-Jean-Robert Pitte, vous soutenez l’action de Via Caritatis et vous êtes membre de l’Académie du vin de France. Pouvez-vous nous dire en quelques mots ce que représentent ces deux entités ?
L’Académie du Vin de France a été créée en 1933, soit trois ans avant la loi sur les AOC, en vue de lutter contre les fraudes et de défendre les authentiques vins de terroir. C’est une compagnie dont les membres se sont cooptés, entretiennent des relations de chaleureuse complicité et partagent les mêmes valeurs, ce qui ne les empêche pas de débattre. Chaque membre vigneron exprime davantage sa personnalité dans ses vins que dans ses discours. Les autres contribuent à l’œuvre commune par leurs écrits ou par la cuisine qu’ils préparent. C’est l’un des aspects de la culture que l’UNESCO a reconnu en inscrivant le repas gastronomique des Français sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité. Cette compagnie est toujours tendue vers la recherche de la plus grande authenticité possible pour les vins de France. Certains pensent que l’uniformité autour de l’expression facilement reconnaissable des cépages est un avenir recommandable. Pourtant, dans le monde entier, de nouveaux connaisseurs, une fois passée la phase d’initiation, recherchent la subtilité, c’est-à-dire les nuances, la ressemblance au terroir de provenance et à la personnalité du vigneron, au millésime.
Via Caritatis pour sa part est l’organisme créé pour promouvoir les vins élaborés sur les terres de l’abbaye du Barroux. La viticulture est l’une des plus anciennes activités des communautés monastiques qui respectent la règle de Saint Benoît et consacrent leur temps à la prière, à l’étude et au travail manuel. Le christianisme est indissociable du vin sans lequel le sacrifice de la messe est irréalisable. Comme dans toute leur vie, les moines sont sur le chemin de la perfection et tentent d’année en année au Barroux d’améliorer la qualité de leurs vins, de les rendre aussi fidèles que possible au terroir où ils naissent.
-Vous êtes géographe, et vous avez travaillé sur l’« enracinement » dans le territoire. Quelles sont les spécificités des vins de la Vallée du Rhône, non pas sur les plans viticole et œnologique, mais selon votre propre perspective de travail ?
-De par la variété de leur encépagement et de leurs terroirs (altitudes, sous-sols, sols, climats, etc.) les vins de la vallée du Rhône sont d’une extrême diversité d’expressions, tant en blanc qu’en rouge. Ils ont une forte personnalité, en général une puissance liée au climat qu’il faut contenir, de la richesse aromatique et gustative. Ils évoquent le fort caractère des milieux méditerranéens comme les couleurs des paysages où ils naissent. Ils sont en grand progrès, surtout lorsque l’on se souvient que le châteauneuf ou l’hermitage étaient il y a un siècle des vins de coupages achetés à vil prix par les négociants bourguignons ou bordelais.
-Peut-on dessiner une évolution, et sous quelle forme, depuis l’Antiquité ?
-Il y a eu des hauts et des bas. Ils ont été les premiers vins produits en Gaule romanisée dès le Ier siècle avant notre ère. Pendant la Pax romana, ils furent vendus dans toute la Gaule et l’empire d’Occident. Leur production et leur qualité ont chuté avec les Invasions. Pendant des siècles, ils n’ont servi qu’à la consommation locale et, à partir du XVIIIe siècle, aux coupages. Leur renaissance et leur orientation vers la qualité date des années 1930 et de la loi sur les AOC. Depuis, ils ne cessent de progresser et de diversifier leurs expressions dans tous les terroirs. Saint-Joseph, Côtes-du-rhône villages, Luberon, Baux-de-Provence, Ventoux, etc. sont les derniers à accéder à la haute qualité.
-En quoi la musique et le vin peuvent-ils nouer un mariage harmonieux ?
Tous les arts dialoguent entre eux. Elaborer du bon vin, c’est être artiste. Il est donc hautement recommandable d’associer le bon vin à la peinture, à la sculpture, à la gastronomie, au cinéma, à la danse et, bien entendu, à la musique. Comme c’est le cas avec les mets, peu parlants s’ils ne sont pas escortés d’un vin choisi pour eux, il est merveilleux d’écouter un morceau de musique en buvant un vin qui s’harmonise avec lui. Bien entendu, il y a toutes sortes de mariages possibles.
-Quel est votre propre rapport à la musique ?
-Je n’ai pratiqué pendant longtemps que le chant, mais je suis évidemment sensible à cette forme d’art en tant que… consommateur vibrant, comme c’est aussi le cas avec le vin. J’en ai élaboré il y a un quart de siècle en Bourgogne, mais aujourd’hui, je me contente de ceux des autres !
– Pourquoi avez-vous accepté de devenir membre du comité d’honneur de cette première édition du festival Vallée du Rhône en Musique, porté par un tout jeune directeur artistique, Grégoire Girard ?
Parce que le projet m’a séduit. Ceux qui sont surtout sensibles à la musique découvriront des facettes de leur passion auxquelles ils n’avaient jamais songé grâce au vin et ceux qui sont d’abord amateurs de bon vin deviendront plus facilement mélomanes. (Propos recueillis par G.ad., juillet 2020)
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