Faire entendre la voix de Boualem Sansal
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Le Petit Louvre. 19h10. Durée : 1h25. Du 6 au 26 juillet. Relâche les 9, 16, 23 juillet. Réservations : 04 32 76 02 79
A l’heure où Boualem Sansal est emprisonné pour ses écrits, la Compagnie Les Asphodèles du Colibri a choisi de faire entendre sa voix en portant à la scène son roman, Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller. On ne peut que saluer l’initiative, dans un festival où cette voix est très injustement passée sous silence. Jouer, lire et faire lire Boualem Sansal est un acte de résistance. Et tout particulièrement ce roman-là qui dévoile, en s’appuyant sur un drame intime, les ressorts d’un fascisme à plusieurs visages. Tout part d’une histoire vraie : celle de deux frères, nés en Algérie d’une mère algérienne et d’un père allemand, et élevés par leur oncle dans une cité de la banlieue parisienne. Le suicide de l’un d’eux entraîne l’autre à la recherche du drame secret qui a tourmenté son aîné. Un carnet intime, puis une enquête acharnée dévoilent peu à peu la face cachée de l’histoire familiale : un père nazi exfiltré après la chute du Reich via la Turquie. Le drame, nourri de culpabilité, révèle certains aspects occultés de l’Histoire, en particulier les liens entre d’anciens nazis et le régime algérien. Il se prolonge avec des drames contemporains, soulignant le silence assourdissant fait autour des exactions de l’Islam radical, ici et là-bas. On comprend que le propos dérange.
Mais comment porter à la scène ce roman aux multiples dimensions ? L’enjeu est de taille. Et le résultat forcément réducteur. La version qui nous est proposée privilégie la dimension intime, la culpabilité qui nous rend malgré nous comptables des crimes de nos parents. On suit l’intrigue portée par le suspens lié à la quête des deux frères, Rachel et Malrich, dans une mise en scène réaliste qui jongle un peu vite avec les éléments d’un décor rudimentaire, canapé, table. Evidemment, la mise en dialogue du texte nous éloigne de la belle langue littéraire de Boualem Sansal. On capte cependant des moments d’émotion, en particulier la rencontre à Auschwitz entre l’un des frères et une rescapée de la Shoah, et ce moment où le mot « pardon » est prononcé, comme une tentative de réparer l’irréparable. La pièce trouve son sens, et sa poésie, dans ces moments de beauté ténue. Eclosion fragile, surgie « dans un monde souvent aride, utilitaire, difficile et médiocre », à l’image de l’asphodèle, emblème de la Compagnie.
Carina. Photos AEV Prod.
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