Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence le 6 décembre 2023
Chœur et Orchestre du Poème Harmonique. Vincent Dumestre, direction. Soprano, Amélie Raison. Mezzo-soprano, Anaïs Bertrand. Haute-contre, Paco Garcia. Ténor, Cyril Auvity. Baryton, Victor Sicard
Anonyme, Te Deum – Plain-chant
Marc-Antoine Charpentier, Te Deum
Jean-Baptiste Lully, Te Deum
Le Poème Harmonique, et son chef Vincent Dumestre fondateur de la formation baroque en 1998, ont souhaité ce soir placer en regard les deux Te Deum de Charpentier et Lully, compositions distantes de quelques années.
Mais c’est un autre Te Deum, anonyme cette fois, qui est chanté en préambule, un peu comme un avant-concert. Placé au premier balcon, un choriste baryton lance ses phrases a cappella, auxquelles répond le chœur du Poème Harmonique, aligné en fond de parterre. Les choristes descendent ensuite les deux escaliers latéraux de la salle, tout en continuant de chanter, pour venir s’aligner en avant-scène. Les effets de spatialisation du son produisent un fort impact sur l’auditeur, au cours de ce plain-chant aux accents orthodoxes pour ce qui concerne le soliste.
L’orchestre a eu le très bon goût de s’accorder préalablement en coulisses et peut ainsi enchaîner sans rupture. L’entame du Te Deum de Charpentier est évidemment très connue, servant depuis des décennies de générique aux émissions de télévision retransmises en Eurovision. Ce passage est pris sur un rythme rapide ce soir, les timbales enthousiastes ayant tendance à écraser les collègues instrumentistes, cuivres compris. Les vingt choristes forment un son homogène et de belle ampleur, bien en accord avec leurs partenaires musiciens.
Quant aux cinq solistes en présence, nous avons affaire à des voix d’une sûre intonation et d’une souplesse certaine, qui leur permet de passer sans encombre les passages les plus fleuris. La séduction vocale n’est en revanche pas homogène, avec comme principale faiblesse celle du haute-contre Paco Garcia, timbre particulièrement pincé aux sonorités nasales peu agréables à l’oreille. Cyril Auvity fait entendre un ténor bien délié et Victor Sicard un baryton capable d’une vigoureuse projection. Côté féminin, c’est la soprano Amélie Raison qui est le plus sollicitée dans cet opus, en particulier au cours d’un air où sa ligne angélique plane sur un doux soutien au continuo et aux bois. La mezzo Anaïs Bertrand assure elle aussi avec musicalité ses plus modestes parties.
Vincent Dumestre prend la parole entre les deux Te Deum, pour indiquer que si la composition de Charpentier était déjà très connue au 17ème siècle, la version de Lully ne l’était pas moins, mais indirectement. C’est en effet au cours d’une répétition de son Te Deum que Jean-Baptiste Lully se donna un coup de bâton sur un orteil, l’ancêtre de la baguette du chef qu’on agitait alors de haut en bas. Lully mourra d’une gangrène généralisée quelque temps plus tard. Même sans bâton ce soir, ni baguette non plus d’ailleurs, la musique n’en revêt pas moins un brillant, une pompe, une efficacité mélodique irrésistibles. On apprécie alors à sa juste valeur cette belle formation baroque, ainsi que les nuances demandées par le chef pour faire vivre au mieux cette partition. Le chant est aussi diversifié, avec peu, voire pas d’air dévolu à un soliste en particulier, mais les solistes qui prennent tour à tour une phrase, chantent parfois en même temps que les choristes, ou bien c’est un dialogue qui s’installe entre les deux parties à d’autres moments.
Un bis et une « surprise » sont accordés à l’issue du programme. D’abord un hommage de Jeremiah Clarke (1674-1707) à son ainé admiré Henry Purcell, un rythme mortuaire scandé aux timbales, puis quelques coups d’archets qui suivent, en attaques sûres et énergiques, en somme une belle pièce solennelle, non dénuée de pompe elle non plus.
Et la surprise finale est un canon provençal, encore un hommage, mais au Roi René cette fois. Les choristes se répartissent en quatre petits groupes le long des escaliers latéraux et forment huit parties avec les quatre solistes disposés sur scène… de quoi entreprendre de nombreux départs et reprises en canon, pour un thème musical qui nous reste bien en tête jusqu’à la sortie du théâtre !
F.J. Photos I.F.
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