise à rude épreuve par une rôle exigeant, ses qualités de danseuse et de comédienne, à la palette remarquable, ont unanimement séduit.
Toutes les voix sont résolument jeunes, puisque tel est le credo du CFPL, mais déjà rodées aux grands rôles. Avec quelques jolis succès glanés dans tel festival renommé ou telle salle connue. Ainsi, outre Estelle Poscio, la contralto française Sarah Laulan (Mechita, la maîtresse), couronnée d’un 3e prix au concours international reine Elisabeth) ; Avignon l’a déjà reçue – et applaudie – dans les magnifiques Caprices de Marianne de Sauguet, précédente production du CFPL (2015) et dans l’original Laïka, the Spacedog (2013).
Le Parisien Thibaut Desplantes (Venceslao), lui, est membre du Chœur Accentus de Laurence Equilbey – une référence -, et le ténor libanais Ziad Nehme (Rogelio) est déjà un habitué des grands rôles à défaut des rôles-titres. Le souriant Mathieu Gardon (Largui) n’est pas non plus un inconnu : d’abord saxophoniste et organiste en même temps que chanteur, puis… sage-femme ( !), il a été successivement Révélation Artiste Lyrique de l’ADAMI 2013, puis nommé en 2014 aux Victoires de la Musique Classique dans la catégorie Révélation Artiste Lyrique ; il se produit déjà, entre autres, au festival d’Aix-en-Provence et aux Chorégies d’Orange.
Jorge Rodriguez, répétiteur danse (Coco Pellegrini), argentin aussi, a été mis en scène par Jorge Lavelli au théâtre, justement dans l’Ombre de Venceslao de Copi en 1999 ; il est donc familier de l’œuvre, même si c’est dans un autre langage ; s’il vient pour la première fois à l’Opéra Grand Avignon, il intervient néanmoins aux Hivernales d’Avignon, et comme coach de tango pour Juliette Binoche, Mathieu Amalric, ou Sylvie Testud…
Sur les comédiens aussi repose la réussite du spectacle. Le Strasbourgeois Ismaël Ruggiero (Le Singe) est aussi un homme-orchestre ; comédien-escrimeur sur Arte, il est comédien ou mime dans les mises en scène de Vincent Tavernier (qui vient de réussir de sublimes Amants magnifiques). David Maisse (Perroquet) est également formé à Paris à l’école des plus grands.
Que serait un opéra « argentin » sans ses musiciens ? Max Bonnay, bandonéoniste et accordéoniste, a peaufiné sa formation dans divers pays du monde, couronnée par les Fondations de la Vocation, Menuhin et Cziffra ; son brillant élève Anthony Millet, lui aussi à l’affiche, n’est pas en reste.
Ni le Marseillais Guillaume Hodeau, déjà sollicité par de grands labels. Ni Victor Villena, lui aussi argentin installé en France en 1999, bandonéoniste lui aussi ; s’il fait ici ses débuts à l’Opéra Grand Avignon, il travaille par ailleurs avec des pointures comme Henri Demarquette, Nemanja Radulovic et Frank Braley (Quatuor Arborescence) ; il a ouvert en 2014 la toute première classe de bandonéon du Conservatoire à Rayonnement Régional du Grand Avignon et a participé à la création du Double concerto pour bandonéon, accordéon et orchestre d’Alejandro Schwarz, commande du Conservatoire d’Avignon.
Une distribution brillante, une mise en scène ciselée, une interprétation sans faille, pour une œuvre parfois dérangeante mais forte, « clivante » suivant le jargon actuel mais courageuse.
Les succès d’œuvres récemment présentées à Avignon, comme Les Amants magnifiques ou Le Château de Barbe-bleue et Senza Sangue ont bien montré qu’une audace intelligente et fine soulevait un enthousiasme de même qualité.
S’il existe encore une création opératique aujourd’hui, c’est en grande partie au CFPL qu’on le doit. Le Centre Français de Promotion Lyrique est une association 1901, présidée par Raymond Duffaut (interview sur Classiquenews : http://www.cfpl.org/actualite2.php?id=585 ) et réunissant presque tous les responsables de maisons d’opéra françaises, grandes ou petites. Cette structure originale découvre et promeut les jeunes talents d’aujourd’hui et de demain : concours et auditions, recrutement, aide à la formation… Les concours Voix nouvelles par exemple, c’est le CFPL. De l’audace. http://www.cfpl.org/
De l’audace encore, dans ces projets un peu fous de tournées en co-production. Des co-productions plus originales, plus ambitieuses, plus audacieuses que des coproductions classiques. Il s’agit là de réunir, sur une œuvre, une distribution, un metteur en scène et un chef, tous choisis en commun par les maisons d’opéra participantes, et de mutualiser la production, en répartissant la réalisation des costumes, des décors…, et enfin d’assurer une tournée d’une vingtaine de dates. Ce furent ainsi Il Viaggio a Reims de Rossini, puis Les Caprices de Marianne de Sauguet.
Plus audacieux encore, pour cette troisième production, le CFPL a voulu participer lui-même à la création opératique contemporaine, en passant commande à un compositeur bien vivant, l’Argentin Martin Matalon, dont c’est – audace suprême – le premier opéra !
Les opéras qui aujourd’hui remplissent à coup sûr les salles ont parfois étonné à leur création, dérouté, tout autant qu’ils ont séduit. Il ne fallait qu’un peu d’audace…
G.ad. Photos du trio argentin et de Raymond Duffaut : G.ad. Du spectacle : Cédric Delestrade-ACM-Studios