Sous le signe de l’enfance et du conte, avec une énergie deux fois juvénile !
La Scala Provence, jeudi 19 octobre 2023, 19h30, durée 1h15, Scala 600
Katia et Marielle Labèque, pianos
Debussy, Epigraphes antiques pour 2 pianos. Ravel, Ma mère l’Oye pour piano à 4 mains. Philip Glass, La Belle et la bête (création mondiale)
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C’était la soirée événement, pour environ 400 personnes, en ouverture de la 2e saison de la Scala Provence. On ne boude pas son plaisir quand sont programmées deux artistes de grand talent ; le report du concert, de mai à octobre, avait attisé l’appétit. On apprendra, on devinera plutôt, que l’œuvre de Philip Glass, clou de la soirée, n’était pas terminée en temps voulu….
Katia et Marielle Labèque « sont de grandes amies de la Scala, commentait en introduction Rodolphe Bruneau-Boulmier, directeur de la musique ; elles sont venues visiter la Scala Paris alors que celle-ci n’était qu’un champ de ruines, et elles sont ravies de faire ici l’ouverture de saison ». Elles ont néanmoins failli ne pas pouvoir rejoindre Avignon, depuis Biarritz où l’aéroport était fermé par alerte attentat ; à la suite du récent assassinat du professeur Dominique Bernard à Arras, les alertes se multiplient, et l’ambiance générale n’est pas vraiment à la fête.
A contrario, la soirée est placée sous le signe du conte, du récit, de l’enfance. Fraîcheur, énergie, jaillissement, peut-être un peu de joyeuse naïveté aussi ? On se laisse aller volontiers à un bain de jouvence.
Les premières mesures s’égrènent, au piano côté jardin, sous les doigts de Katia dans les aigus ; les notes de Marielle, en registre plus grave, la rejoignent… Les Epigraphes antiques de Debussy sont 6 petites pièces, initialement écrites pour piano à 4 mains, et que Katia et Marielle jouent sur 2 pianos face à face ; face à face, vraiment, Katia à jardin sur la partie droite du clavier, Marielle à cour sur la partie gauche. A chaque pause, c’est un ballet symétrique : la main droite tourne la page – pas de tablettes -, la main gauche remet en place une mèche qui n’a pourtant rien de capricieux. Mêmes gestes certes – on voit les échanges de regards furtifs, parfois une ébauche de sourire complice -, mais pour l’œil averti les deux artistes sont bien différentes : Katia, l’aînée, cheveux mi-longs, est une pile électrique ; le talon gauche de la bottine tape le sol avec vigueur, presque avec rage ; dos droit, elle engage avec son clavier une lutte titanesque ; Marielle, la cadette, plus grande, cheveux plus longs et plus bruns, est penchée sur le piano, comme en dialogue intérieur avec lui ; quand elle bat la mesure, c’est du bout du pied. Une vraie complémentarité. Les aigus de Katia roulent en cascade lumineuse, les graves de Marielle se veloutent en finesse.
La pièce médiane, Ma Mère l’Oye, de Ravel, sur piano unique à 4 mains – version originelle de 1910 -, sera tout bonnement étourdissante. Katia préside aux aigus, Marielle aux graves, chacune dans le registre qui lui convient le mieux. Les mains se frôlent, s’évitent, se touchent, se croisent, se chevauchent, réinventant dans la virtuosité – encore est-ce une litote – une œuvre qu’on peine à croire qu’elle fut créée par deux bambins de 5 et 6 ans. Et cette jeunesse souffle sur la salle.
On attend ensuite, enfin, « la » création mondiale, tout en regrettant quelque peu l’absence de feuille de salle : c’est la réduction pour 2 pianos d’une œuvre écrite en version orchestrale par Philip Glass, compositeur fécond, il y a une vingtaine d’années. Chaque artiste déroule et module, avec une souplesse infinie, une ligne mélodique variée, parfois surprenante, toujours harmonieuse ; leur toucher, soyeux ou rugueux, sculpte les moindres nuances d’une partition avec laquelle elles font corps. On comprend, physiquement même, pourquoi tant de compositeurs aiment écrire pour elles, et comment elles s’approprient ces œuvres nouvelles avec une gourmandise juvénile.
Quand le concert va prendre fin, le public en redemande, et ce n’est pas simple courtoisie ; l’énergie est follement communicative… De qui croyez-vous que soit signé le 1er bis ? Et le 2nd ? Gagné ! De Philip Glass, dans un rythme et une tonalité très jazzy (Orphée café) qui voient Katia se déchaîner, du pied, des doigts, dans toute sa fougue, Marielle lui donnant la réplique sur un ton plus modéré. Vous avez dit…? elles ont une carrière de plusieurs décennies ? Quand elles jouent, assurément, elles ont toujours 20 ans !
Voir aussi notre entretien avec les deux pianistes quelques jours avant le concert, deux sacrées personnalités, deux boules d’énergie.
G.ad. Photos G.ad.
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