Vendredi 1er novembre 2023, 20h, durée 1h20, Opéra Grand Avignon
Eve et Adam, comédie musicale
Orchestre National Avignon-Provence
Direction, Georg Köhler. Chant, Isabelle Georges & Frédérik Steenbrink. Compositeur, Bruno Fontaine. Livret, Florence Seyvos. Mise en espace, Mirabelle Ordinaire. Création vidéo, Laurent Sarazin. Costumes, Colombe Lauriot-Prévost
Co-commande de l’Orchestre national Avignon-Provence, de l’Orchestre de Pau Pays de Béarn et de l’Orchestre national d’Île-de-France en création mondiale, sur une idée originale d’Isabelle Georges. Ce programme bénéficie du soutien du Fonds de Création Lyrique.
Tarifs : 30€ à 5€. Réservations : ou 04 90 14 26 40.
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Ce n’était pas acquis, et quelques « ouh » ont accompagné les applaudissements, sans qu’on puisse déterminer s’ils étaient d’admiration ou de protestation. Isabelle Georges a chaleureusement remercié le public – hélas, très peu nombreux – qui avait pris le risque de découvrir une création d’aujourd’hui. Elle qui avait fait ses débuts sur cette même scène de l’Opéra d’Avignon dans Chantons sous la pluie, comme elle l’a rappelé, a superbement montré qu’au-delà de la fantaisie, de la pétulance, de ce qui fait son charme bien connu, sa voix de soprano peut emprunter les notes du lyrique.
Du lyrique ? Voire ! Entre conte lyrique, comédie musicale poétique, on ne sait trop comment classer cette œuvre, s’il faut vraiment la classer. Les tenues mêmes des deux chanteurs marient, avec une certaine élégance décontractée, la chemise blanche/pantalon noir du concert classique, avec les pieds nus des théâtreux.
La formation Mozart – mais privée ce soir de tous les chefs de pupitre des cordes : Cordelia Palm pour le violon, Fabrice Durand pour les altos, Nicolas Paul pour les violoncelles, Frédéric Béthune pour les contrebasses – de l’Orchestre National Avignon-Provence, parfois sollicitée pour un cri ou une exclamation, a fait miroiter toutes ses couleurs, vibrer toutes ses nuances. Cuivres et percussions ont ouvert la soirée, après la harpe, sombre – elle deviendra aigrelette dans l’épisode de Caïn et Abel – et dessinent un monde d’avant l’histoire, un Chaos originel avant la Création, puisque tel est le sujet d’Eve et Adam ; les cordes apporteront peu à peu une harmonie au sein d’un monde sans unité, et installeront une temporalité humaine : au temps haché, éclaté, succède un temps qui tisse un récit.
La partition n’a rien de révolutionnaire, et seul l’avenir l’appellera définitivement au répertoire ou l’oubliera négligemment. Les 22 tableaux du récit s’habillent de Bernstein, de Broadway, de Starmania, de rythmes jazzy, et il n’est pas jusqu’à Stravinsky, Mahler, qui n’aient poussé leur nez… On s’attend même à voir surgir Garou ou Chimène Badi, qui était à Avignon tout récemment.
Au pupitre, Georg Köhler sait mettre en relation un orchestre et une partition ; relation, parfois confrontation à bras-le-corps. Lui-même, compositeur, lauréat du concours de direction Mahler 2023, après avoir été chef assistant de l’Orchestre National d’Ile-de-France (2021-2023), très attaché à Mahler, Chostakovitch, Ives, Bartok et Britten, était la baguette idoine pour la soirée ; sa vivacité d’interprétation, sa souplesse dans les changements de tempi, sa précision dans la direction, ont fait impression.
Ainsi que sa gestion de l’espace. Si le déploiement d’une gestuelle est dans l’ADN de la fonction, ce soir le chef a dû partager son estrade avec le chanteur, assis derrière lui, ou glissant entre son dos et le garde-corps. Cette intrusion participait aussi du regard décalé voire irrévérencieux porté sur la Genèse biblique réinventée à l’envers, comme le signale déjà le titre, Eve et Adam.
Eve tirée de la côte d’Adam, nous a-t-on appris depuis 3.000 ans ? et si elle avait été créée « à côté » d’Adam ? Et si l’on avait envie de réinventer autrement « ces 3000 ans de malentendus entre homme et femme » ? Dans une « lecture de la Genèse scintillante de significations nouvelles et empreinte de féminisme », comme l’évoque Florence Seyvos, auteure du livret. Que la femme en soit réduite, au cours des siècles, à « peindre des assiettes » a suscité dans le public quelques rires. L’intelligibilité du texte, majoritairement chanté, a été diversement appréciée, et une double réverbération des deux voix sonorisées en a gêné plus d’un. Les deux chanteurs ont épousé pleinement cette œuvre, joyeuse et anti-conformiste en diable (si l’on peut dire…), tant Isabelle Georges au soprano bien dessiné que Frédérik Steenbrink à la voix de crooner, dans les différents rôles du monde sortant de sa gangue originelle : Adam, Eve, le récitant, Lilith, le serpent, le chœur, le narrateur…
Un joli moment (1h15) dont les absents ont eu tort de se priver…
G.ad. Photos G.ad (salut)
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