Les absents ont eu tort : un très beau moment
Dimanche 23 avril, 16h, Opéra Grand Avignon (page officielle)
Liya Petrova, violon. Eric Le Sage, piano
Serge Prokofiev, Sonate n°1. Claude Debussy, Sonate. César Franck, Sonate en la majeur.
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Rares sont aujourd’hui les concerts exclusivement musicaux ; la plupart des artistes présentent en quelques mots leur programme, conscients que la clef d’accès qu’ils offrent permet une écoute plus active. Certains, comme Anne Queffelec, partagent presque à égalité entre mots et notes leur temps de concert, ce qui n’est pas pour déplaire au public.
Le duo de cet après-midi à l’opéra Grand Avignon, lui, ne dira rien des œuvres. Pour autant l’écoute a été quasi religieuse ; je crois même avoir vécu là le premier concert dans lequel aucun auditeur ne s’oublie à applaudir en cours de morceau. Qualité de l’interprétation, précision et délicatesse du son, programme intéressant, ont signé un moment de grâce.
L’Opéra d’Avignon avait déjà accueilli Eric Le Sage il y a quelques années, me semble-t-il, en solo ou duo, et plus récemment, le 15 novembre 2019, avec l’Orchestre alors régional Avignon-Provence. Né à Aix-en-Provence en 1964, Eric Le Sage co-dirige dans sa région, avec Paul Meyer, clarinettiste, et Emmanuel Pahud, flûtiste, le Festival international de musique de chambre de Salon-de-Provence qu’ils ont fondé en 1992 sous le nom de Festival de l’Empéri. Pour Piano bleu, il analysait en 2014 les divers volets de son activité : « Le concerto est un « challenge » que j’adore affronter quand une vraie relation peut se nouer avec le chef et l’orchestre, le récital est peut-être le plus complet, la musique de chambre le plus agréable, le plus dans ma nature ».
Son répertoire de prédilection, outre Schumann et la musique romantique, le porte vers le répertoire français. Il jouait là un programme post-romantique, Prokofiev, Debussy et Franck, partageant la scène avec une jeune violoniste bulgare, Liya Petrova. Elle non plus n’est pas une inconnue ; sa sensibilité et sa virtuosité, ainsi que les sons clairs de son instrument historique (un Bergonzi, de Crémone, 1735), avaient déjà conquis le public avignonnais lors d’un concert symphonique le 26 novembre 2021. Elle sera également invitée cet été au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron (2 août dans le cadre de la Carte blanche à Alexandre Kantorow, & 9 août).
On aurait cru, au début du récital, que se jouait le dialogue entre deux générations, la violoniste travaillant sur tablette alors que le pianiste était sur partition papier, avant que les deux artistes ne se rejoignent sur partition traditionnelle pour Debussy et Franck.
La sonate de Prokofiev en la mineur (1938-1946) a fait miroiter toutes ses sonorités subtilement chatoyantes, avec un piano auquel dès l’entrée était dévolu le registre grave et médian, et au violon la finesse des aigus ciselés, prolongés dans l’infinie finesse d’une note jusqu’au silence. Elle est dédiée au violoniste David Oïstrakh (1908-1974) qui l’a créée et en a joué deux mouvements lors des obsèques du compositeur, le même jour que celles de Staline, le 5 mars 1953 ! Prokofiev souhaitait du pianiste un jeu qui réveille l’auditeur et l’« interpelle » ou le « questionne », suivant le vocabulaire actuel.
Plus insistant et douloureux se fait le violon dans la Sonate de Debussy (1916-1917), avec un son d’une vibration délicate ; le dialogue est énergique et puissant, et exprime avec une intensité bouleversante, en 15 minutes et 3 mouvements, la double souffrance de la guerre et de la maladie du compositeur, qui mourra quelques mois seulement après la création, création par lui-même au piano.
Quant à la célébrissime Sonate en la majeur de César Franck (1886), inspiratrice de la Sonate à Vinteuil qui court, insistante, dans l’œuvre de Proust, elle est dédiée au violoniste Eugène Ysaÿe, et a fait l’objet de près de 200 enregistrements. Elle se déploie comme un poème symphonique ; les quatre mouvements deviennent sonnet, et l’on sent la salle sous le charme.
Les absents, aujourd’hui encore, ont eu tort, et la salle était bien modeste, mais peut-être la saison de chambre a-t-elle perdu son public d’avant Covid ?
G.ad.
G.ad. Portraits Jean-Baptiste Millot & Marco Borggreve. Photo G.ad.
F.H. dit
Après midi réussi..
Trop peu de monde hélas car deux virtuoses en Avignon..Un vrai bonheur !
Classique dit
Merci pour votre message. C’était en effet un très beau moment.
Je vous signale que Lyia Petrova vient d’enregistrer un CD, que Classiqueenprovence va bientôt chroniquer, et qu’elle sera accueillie cet été au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron (voir notre rubrique dédiée).
Eric Le Sage, lui, est toujours co-directeur du Festival de Salon-de-Provence.
Cordialement,
G.ad.