Quand les Leçons de Ténèbres deviennent chemin de lumière…
Dimanche 13 mars, 17h, durée 1h15, Conservatoire du Grand Avignon, amphithéâtre Mozart. Saison de Musique Baroque en Avignon (site officiel)
Les Nouveaux Caractères : Sébastien d’Hérin, clavecin & direction. Caroline Mutel, premier dessus. Julie Robard-Gendre, mezo-soprano. Martin Bauer, viole de gambe. Hager Hanana, violoncelle
Couperin, Les Leçons de ténèbres. « Quemadmodum desiderat » pour une voix seule, André Campra. Pièce pour la viole, Louis Couperin. « Première leçon de Ténèbres pour le Mercredi Saint », François Couperin ; soliste : Caroline Mutel. Pièce de clavecin, Louis Couperin. « Deuxième leçon de Ténèbres pour le mercredi Saint », François Couperin ; soliste : Julie Robard-Gendre. « Leçons de Ténèbres pour le vendredi Saint », Louis Grénon ; soliste : Caroline Mutel. « La Pompe Funèbre », pièce pour la viole, François Couperin. « Troisième leçon de Ténèbres pour le mercredi Saint », François Couperin ; solistes : Caroline Mutel et Julie Robard-Gendre
La Lumière, c’est l’image qui nous reste après ce concert des Nouveaux Caractères, déjà deux fois reporté en raison de la pandémie. Si les versets des Leçons de Ténèbres suivaient autrefois l’extinction successive de toutes les chandelles, c’était pour accompagner l’arrivée de la lueur au matin, comme l’a rappelé Sébastien d’Hérin en ouverture de concert (voir l’entretien sur MBeA). Nous n’étions pas au bout de nos découvertes, puisque le programme avait connu des modifications jusqu’à la dernière semaine. Louis Gendron, inscrit dans le programme initial, a disparu comme une fausse bonne idée : trop tardif, trop rococo pour maintenir l’homogénéité de ton du concert. Campra de même. Et la mezzo-soprano Julie Robard-Gendre a dû succéder dans la dernière ligne droite à la soprano Chantal Santon-Jeffery indisponible, à défaut de la remplacer. L’occasion pour le claveciniste de présenter le concert, avec une souriante simplicité et une précision artistique bienvenue, propres à installer une écoute active et sensible.
Les Nouveaux Caractères le valent bien… Ils ont offert un moment de grâce, dans l’amphithéâtre Mozart du Conservatoire Grand Avignon, réverbérant pour les aigus, comme nous l’avions déjà constaté la veille lors d’un apér’opéra, mais où les instruments trouvent un écrin de qualité où leur sonorité peut se déployer dans toutes ses couleurs.
Le programme était organisé autour du morceau de choix des trois Leçons de ténèbres pour le Mercredi saint (1714), composées par le « grand » François Couperin (1668-1733) très apprécié de Louis XIV ; une œuvre composée sur les Lamentations vétérotestamentaires de Jérémie, pour les religieuses de l’abbaye royale de Longchamp, connues pour être bonnes musiciennes. Les Nouveaux Caractères ont une longue familiarité avec cette œuvre, qu’ils ont enregistrée en 2019, avec Caroline Mutel et Karine Deshayes.
Trois moments-clefs, avec les voix respectives de Caroline Mutel, lumineuse, de Julie Robard-Gendre, chatoyante, enfin à deux voix, d’une subtile complémentarité. En alternance avec d’autres pièces, signées de François Couperin ou de son oncle Louis. Chaconne au clavecin solo, Carillon en trio, transcription de Danglebert (d’après Armide, tragédie lyrique de Lully), le programme était conçu avec intelligence, interprété avec talent. Le doigté du claveciniste est aérien, sensible, d’une exquise clarté. Le violoncelle de Hager Hanana déploie son ampleur charnue, encadrant la délicatesse de la viole de gambe, dont les sept cordes cisèlent des nuances infimes sous les doigts de Martin Bauer.
L’ensemble des Nouveaux Caractères (site officiel), fondé en 2006 par Sébastien d’Hérin et Caroline Mutel, et en résidence dans la région lyonnaise, a été distingué parmi des projets nationaux innovants, « Mondes nouveaux », et leur travail salué à l’Elysée le 8 novembre 2021 ; ils sont par ailleurs des habitués de la région, et l’on se souvient avec émotion du concert si particulier auquel avait participé Caroline Mutel : lors de la période inédite de pandémie, l’agence Limelight-Sophie Duffaut avait décidé de monter un « Concert non essentiel » (avec la négation ostensiblement biffée) dans des conditions de fortune, et ouvert aux seuls journalistes et/ou proches des artistes. Un acte de résistance et de pugnacité.
Julie Robard-Gendre, artiste internationale également, lyrique, récitaliste, chambriste, vient de choisir Avignon comme port d’attache, d’où elle rayonne pour donner corps à ses nombreux engagements. Elle est notamment référente vauclusienne pour les Voix Solidaires (notre entretien avec Ludivine Gombert en juin 2021), dont nous reparlerons.
Martin Bauer, lui, pratique avec le même bonheur plusieurs instruments ; néanmoins, diplômé de musique ancienne, il est spécialiste de viole de gambe, qu’il a étudiée notamment avec Jonathan Dunford, dont le fiston Thomas brille depuis quelques années au firmament de l’univers baroque en compagnie de Lea Desandre.
Quant à Hager Hanana, violoncelliste franco-tunisienne, elle travaille avec les plus grands ensembles de la stratosphère baroque.
Sans tapage, tout en finesse, avec le talent qu’on connaît à chacun de ces artistes, ce concert a marqué d’une pierre planche la saison de Musique Baroque en Avignon. Nous suivons depuis plusieurs années les Nouveaux Caractères dans différents projets ; leur précision et leur sensibilité dans la lecture des œuvres, et l’exquise délicatesse de leur jeu, nous promettent toujours un moment de très grande qualité.
G.ad. Photos G.ad.
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