Anniversaire d’une vieille dame : Les chorégies d’Orange ont 150 ans
Symphonie n°8 / Mahler. Théâtre Antique. Lundi 29 juillet à 21h30. Durée : 1h45
Direction musicale, Jukka-Pekka Saraste
Magna Peccatrix Meagan Miller. Una poenitentium Ricarda Merbeth. Mater gloriosa Eleonore Marguerre. Mulier Samaritana Claudia Mahnke. Maria Aegyptica Gerhild Romberger. Doctor Marianus Nikolaï Schukoff. Pater ecstaticus Boaz Daniel. Pater profondus Albert Dohmen
Orchestre Philharmonique de Radio France
Orchestre National de France
Choeur de Radio France
Choeur philharmonique de Munich
Maîtrise de Radio France
Soirée diffusée en direct sur France Musique et francemusique.fr et sur France 5 dans “Passage des arts” présenté par Claire Chazal à 22h30
Le 29 juillet les Chorégies d’Orange ont fêté leurs 150 ans en présence du Ministre de la Culture Franck Riester.
Le traditionnel gâteau d’anniversaire a été partagé par Maurice Chabert, président du Département, Renaud Muselier, président de la Région sud, Jacques Bompard, maire d’Orange et Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies.
Toutes ces personnalités ont témoigné de leur attachement aux Chorégies, le plus ancien festival lyrique du monde. Elles ont également souligné leur volonté de le voir perdurer dans la continuité du travail successif des directeurs Raymond Duffaut et Jean-Louis Grinda. Franck Riester a confirmé le soutien financier de l’état afin de pouvoir un jour célébrer les 160 ans des Chorégies et même plus !
Pour fêter leur 150e anniversaire, les Chorégies d’Orange se devaient de « faire le buzz » en programmant pour la première fois une immense œuvre du début du XXe siècle : la Symphonie “des Mille”. Cette Huitième Symphonie composée par Gustav Mahler en 1906 fut créée à Munich le 12 septembre 1910 sous la direction du compositeur. Ce fut l’une des rares oeuvres de Mahler à recevoir un accueil favorable de son vivant. Cette symphonie doit son surnom – récusé par le compositeur lui-même – au nombre colossal de participants qui fut réuni lors de sa création. C’est ce qui en fait un concert exceptionnel car comment réunir sur une scène près de 500 artistes pour l’exécution d’une telle œuvre ?
Marina Mahler, petite fille de Gustav Mahler, était invitée à cette occasion. Le public a répondu présent puisque près de 6.000 personnes ont participé à cet évènement musical.
La soirée a été marquée par la présence de l’Orchestre National de France associé à l’Orchestre Philharmonique de Radio France auxquels se sont joints le Chœur et la Maîtrise de Radio France, le Chœur philharmonique de Munich et une pléiade de solistes de grande renommée : les soprani Meagan Miller, Ricarda Merbeth et Eleonore Marguerre, Claudia Mahnke (mezzo-soprano), Gerhild Romberger (contralto), Nikolaï Schukoff (ténor), Boaz Daniel (baryton), Albert Dohmen (baryton-basse). La direction de l’ensemble a été confiée à un maitre prestigieux : le chef d’orchestre Jukka-Pekka Saraste.
Ecrite en deux parties, l’œuvre est vocale d’un bout à l’autre ; le seul passage purement instrumental étant l’introduction du second mouvement.
La première partie est fondée sur l’hymne Veni Creator Spiritu,s dû au moine bénédictin Raban Maur ou Hrabanus Maurus, mort à Mayence en 856, chant de prières et d’espérance.
La seconde partie est inspirée par la scène finale du Second Faust de Goethe.
Solistes, chœurs et orchestre façonnent une évocation de la foi comme une réponse moderne aux Passions de J.S.Bach.
Les deux textes ont été écrits en deux langues différentes (latin et allemand) à mille ans d’intervalle, et cette Huitième symphonie est une œuvre résolument optimiste.
En 1906 Mahler écrivait à son ami Richard Specht : « …cette symphonie est un don à la nation. Toutes les précédentes n’étaient que des préludes à celle-ci : mes autres œuvres sont tragiques et subjectives, celle-ci est une immense dispensatrice de joie. »
En août 1906 il écrivait au chef d’orchestre Willem Mengelberg : « Je viens d’achever ma Huitième, c’est ce que j’ai fait jusqu’ici de plus considérable… Imaginez l’univers entier en train de sonner et de résonner. Il ne s’agit plus de voix humaines mais de planètes et de soleils en pleine rotation ».
Cette symphonie est effectivement une synthèse de l’œuvre de Mahler en ce sens qu’elle en porte la puissance, ce souffle qui caractérise le compositeur. L’Esprit Créateur est célébré dans la première partie avec son texte latin, l’Eros Créateur dans la seconde avec son texte en allemand. De nombreux thèmes leurs sont communs.
Il s’agit là d’une œuvre qui se veut triomphante, une belle exaltation de cette croyance humaniste pour celui qui arrive à la fin de sa vie, avant d’être abattu par des épreuves terribles : la mort en 1907 de sa fille bien-aimée, la découverte de sa maladie cardiaque incurable, la haine antisémite qui le chasse de son poste de directeur de l’Opéra de Vienne, l’exil aux Etats-Unis et la trahison de sa femme Alma.
Ainsi est relatée dans la revue Esprits nomades la première exécution de cette œuvre solennelle qu’est pour Mahler la Huitième Symphonie :
« Ce jour-là, Mahler venait tout juste d’atteindre cinquante ans. Sa carrière entière n’avait été qu’une suite presque ininterrompue d’échecs retentissants, il fut littéralement sidéré de voir la salle entière hurler, trépigner et applaudir avec transport dans un délire collectif de quelques vingt minutes. Les enfants du chœur, en particulier, à qui il n’avait cessé de prodiguer conseils et attentions pendant les répétitions, n’en finissaient plus d’applaudir, ni d’agiter leur mouchoir ou leur partition. Pour Mahler, ils représentaient cet avenir qu’il sentait bien lui échapper. À la fin du deuxième concert, lorsqu’ils se précipitèrent tous ensemble à l’avant de la galerie qui leur était réservée pour lui donner des fleurs et lui serrer la main, lorsqu’ils hurlèrent à tue-tête : “Vive Mahler! Notre Mahler !”, lorsque le compositeur eut reçu d’eux cet hommage, il ne put retenir ses larmes ».
En cette édition 2019 des Chorégies d’Orange, nous avons assisté à un grand moment musical.
La disposition des chœurs devant le célèbre mur a favorisé une bonne coordination vocale, les musiciens ont fait preuve d’une belle symbiose. La direction admirable, claire et précise de Jukka-Pekka Saraste a souligné toutes les subtilités de la partition et permis aux chœurs et à l’orchestre de développer de belles harmonies.
Ce soir là, par la qualité de l’œuvre et des interprètes, par le gigantisme des effectifs, les Chorégies ont porté la musique à des hauteurs jamais atteintes. Mahler voyait très grand, et le résultat est là, mélange de force et de finesse.
On peut seulement regretter que le positionnement des solistes devant l’orchestre ait nui à la bonne écoute du public latéral.
Il n’en reste pas moins vrai que ce fut une belle standing ovation bien méritée qui a ponctué cette soirée mémorable. (D.B. Photos Colas Declecq, Philippe Gromelle)
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