Cette re-création en 2024 est une formidable réussite, artistique, citoyenne, symbolique
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Chien qui fume, 29 juin au 21 juillet, à 21h15, durée 1h30, relâche les 10 & 17 juillet ; résa 04 84 51 07 48.
Le lavoir, en ce début du XXe siècle, c’est l’espace social des femmes. Treize femmes en Picardie parlent, chantent, se crêpent le chignon, se consolent, comme au sein d’une grande famille où les chamailleries du quotidien n’entachent jamais la solidarité de fond. Ça rit, ça chante, ça s’épanche, ça bouge beaucoup, ça pleure, ça se bouscule…
Treize femmes, avec des individualités bien typées, pittoresques et attachantes, entre l’ingénue, la grand-mère à qui on ne la fait pas, l’aguicheuse – qu’on fustige mais qu’on envie secrètement – et toutes les facettes de la nature humaine. Effets comiques garantis.
Elles « lavent leur linge sale » ensemble ; un dur labeur au service des proches, ou de plus fortunés pour celles qui sont rémunérées. Mais ce travail asservissant, dont les gestes leur sont aussi naturels que la marche ou la respiration, devient paradoxalement un moyen de libération de la parole. Et le lavoir, un défouloir, qui remplace avantageusement papa Freud. Et un purificateur par l’eau, la matrice du monde.
Et ces femmes y font société. Une société tonique, roborative, qui ne croit pas aux lendemains qui chantent, mais qui sait, avant même que le mot n’existe, que la résilience est de son côté, son arme secrète quand on se serre les coudes. A travers et au-delà des individualités, c’est en filigrane un monde qui se construit, avec ses relations de Grande Histoire – on est en 1914 – et de petites histoires.
Car la conscience d’appartenir à un monde sur le point de basculer se dessine en finesse au cœur de ce texte écrit dans les années 80, immense succès ici même, au Festival Off d’Avignon en 1986 (Prix du Festival Off, avant d’obtenir le Prix Prynge dans l’autre grand festival de théâtre, celui d’Edimbourg), et qui depuis lors, a été traduit en diverses langues et moultes fois joué dans le monde. S’il a jailli des plumes croisées de Dominique Durvin et Hélène Prévost, il a ensuite fait l’objet d’une réappropriation intime par un groupe de femmes, certaines comédiennes, d’autres participantes à un atelier, toutes « citoyennes ». D’origines diverses, elles se rejoignaient sur un point : l’existence d’une arrière-grand-mère lavandière… En prenant à bras-le-corps les gestes les plus humbles de leurs aïeules, elles ont alors réécrit en elles une histoire collective, ce que Frédérique Lazarini la metteure en scène considère comme le chaînon manquant entre L’Assemblée des Femmes d’Aristophane et le mouvement actuel #MeeToo. Ainsi, on ne distingue pas les trois comédiennes professionnelles des 13 « choristes » présentes par rotation, tant elles sont toutes portées par une histoire commune qui les dépasse, une joie communicative, des lumières qui savent sublimer un tableau, une mise en scène au rythme soutenu et mouvante – et émouvante – comme la vie même.
Cette re-création en 2024 est une formidable réussite, artistique, citoyenne, symbolique.
Geneviève. Photo Marion Duhamel
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