Un revers caché et impitoyable
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Théâtre des Corps Saints, 19H35, 1h20. Du 5 au 26 juillet, relâche les 8, 15 et 22 juillet. Réservations 04 84 51 25 75
Si la gastronomie française est aujourd’hui à la mode, pas seulement parce qu’elle fait partie du patrimoine mondial de l’Unesco, mais aussi parce qu’elle est un sujet dont s’emparent le cinéma, la télévision, alors courez voir la pièce Frère(s) qui présente ce monde par le biais de deux de ses acteurs aux trajectoires éprouvées.
Maxime et Emile se rencontrent en préparant le Cap cuisine à 15 ans. Venant de deux mondes différents, tout les oppose (origines géographiques et sociales, caractères, buts) mais ils vont pourtant devenir amis… et inséparables. Dans ce milieu professionnel, leur amitié va les aider à grandir, à tenir debout face à leurs expériences dures, voire inhumaines… même si la rivalité professionnelle va finir par l’éroder.
De la gastronomie, nous connaissons un côté de la médaille. Cette pièce de Clément Marchand a le mérite de nous montrer son revers caché et impitoyable : horaires extensibles, rythme épuisant, humiliations courantes, conditions de travail désastreuses… pour le plaisir de nos palais ! La cuisine a une âme, incarnée par deux superbes comédiens (Jean-Baptiste Guinchard et Guillaume Tagnati), criants de vérité et d’humanité. Ce monde terriblement masculin laisse peu (voire pas) de place à l’amitié tant la rivalité (et la pression) est forte. Jean-Baptiste Guinchard et Guillaume Tagnati se livrent sans pudeur mais avec tellement d’émotions qu’ils nous secouent.
Si le monde de la cuisine est un monde très violent, aspect souvent occulté au détriment d’une cuisine fantasmée, Clément Marchand choisit de montrer cette amitié forte ; cette amitié sera la bouée de ces deux hommes, qui refusent de devenir des machines comme la profession l’exige. Cette pièce nous immerge dans le décor des cuisines que nous n’avons pas l’habitude de côtoyer, préférant apprécier ce qui se trouve dans notre assiette dans une salle de restaurant. Il était non seulement important mais aussi nécessaire de montrer l’arrière des (grands) restaurants, qui explique l’important turn-over de la profession, les violences qui s’y exercent. Nul doute que notre expérience dans un restaurant sera désormais différente, plus centrée sur la ruche qui travaille en cuisine, et beaucoup moins sur notre assiette. Cette présentation du monde de la gastronomie est très rare, préférant plutôt celle d’une cuisine fantasmée, douce et pleine de saveurs. C’est donc un très bel hommage qui est rendu à tous ces ouvriers de l’ombre, si émouvant et juste, qui sacrifient toute leur vie (et leur fierté) afin de nous satisfaire en tant que client. Sans eux, notre monde n’aurait pas autant de saveur.
La mise en scène signée Clément Marchand, épurée et sobre, s’articule autour de blocs noirs qui s’empilent, se défont, se (re)composent entre eux, accompagnant la construction et le cheminement de ces deux hommes qui deviennent des frères, au rythme d’une horloge minutieuse. Son travail est aussi mis en lumière par la chorégraphe Delphine Jungman, Julien Barillet à la composition des lumières, et Natacha Markoff pour la scénographie. Si Clément Marchand a déjà une belle expérience d’écriture auprès de la télévision ou le cinéma, il signe ici sa première pièce… avec beaucoup de succès et pour notre plus grand plaisir !
Christèle. Photo François Fonty
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