Un tempérament de feu sur la scène de La Roque d’Anthéron : Khatia Buniatishvili a galvanisé son public venu nombreux
Vendredi 2 août 2024, parc du château de Florans, La Roque d’Anthéron (13).
Dans le cadre du 44e Festival international de piano de La Roque d’Anthéron
Khatia Buniatishvili, piano
Bach/Liszt : Prélude et fugue en la mineur BWV 543. Beethoven : Sonate n°23 en fa mineur opus 57 « Appassionata ». Beethoven : Sonate n°17 en ré mineur opus 31 n°2 « La Tempête ». Schubert/Liszt : Ständchen, Gretchen am Spinnrade. Liszt : Consolation n°3 S. 1720. Liszt : Rhapsodie hongroise n°6 S. 244
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Elle possède un charisme certain qui attire les foules. Son exubérance, son sens du spectacle et de la communication lui ont permis de se faire connaître d’un vaste public. Dotée de moyens exceptionnels et d’une personnalité très affirmée, la pianiste d’origine géorgienne ne laisse pas indifférent. On l’aime ou pas !
Nous l’avions déjà entendue il y a quelques semaines, le 29 juin, en début d’édition 2024 des Chorégies d’Orange ; nous la réentendons dans un autre programme à La Roque d’Anthéron.
C’est essentiellement avec son cœur qu’elle interprète un répertoire choisi avec soin : Beethoven, Bach, Liszt, Schubert auxquels elle n’hésite pas à ajouter en bis Gainsbourg.
Lors de son récital à La Roque d’Anthéron, Khatia Buniatishvili a débuté la soirée avec Le Prélude et fugue en la mineur BWV 543 de J.S Bach/Liszt. Ce Prélude est et reste certainement une des plus belles œuvres de JS Bach. Le piano sonne d’abord de manière confidentielle, voire presque inaudible compte tenu du bruit du vent dans les arbres. La mélodie introductive est simple et magnétique. La pianiste ne joue pas pour que nous l’entendions, elle interprète ce prélude simplement pour elle-même avant d’en donner une lecture très orchestrale. La passion l’envahit et elle ne peut cacher son immense joie en appuyant parfois un peu trop sur les touches. Khatia Buniatishvili apporte une passion explosive à cette performance, laissant le public presque épuisé émotionnellement.
Deux Sonates de Beethoven sont ensuite programmées : l’Appassionnata n°23 op 57 et La Tempête n°17 op31 (les bien nommées pour l’occasion). Là encore, la pianiste déborde d’exubérance, dialoguant avec le souffle du vent dans les séquoias, avant qu’éclairs ne sabrent le ciel et qu’une pluie fine ne s’abatte sur les spectateurs. Des agents de La Roque d’Anthéron ont alors distribué des pochettes de ponchos de pluie pour que le concert puisse continuer sans encombre. Initiative judicieuse !
Après les accents passionnés de Beethoven, la douceur est revenue sous les doigts de l’artiste avec deux pièces de F.Schubert : Ständchen et Gretchen am Spinnrade (Marguerite au rouet). La Sérénade ou Ständchen date d’octobre 1828, quelques mois avant que ne s’éteigne le célèbre compositeur. C’est une pièce lyrique, mélancolique, amoureuse et passionnée pour une voix avec accompagnement, transcrite pour piano par Franz Liszt en 1840. En 2019 la pianiste a enregistré un disque Schubert. Voici ce qu’elle déclarait à Elsa Fottorino de la revue Pianiste : « La musique de Schubert me nourrit. J’avais besoin de cette atmosphère moins extériorisée, si Schubert exprime le feu, l’urgence, la douleur, c’est sous une forme très intime… Avec ce compositeur, je me suis plongée dans un état de patience sans limite qui est une forme de paix intérieure…Tellement de choses ont été dites sur moi que cela finit par me paraître naturel de me caractériser comme quelqu’un…d’exubérant. »
En effet, la mélodie introductive simple et prenante de Ständchen devient vite passionnée sous les doigts de l’artiste.
Quant à Liszt qui conclut la soirée avec la Consolation n°3 et la Rhapsodie Hongroise n°6, on ne peut qu’évoquer les critiques qui, au XIXème siècle, reprochaient au compositeur de sombrer dans le spectaculaire, au détriment de la musique. Deux cents ans plus tard, l’histoire se répète : derrière son piano, Khatia Buniatishvili s’autorise toutes les émotions, comme Liszt, elle est également jugée pour la liberté de ses interprétations. Face aux critiques, la musicienne revendique le droit de se réapproprier chaque œuvre, ce qu’elle fait ! elle les interprète sans forcément respecter la partition ou le modèle imposé par les compositeurs et ses pairs. Les notes sont survolées, saccagées diront certains, tellement l’artiste montre sa fougue, sa passion pour ce public survolté par tant de vélocité. Nous ne sommes plus dans l’interprétation classique mais dans la démonstration d’une pianiste qui offre à son public ce qu’il attend : un jeu d’une très, très grande virtuosité. Du spectacle ! Comme l’a déclaré Khatia Buniatishvili à la revue Pianiste encore, en 2011 : « Jouer du Liszt, c’est déjà éprouver un plaisir physique. Plaisir des couleurs, des harmonies qui ont une importance essentielle à mes yeux ».
Trois bis concluent cette soirée enflammée aux sonorités parfois surprenantes : le lento de la seconde Rhapsodie hongroise de Liszt, largement revisité par l’artiste dont les doigts en délire ont enthousiasmé son public, suivie par une version personnelle et combien lumineuse aux accents très jazzy de la Javanaise de Serge Gainsbourg, et pour conclure, l’Adagio de Marcello, en ré mineur, BWV 974.
D.B. Photos Valentine Chauvin
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