« Et Satan conduit le bal… », magistral
Faust, Charles Gounod. Opéra en 5 actes. Opéra de Marseille
Livret de Jules BARBIER et Michel CARRÉ. Création à Paris, Théâtre-Lyrique, le 19 mars 1859. Coproduction Opéra Grand Avignon / Opéra de Marseille / Opéra de Massy / Opéra Théâtre Metz Métropole / Opéra de Nice / Opéra de Reims
Direction musicale, Lawrence Foster ; mise en scène, Nadine Duffaut ; décors, Emmanuelle Favre ; costumes, Gérard Audier ; lumières, Philippe Grosperrin
Marguerite, Nicole Car ; Marthe, Jeanne-Marie Lévy
Faust, Jean-François Borras ; Vieux Faust, Jean-Pierre Furlan ; Méphistophélès, Nicolas Courjal ; Valentin, Etienne Dupuis ; Wagner, Philippe Ermelier ; Siebel, Kévin Amiel
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
En écho, Le petit Faust, de Hervé, à l’Odéon (16-17 mars)
Pour son 160e anniversaire, le Faust de Gounod s’offre à Marseille une nouvelle production, créée à Avignon dans une autre distribution en juin 2017 avant fermeture de l’Opéra pour trois ans de travaux.
On y retrouve avec bonheur des signatures bien connues.
Lawrence Foster revient diriger ce Faust et bientôt Rigoletto, ainsi qu’un concert symphonique, dans la cité phocéenne où il avait fait halte quelques années, avant de prendre ses fonctions le 1er septembre 2019 comme Directeur artistique et Chef principal de l’Orchestre Symphonique National de la Radio Polonaise (Narodowa Orkiestra Symfoniczna Polskiego Radia).
Nadine Duffaut a déjà offert à l’Opéra de Marseille diverses mises en scène, éclairées par Philippe Grosperrin, dont La Vie Parisienne en 2015-2016, I Capuleti e i Montecchi et Le Dernier jour d’un condamné en 2017. Elle entretient un rapport particulier avec Faust, qui a été son premier contact, enfant, avec le monde de l’opéra.
Emmanuelle Favre, elle, avait fait ses débuts de décoratrice à Marseille aux côtés de Charles Roubaud metteur en scène, et sera de retour aussi pour Rigoletto cette saison. L’homogénéité de l’équipe est gage de lecture pertinente.
J’avais vu ce Faust à l’Opéra Grand Avignon, mais chaque nouveau rendez-vous avec une œuvre en révèle un camaïeu différent.
La valeur résolument transgressive voire blasphématoire de Méphistophélès et de l’œuvre est fortement soulignée. Dans le décor unique d’un immense prie-Dieu vert-de-gris et d’une figure christique au regard menaçant, tous les symboles détournés prennent une force grinçante, jusqu’à risquer de terrasser le diable lui-même : des noces de Cana au calice de la transsusbstantiation, de l’habit monastique au simulacre de crucifixion (sado-maso !).
Le regard distancié de la metteure en scène dévoile des accents inédits : le gentilhomme au panache est en jean et blouson, les cartes sont redistribuées entre les personnages masculins par la similitude du costume, et la jeune héroïne n’est pas que la naïve victime qu’on lui fait parfois jouer. Quant à la présence permanente de Faust vieux (Jean-Pierre Furlan, très décevant vocalement dans la scène initiale – et le rôle n’explique pas tout -), traînant lamentablement son vêtement sans forme et son interrogation muette, il offre sans doute la clef de lecture : et si tout cela n’existait que dans et par l’imagination et la conscience du vieux savant ?
Une belle distribution porte l’œuvre, avec des airs attendus et tous réussis, autour d’un Nicolas Courjal distillant magistralement toutes les nuances d’un Méphisto qui brille comme le grand vrai héros de cette œuvre, de la suavité à la provocation cynique, du sarcasme à la séduction ; avec une diction gourmande savourant chaque parole, une projection irréprochable, un jeu scénique d’un naturel exceptionnel, un timbre solide et chaleureux, il se confirme à chaque rôle comme l’une des très grandes basses françaises du moment ; dans la région, que ce soit à Marseille dans le costume de Philippe II (Don Carlo) en 2017, Phanuel (Hérodiade) en 2018 et tout récemment Jacopo Fiesco (Simon Boccanegra), ainsi qu’aux Chorégies, Nicolas Courjal enflamme légitimement les scènes.
Quant à Jean-François Borras, il reste marqué par l’image malencontreuse d’un autre Faust (Mefistofele, d’Arrigo Boito) balancé l’été dernier dans une nacelle récalcitrante au-dessus de l’immense scène du théâtre antique d’Orange, mais s’était néanmoins imposé de belle manière dans le rôle ; il avait également laissé le public admiratif dans une production de Lucia de Lammermoor mémorable à Avignon. Son timbre puissant et sa présence, à défaut d’aisance, lui assurent une réelle séduction auprès d’une Marguerite bien affirmée.
Pour porter les bijoux, la soprano australienne Nicole Car repulpe en effet l’image de Marguerite. Celle qui depuis quelques mois bouscule la planète lyrique, et ne va pas tarder à faire son entrer au Royal Opera House et au Met, était aussi, paraît-il, une Violetta somptueuse dans la toute récente Traviata ibidem.
Elle incarne une belle Marguerite, dans un jeu précis et une voix colorée ; après une première partie moins convaincante, elle s’est révélée bouleversante dans la scène lumineuse de rédemption.
Etienne Dupuis (Valentin), Philippe Ermelier (Wagner), et Kévin Amiel (Siebel, qu’on a revu sur France-Télévisions dans Fauteuils d’orchestre le 25 janvier, après l’avoir découvert il y a quelques années – 2007 – sur la scène d’Avignon dans un Tremplin de Jeunes chanteurs), sont loin d’être des utilités. Non plus que Jeanne-Marie Lévy, en dame Marthe complaisante et fugace parenthèse comique. Valentin laisse filtrer une réelle sensibilité à travers sa rigidité martiale ; la voix est tonique, et le personnage ne manque pas de charisme. On aura le plaisir de retrouver bientôt dans le rôle d’Antonio (Le Nozze, fin mars) Philippe Ermelier, à la présence trop brève en Wagner. Et Kevin Amiel fait de Siebel un amoureux éconduit mais résolu, et son assurance croissante au fil des années l’a légitimé dans le rôle d’Alfred Germont, à Toulouse sa ville d’origine, l’automne dernier.
Nettement campés, tous trois participent pleinement, comme les chœurs et l’orchestre, à l’équilibre d’une production bien sentie et bien menée.
G.ad. Photos Christian Dresse