Un Barbier… de qualité, évidemment !
Du 26 Juin au 23 Août 2025, château de Grignan. Dans le cadre des Fêtes nocturnes des Châteaux de la Drôme Durée 1h45.
Le Barbier de Séville de Beaumarchais
Mise en scène, Jean-Philippe Daguerre. Avec Marion Bosgiraud (Rosine), Jean-Baptiste Artigas (comte Almaviva), François Raffenaud, Pascal Vannson, Tullio Cipriano (Don Bazile), Hervé Haine (L’Eveillé), Jean-François Toulouse (La Jeunesse et le notaire), Sabine Revault d’Allonnes (chant). Musiques et direction musicale, Petr Ruzicka. Scénographie : Fanny Gamet. Costumes : Corine Rossi. Lumières : Moïse Hill. Direction de production : Aurélia Dury. Assistant mise en scène : Hervé Haine.
En investissant le site magique du château de Grignan dans le cadre des Fêtes nocturnes – site officiel -, manifestation locale des Nuits des châteaux de la Drôme, Jean-Philippe Daguerre a réalisé un désir de plusieurs années et concocté un spectacle de qualité, propre à toucher un public d’un peu plus de 40.000 spectateurs ; 20.000 places étaient déjà réservées avant même le début des représentations, se réjouissait-il le soir de la générale.
L’équipe peut en effet « tester » la pièce lors de trois avant-premières traditionnelles : d’abord pour les mécènes et sponsors, puis pour la presse et les Grignanais, enfin pour les institutionnels. Aucun n’a boudé son plaisir.
Car Jean-Philippe Daguerre a un talent multiple. De même qu’il est neuf fois moliérisé en deux éditions à des titres divers (auteur, metteur en scène) ou à travers les comédiens de sa troupe, de même signe- t-il à Grignan une œuvre à la fois de peintre, d’homme de scène et de mélomane.
Ce Barbier vient d’un œil de peintre. Finesse des nuances, camaïeux de couleurs et des lumières de Moïse Hill, réglages retravaillés sans cesse tout au long de l’été pour épouser au mieux les glissements du soir qui descend et de la saison qui avance ; flamboiement des teintes fauves dans les affrontements de passions… Dans certaines scènes, la composition aussi est pensée avec précision, parfois en plusieurs tableaux sur des plans différents : il faudrait voir la pièce plusieurs fois pour en goûter tous les détails !
Homme de scène – à la fois dans les coulisses et ailleurs sur le plateau, remplaçant par exemple Yves Roux disparu le 6 juillet, à Avignon dans le rôle du médecin dans Du Charbon dans les veines, notre compte rendu en 2024 -, Jean-Philippe Daguerre en connaît les atouts et les pièges, se jouant des uns, se défiant des autres. Il sait appréhender l’espace, les mouvements et les arrêts, les confrontations et les dialogues… C’est ainsi que le grand cercle devient ici le prolongement éclaté de la terrasse rectangulaire du château : elle peut devenir arène sévillane où s’affrontent violemment des intérêts contraires, ou promesse d’ouverture future. De même les parois mobiles qui jouent les moucharabiehs délimitent autant des espaces fermés qu’elles laissent entrevoir tous les possibles.
Il n’est pas jusqu’à l’architecture du château qui ne devienne élément de la pièce. La façade imposante abrite des mystères, l’existence recluse de Rosine ; ses fenêtres s’ouvrent – mais si peu – sur le désir de liberté de la jeune femme…
Les comédiens, très à l’aise dans cet espace multiple, campent des personnages bien typés, et le texte de Beaumarchais prend ici, dans la légèreté d’un soir d’été, un relief singulier. Ce Beaumarchais aux mille vies, personnage rocambolesque, qui en 1784 choisira un château du Vaucluse, le château de Thézan, pour y écrire le dernier acte de son Mariage, montre à Grignan encore son irréductible modernité.
Il est remarquablement servi par neuf comédiens qui se partagent entre Grenier de Babouchka – la compagnie du metteur en scène et de son épouse Charlotte Matzneff, site officiel – et complices habituels de la troupe. Fort joliment habillés par Corine Rossi, tous portent à la fois une présence joyeuse et ce qu’il faut de profondeur pour donner à la pièce sa chair et son humanité : tant les primari – Marion Bosgiraud (Rosine), Jean-Baptiste Artigas (comte Almaviva), que le reste de la distribution – François Raffenaud, Pascal Vannson, Tullio Cipriano, Hervé Haine, Jean-François Toulouse.
Peintre, homme de spectacle, c’est aussi en mélomane que le metteur en scène marie des airs de Rossini, attendus, avec des compositions de son complice habituel Petr Ruzicka, aux accents multiples, parfois baroques tantôt hispanisants ; cette multiplicité fait d’ailleurs tout leur charme. Pour le chant aussi, on a choisi, en Sabine Revault d’Allonnes, l’excellence : soprano auréolée de nombreux prix, après une formation de violoniste, c’est une artiste délicate à la riche carrière, dont la fraîcheur irrigue tout en subtilité le spectacle.
Il faut enfin saluer en Jean-Philippe Daguerre un authentique promoteur d’un vrai théâtre populaire de qualité, à la Vilar ; ce « théâtre citoyen, nécessaire, appuyée sur les chefs-d’oeuvre », comme l’analysait par exemple Michel Bouquet.
Son Barbier devrait être bientôt adapté aux dimensions et paramètres du théâtre Ranelagh (en saison 2026-2027 ?). En attendant, on retrouvera ses grands classiques à Paris dès la rentrée : au Théâtre Le Palais Royal Les trois Mousquetaires (à c. 11-10-25), au Théâtre Saint-Georges Les Fourberies de Scapin (à c. 20-10-25), au Théâtre Le Ranelagh Marius sa toute dernière création – notre compte rendu – (à c. 12-09-25), Le Cid – notre compte rendu – (à c. 29-10-25), L’Avare – , c’est la pièce que Jérôme Deschamps avait présentée en 2024 à Grignan, notre compte rendu – (à c. 11-10-25), Le Médecin malgré lui (à c. 19-10-25), Cyrano de Bergerac – notre compte rendu – (à c. 12-10-25).
Et l’on pourra lire le long entretien qu’il nous a accordé avant l’été, où il évoque ses trois projets 2025 en Provence (à Avignon, Carpentras et Grignan), déplorant aussi la situation inquiétante du spectacle vivant – ou de moins en moins vivant…
Quant au tout nouveau directeur du château de Grignan, Arnaud Vincent-Genod, il promet pour 2026 une année exceptionnelle autour de Mme de Sévigné, avec un calendrier débordant largement de la période estivale.
G.ad. Photos Valérie Benais (spectacle), G.ad (salut et portrait)
Laisser un commentaire