Mardi 20 et mercredi 21 août 2024, Chapelle Saint-Ferréol, Viens (84)
Dans le cadre des Ferréofolies
Jean-François Zygel, piano
Programme : les sons de la nature
Venir entendre Jean-François Zygel, c’est comme entrer dans le « Rêve familier » de Verlaine, « Ni tout à fait [le] même / Ni tout à fait [un] autre ». On le connaît, excellent pédagogue, talentueux improvisateur, délicieusement fantaisiste, à la fois attendu… et totalement imprévisible…
Nous-même l’avons entendu – et interviewé – à différentes reprises (en 2018 en amont du concert de Viens, en 2019 en amont du concert de Viens, en 2022 en amont du concert de Carpentras), et nous connaissons notamment son attachement à la petite chapelle de Viens, qui l’y ramène chaque été depuis plus de trois décennies. Dans ce charmant écrin qui célèbre le mariage entre peinture et musique, puisque tel est son ADN, nous l’avions entendu en 2022 autour de La Fontaine, en concert et en entretien préalable.
Cette année, nous nous laissons tenter aussi par ce concert, toujours dans le cadre des Ferréofolies, avant de nous laisser séduire sans (aucun) doute, par tout l’imaginaire que portent « les sons de la nature ».
« Le piano n’est ni un animal, ni un végétal, dit l’intéressé. Mais c’est une fenêtre sur le monde, ma promenade quotidienne, mon voilier des mers, mon paysage imaginaire. En balade, j’engrange. Les images, les sensations, les couchers de soleil, les fleurs comme les animaux sauvages : je conserve tout. Puis je laisse reposer. Je sais qu’un jour ou l’autre chaque souvenir se transformera en musique, une musique que je découvre, qui s’impose à moi. Je vous invite à mettre vos pas dans les miens, acceptant l’idée que tout se transcrit en musique, de l’émotion la plus simple au souvenir le plus élaboré, du frémissement délicat des sauges sauvages dans les garrigues à l’envol des circaètes vers les falaises abruptes. »
La chapelle Saint-Ferréol, c’est un endroit de nulle part, une chapelle totalement isolée au bout du bout de la pointe Sud-Est du Vaucluse, à plus de 70km d’Avignon extrémité Sud-Ouest, et aux confins du département des Alpes de Haute-Provence, dans un environnement naturel magnifique. Cette chapelle qu’une poignée de passionnés a relevée de sa ruine, abrite chaque année le mariage « statutaire » de la musique et de la peinture contemporaine. Dont les deux concerts consécutifs de Jean-François Zygel, dans une sorte de carte blanche dont on sait qu’elle remplira la chapelle (une petite centaine de places ?).
C’est toujours un exercice de haute voltige qu’une improvisation. Mais un ciné-concert, par exemple, présente des risques mesurés. En revanche, haute voltige sans filet quand la thématique est aussi banale – dixit l’intéressé – et pourtant universelle que « les sons de la nature ». Le public de ce second soir est mêlé : résidents secondaires (parisiens ou franciliens si l’on en juge par le parking), familles… Après un début un peu réservé, le public se détend, sourit, rit franchement, applaudit… Le pianiste applique sa technique parfaitement rodée de concert commenté, qui offre une écoute plus active, volontiers complice.
Les sons de la nature, quels artistes – peintres, romanciers, poètes… – n’en auraient pas été inspirés, au-delà même des compositeurs Debussy et Ravel dont les noms se présentent immédiatement ? Et l’on devinera, ce soir, du Debussy dans les accents fougueux, intenses, des éléments déchaînés, et du Ravel dans les subtilités des paysages en demi-teintes, les uns et les autres jaillissant sous les doigts du pianiste.
« Quand je vois un paysage, un objet, dit Jean-François Zygel, j’entends immédiatement des notes. Avec des personnes aussi… mais ce n’est pas toujours bienvenu ! » Sourires dans l’assistance…
Ainsi vont se succéder, comme sujets d’inspiration, la pluie, le vent, les grêlons, les oiseaux, les abeilles, le crépuscule, l’eau, la lune bleue, la montagne, dans un inventaire à la Prévert…
« Partager la pluie, c’est très simple… Mais pourquoi parle-t-on de mauvais temps, de temps pourri ? Quand il fait beau, aucun intérêt… Le ciel est bleu, et alors ? Tandis que la pluie ! Avez-vous remarqué qu’il n’y a pas deux pluies pareilles ? » En effet, entre main gauche aux roulements et accords plaqués, et main droite plus mobile, véloce, on « entend » des petites gouttes qui clapotent avec les aigus, puis de joyeuses éclaboussures dans les flaques, avant de gros claquements épars qui vont devenir plus soutenus ; et voilà que chante une mélodie à main droite, parfois plus appuyée.
Puis le vent, que l’artiste « capture et met dans son piano » et les grêlons, se déchaînent bientôt. Les oiseaux eux-mêmes se chamaillent, les abeilles semblent vrombir (tout un essaim !), les cigales stridulent et leurs « cymbalettes » ne sont pas très loin du galoubet-tambourin dans les roulements à main droite.
Et quand la luminosité descend à l’extérieur, c’est le crépuscule qui s’invite. Intense, flamboyant, au clavier, alors que moi-même je le sens plutôt fondu, coulé, plus « legato .
La montagne donne ensuite l’occasion de boutades sur la prononciation de « Lubéron » (qui signe un locuteur parisien) ou « Luberon », prononciation locale ; un conflit violent et ancien, s’amuse malicieusement l’artiste, conflit terrible à côté duquel l’actualité donnerait, n’est-ce pas ? matière à sourire…
Après les remerciements d’usage, Jean-François Zygel aime à prolonger la soirée avec le public, à l’extérieur, dans la douceur de la nuit provençale… qui sera peut-être l’objet d’une autre future improvisation !
G.ad., texte & photos
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